Israël en guerre - Jour 623

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50 ans après la fin de la guerre du Viêt Nam, rencontre avec un militant juif emblématique, mais méconnu

Une visite à l’American Jewish Historical Society, à New York, révèle l’héritage oublié de Robert Allen Simon à travers une précieuse collection d’archives

De jeunes Américains brûlent leurs cartes de recrutement lors d’une manifestation anti-guerre, le 7 novembre 1965, à Union Square à New York, pour protester contre la guerre du Vietnam. Illustration (Crédit : AFP)
De jeunes Américains brûlent leurs cartes de recrutement lors d’une manifestation anti-guerre, le 7 novembre 1965, à Union Square à New York, pour protester contre la guerre du Vietnam. Illustration (Crédit : AFP)

NEW YORK – Un jour de novembre 1967, un groupe de jeunes hommes, qui se faisait appeler The Resisters (« les résistants »), se tenait devant le tribunal fédéral de Foley Square. On ignore qui a lancé la première carte dans les flammes, mais le lendemain, c’est la photo de Robert « Bob » Allen Simon, lunettes sur le nez, qui a été publiée dans le New York Post.

Aujourd’hui, alors que les États-Unis marquent le 50e anniversaire de la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, face aux troupes nord-vietnamiennes, l’histoire de Simon continue de résonner. Si son geste était avant tout symbolique, il incarnait aussi l’évolution de l’opinion américaine sur la guerre.

Le Times of Israel s’est récemment rendu à l’American Jewish Historical Society (AJHS), basée à New York, qui conserve un ensemble remarquable d’archives personnelles consacrées à Simon, pour mieux comprendre son parcours.

« Il reflétait un rejet grandissant de la guerre. Ce qui est fascinant dans cette collection, c’est qu’elle montre comment des citoyens ordinaires peuvent avoir un impact sur leur entourage immédiat », explique Gemma Birnbaum, directrice exécutive de l’AJHS.

Constituée de coupures de presse, de documents personnels et de textes rédigés par Simon, la collection illustre le rôle joué par de jeunes Juifs américains dans les luttes progressistes. Elle retrace aussi l’évolution de Simon, passé du statut de recrue enthousiaste du Reserve Officers’ Training Corps (ROTC) à celui de militant farouchement anti-guerre.

« Burn Draft Cards in Foley Square », New York Post, le 8 novembre, 1967. (Crédit : American Jewish Historical Society)

L’engagement civique de Simon était déjà manifeste dans son discours de bar mitzvah en 1955.

« Notre Père céleste, en ce jour de ma bar-mitsva, accorde-moi une pensée et un jugement justes pour que je puisse remplir mon devoir en tant que Juif et citoyen américain. Ce pays où je suis né, ce véritable havre de démocratie – Amérique, bénis-le également, et fais en sorte que ton amour, ta miséricorde, tes conseils et ta générosité couvrent cette terre d’un océan à l’autre. Bénis ses habitants, mais surtout, donne à son peuple la force de connaître les principes de la démocratie. Et en les connaissant, permets-moi, ainsi qu’à tous ceux qui vivent ici, de rester libres », déclarait-il depuis l’estrade du Centre israélite de Miami.

Trois ans plus tard, il tentait de mettre ses mots en pratique en rejoignant l’armée.

En 1958, à l’âge de 16 ans, Simon participe à un programme d’admission anticipée à l’université Stetson, en Floride. Dans une lettre adressée à ses parents, il fait part de son enthousiasme pour le ROTC et le port de l’uniforme.

Robert Allen Simon avec sa grand-mère sur une photo non datée de son enfance. (Crédit : American Jewish Historical Society)

« Je commence le ROTC lundi. J’ai hâte. Le major, notre chef bedonnant, nous a dit que si nous étions de bons élèves, nous pourrions, dès la première année, tirer avec un canon léger de 75 mm sans recul. Mes rêves les plus fous deviennent une flamboyante réalité. Je suis fou de joie », leur écrit-il.

Simon quittera ensuite Stetson pour raisons personnelles, puis s’inscrira dans plusieurs établissements, dont le Bard College de New York. Dans son dossier de candidature, il évoque son implication dans le mouvement de jeunesse Bnai Brith.

Sa lettre de motivation témoigne d’un regard de plus en plus critique sur l’autorité.

« Ces années m’ont appris comment certains utilisent un groupe pour servir leurs intérêts personnels », écrit-il. « J’ai été profondément dégoûté par l’apathie manifeste envers les actions sociales chez ceux à qui je m’adressais. Ce dégoût a aussi été une forme d’apprentissage, une mise à l’épreuve de mon optimisme et une source de préoccupation. »

« Son engagement au sein de Bnai Brith a été très formateur. Cela lui a appris à distinguer l’individu de l’organisation – et c’est là qu’il a commencé à remettre en question l’autorité autour de lui », explique Birnbaum.

Plutôt que de s’inscrire à Bard College, Simon rejoint l’université de Miami en 1959, où il étudie la littérature anglaise. Il écrit également pour le magazine étudiant Tempo et signe des critiques de films, de pièces de théâtre et de livres pour The Miami Hurricane, le journal de l’université.

C’est en écrivant pour ce journal que ses prises de position contre la guerre du Viêt Nam et l’implication américaine se sont affirmées.

Photo non datée de Robert Allen Simon. (Crédit : American Jewish Historical Society)

Dans un article intitulé Vietnam War Gets Hotter, rédigé après le renversement et l’exécution du président Ngo Dinh Diem et de son frère Ngo Dinh Nhu lors d’un coup d’État soutenu par la CIA, Simon critique ouvertement la politique des États-Unis et du Sud-Viêt Nam. Il se désole que « des accusations de corruption, de brutalité officielle, d’inefficacité et de manque de vigueur dans la poursuite de la guerre ont été portées » contre le gouvernement sud-vietnamien par les États-Unis et appelle à « un profond changement dans la politique officielle des conseillers militaires américains et du département d’État ».

Simon quitte l’université de Miami avant même l’obtention de son diplôme.

« Comme beaucoup d’étudiants, il a erré un moment en cherchant sa voie », précise Birnbaum.

Des « refuzniks » aux idées communes

Simon semble avoir trouvé sa place à la New School for Social Research, où il se lie d’amitié avec des étudiants partageant ses convictions et commence à manifester contre la guerre.

« Nous nous adressions de tout notre être au peuple américain quand nous lui demandions : Voulez-vous de cette guerre ? Voulez-vous nous inclure dans le prix à payer ? », écrira-t-il plus tard.

Lorsque les membres des Resisters se réunissent devant une centaine de spectateurs pour brûler leurs cartes d’appel, le bilan s’élève déjà à 15 058 soldats américains tués et 109 527 blessés. À la fin du conflit, 58 220 Américains auront perdu la vie pendant la guerre du Viêt Nam.

En 1995, le gouvernement vietnamien a communiqué une estimation officielle du nombre de morts liés à la guerre. Il avançait jusqu’à deux millions de civils tués, toutes parties confondues, ainsi qu’environ 1,1 million de combattants nord-vietnamiens et vietcongs. L’armée américaine estimait pour sa part que les pertes parmi les forces alliées sud-vietnamiennes se situaient entre 200 000 et 250 000 soldats.

À mesure que les pertes s’accumulaient, le soutien à la guerre diminuait.

Gemma Birnbaum, directrice exécutive de l’American Jewish Historical Society. (Crédit : National World War II Museum)

En août 1965, près d’un quart des Américains estimaient que l’envoi de troupes au Viêt Nam était une erreur, selon le Pew Research Center. Deux ans plus tard, ils étaient près d’un tiers. En 1968, près de la moitié des Américains (46 %) s’opposaient à l’envoi de troupes au Viêt Nam.

Parallèlement, le nombre de réfractaires augmentait. Entre 1964 et 1975, entre 30 000 et 50 000 hommes auraient fui au Canada pour échapper à l’appel sous les drapeaux.

C’était un choix risqué. Brûler sa carte d’appel ou se soustraire à l’enrôlement exposait jusqu’à cinq ans de prison et 250 000 dollars d’amende. Pour Simon, le choix était clair : ses principes, désormais profondément anti-guerre, lui imposaient de prendre le risque d’être arrêté.

Des femmes affiliées à The Resisters brûlent les cartes d’appel de neuf hommes sur les marches du tribunal fédéral de San Francisco, le 10 juillet 1968. (Crédit : Ernest K. Bennett/AP)

À 25 ans, Robert Allen Simon – déclaré inapte au service militaire (4-F) en raison de sa vue – n’avait, en réalité, pas brûlé sa carte d’enrôlement, mais sa carte de classification. Il a malgré cela été jugé coupable de délit fédéral par un jury et condamné à un an de prison. Le juge a toutefois suspendu la peine pour deux ans et l’a placé sous liberté surveillée.

Dans les mois qui suivent, Simon se rend dans des universités pour parler de son geste de désobéissance civile.

Son activisme est brutalement interrompu le 29 août 1969, lorsqu’il est tué dans un accident de voiture dans le Massachusetts, en compagnie de deux camarades de classe.

S’il n’a jamais acquis la notoriété de figures comme Jerry Rubin ou Abbie Hoffman, il n’en a pas moins marqué les esprits, souligne Birnbaum.

« L’histoire est faite aussi par ceux dont on ne connaît pas les noms. Pas seulement par ceux qui savaient passer à la télévision. Le fait que Bob ait brûlé symboliquement sa carte a eu des conséquences bien réelles. Ce n’était pas un faiseur de mode, mais il a eu un véritable impact », ajoute Birnbaum.

En effet, dans sa Lettre à un juge rédigée pour sa défense, et publiée à titre posthume par la New School le 30 novembre 1969 Simon, écrivait « qu’en tant que défenseur de la démocratie, j’étais extrêmement pessimiste sur les retombées de notre action. Et pourtant, il semble que nous ayons joué un rôle modeste, mais réel et durable, dans la remise en cause de cette guerre – et des aventures impérialistes à venir. »

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