Washington inquiet pour la liberté d’expression après le vote de la loi sur les ONG
Après les critiques de l’UE, le département d’Etat dit que la nouvelle loi pourrait “avoir des effets glaçants” sur les activités des organisations

Le département d’Etat américain a exprimé mardi son inquiétude qu’une loi récemment votée par la Knesset pour distinguer les ONG financées par des gouvernements étrangers puisse empiéter sur la liberté d’expression et d’association en Israël.
La loi, votée lundi soir, demande aux organisations non gouvernementales qui reçoivent plus de la moitié de leurs financements d’institutions ou de gouvernements étrangers annoncent ce fait dans tous leurs rapports publics, leurs documents et leurs interactions avec des responsables gouvernementaux, ou paient une amende de 29 000 shekels (6 900 euros).
John Kirby, porte-parole du département d’Etat a déclaré aux journalistes que certaines des inquiétudes de Washington concernant le projet de loi avaient été atténuées par les amendements ajoutés avant le vote final.
Néanmoins, il a exprimé la préoccupation de la Maison Blanche, « pas seulement pour la liberté d’expression, mais aussi [la liberté] d’association et de dissidence. »
« Nous sommes profondément inquiets que cette loi puisse avoir un effet glaçant sur les activités que ces organisations utiles essaient de mener », a-t-il déclaré.

Le gouvernement israélien a défendu la loi comme un moyen d’augmenter la transparence des interventions gouvernementales étrangères dans les affaires israéliennes, mais a été extrêmement critiqué en Israël et à l’étranger, qui juge que cette mesure cible les associations de gauche et limite la liberté d’expression.
Les partisans de la loi, dont l’un de ses auteurs, la ministre de la Justice Ayelet Shaked, ont déclaré lundi qu’elle avait pour but d’informer le public sur l’intervention gouvernementale étrangère à grande échelle dans les politiques intérieures israéliennes. Les auteurs de la loi affirment que ces associations financées par des gouvernements étrangers « représentent en Israël, de manière non transparente, les intérêts extérieurs d’états étrangers. »
La loi a été votée la veille de la publication d’un rapport bipartisan du Sénat américain qui montrait que la campagne V15 pour évincer le Premier ministre Benjamin Netanyahu en 2015 avait été indirectement financée par le département d’Etat américain.
Zeev Elkin, ministre Likud, a déclaré mardi que les conclusions du Sénat étaient la preuve « de combien les lois sur la transparence du financement étranger des ONG sont correctes. »
Les détracteurs ont eux affirmé que la loi cible injustement les organisations de gauche et de défense des droits de l’Homme, dont beaucoup reçoivent des financements de pays européens.
Le même jour, l’Union européenne (UE) avait déclaré que la loi allait « au-delà du besoin légitime de transparence », semble être conçue pour limiter les activités de certaines associations, et risque d’ébranler les valeurs démocratiques d’Israël.
« Les exigences annoncées imposées par la nouvelle loi vont au-delà du besoin légitime de transparence, et semblent conçues pour restreindre les activités de ces organisations de la société civile qui travaillent en Israël », a dit l’UE.
« Israël jouit d’une démocratie dynamique, de la liberté d’expression et d’une société civile variée qui font partie intégrante des valeurs qu’Israël et l’Union européenne chérissent tous deux. La nouvelle législation risque de compromettre ces valeurs », a-t-elle ajouté.
Le bloc de 28 états a également appelé Israël « à s’empêcher de prendre des mesures qui pourraient complexifier l’espace dans lequel les organisations de la société civile agissent, et qui pourraient restreindre les libertés d’expression et d’association ».
Le gouvernement allemand avait annoncé la semaine dernière être « préoccupé » par la législation « partiale ».
Selon une analyse des effets de la loi du ministère de la Justice, presque toutes les associations existantes qui devraient être touchées par les nouvelles règles (25) sont de gauche, comme B’Tselem et Yesh Din, opposées à la présence israélienne en Cisjordanie, ou des organisations pro-palestiniennes comme Zochrot, qui défend le retour des réfugiés palestiniens et de leurs descendants.
Certaines associations arabes qui défendent l’égalité des droits pour la minorité arabe seront également soumises à ces dispositions.
Les associations à but non lucratif qui devraient être touchées par la loi sur le financement des ONG ont critiqué cette mesure, qu’elles jugent injuste et anti-démocratique.
Dans un communiqué, le New Israel Fund (NIF), organisation new-yorkaise qui a participé au financement de beaucoup de ces associations, a critiqué la loi, la jugeant injuste.
« La législation cible des organisations qui défendent les droits de l’Homme et la démocratie, tout en permettant aux organisations ultranationalistes de garder secrètes leurs sources de financement, malgré leur affirmation que la loi augmente la ‘transparence’ », a écrit l’organisation.
La loi a été critiquée par des députés de l’opposition israélienne, car elle ne tient pas compte des donations des personnes privées. La plupart des associations de droite jouissent d’un soutien important de donateurs ou de militants d’associations juifs ou chrétiens de l’étranger.
« La seule chose qui est transparente avec cette loi est son objectif réel : intimider et faire taire la sphère civile, et ceux qui défendent la fin de l’occupation en particulier », a déclaré Daniel Sokatch, président du NIF.
« C’est un geste profondément anti-démocratique, et des Israéliens de tous les secteurs de la société civile ressentent déjà son effet glaçant. Ceux d’entre nous qui ont une vision d’Israël en tant que démocratie, qui offre une égalité complète entre tous ses citoyens comme prévue par la déclaration d’Indépendance doivent redoubler d’efforts. Non seulement la liberté d’expression des Israéliens est en jeu, mais aussi la position d’Israël comme démocratie libérale. Les enjeux sont élevés, mais notre engagement à travailler pour le futur auquel nous croyons aussi. »

Sari Bashi, qui est à présent directeur pour Israël et la Palestine de l’association new-yorkaise Human Rights Watch, a fait écho aux criques du NIF, disant que la nouvelle loi « cible et charge les associations de défense des droits de l’Homme de gauche en imposant des exigences onéreuses et des amendes élevées en cas de non-conformité. Si le gouvernement israélien était vraiment préoccupé par la transparence, il demanderait que toutes les ONG informent activement le public de leurs sources de financement, pas seulement celles qui critiquent les politiques du gouvernement. »
Bashi est cofondateur de Gisha, l’une des associations dont les sources de financement sont soumises aux nouvelles réglementations.
L’association La Paix Maintenant, qui lutte depuis longtemps contre la présence israélienne en Cisjordanie, a promis de faire appel de la loi devant la Haute cour de justice.
Parlant de « violation flagrante de la liberté d’expression », l’association a déclaré que son « intention réelle est de détourner l’attention du discours public israélien de l’occupation, et de réduire au silence l’opposition aux politiques du gouvernement. » La loi s’inscrit dans une tendance de « détérioration sévère de la démocratie israélienne », a déclaré le groupe dans un communiqué.
« Nous continuerons à combattre cette vague anti-démocratique dans les rues, et comptons défier la validité de la loi sur les ONG devant la [Haute] cour. »