Afghanistan: Le dernier juif lutte pour conserver la seule synagogue – son foyer
Dans la région volatile de Kaboul, Zabolon Simantov est le dernier gardien d'une communauté juive autrefois prospère, installée depuis 1 500 ans
- Zabolon Simantov touche la mézuzah accrochée à sa porte, un signe affirmé de vie juive (Crédit : Ezzatullah Mehrdad/ Times of Israel)
- Zabolon Simantov dans la pièce où il vit, dans la synagogue qu'il appelle sa maison (Crédit : Ezzatullah Mehrdad/ Times of Israel)
- Le second étage où vit Zabolon Simantov et qui accueille également la dernière synagogue d'Afghanistan (Crédit : Ezzatullah Mehrdad/ Times of Israel)
- Zabolon Simantov avec son livre de prières juives (Crédit : Ezzatullah Mehrdad/ Times of Israel)
- Zabolon Simantov récite la prière Shema écrite dans son livre de prières, à son domicile dans la dernière synagogue de Kaboul (Crédit : Ezzatullah Mehrdad/ Times of Israel)
KABOUL, Afghanistan — Chaque vendredi, Zabolon Simantov, 52 ans, se douche et se rase en préparation de la journée de repos juive. Le samedi, alors que les 30 millions de musulmans vivant en Afghanistan reprennent leur travail hebdomadaire, il ferme son entreprise et revêt ses plus beaux vêtements pour la prière du matin du Shabbat.
Simantov vit seul dans le bâtiment décrépi qui accueille la dernière synagogue encore en service dans le pays, dans la capitale afghane de Kaboul.
Pendant des siècles, la communauté juive du pays – qui aurait atteint, à son apogée, le chiffre de 40 000 personnes – a rempli les nombreuses synagogues d’Afghanistan tous les vendredis soirs et samedis matins. Avec le temps, toutefois, la communauté a petit à petit décliné – passant à
10 000, puis à quelques centaines, enfin à 10, à 2 – et il ne reste aujourd’hui qu’un seul Juif dans le pays : Simantov.
Simantov explique rester en Afghanistan pour sauver le dernier lieu de culte du territoire et maintenir en vie la communauté juive.
« Je reste là pour m’occuper de la synagogue », dit-il. « Si je n’étais pas là, le terrain aurait déjà été vendu ».
Selon Simantov, le fils du chef de guerre et leader religieux Abdurrab Rasul Sayyaf a déjà détruit un cimetière juif de la province de Kaboul et vendu la terre sur laquelle il était installé.
La synagogue se trouve dans le centre de Kaboul, où les prix de l’immobilier sont parmi les plus élevés de la ville. Pour aider à déguiser le fait qu’une synagogue presque vide soit implantée dans un quartier hautement prisé (et aussi pour gagner sa vie), Simantov a transformé les lieux en restaurant – le Balkh Bastan, ou ancien Balkh – ouvert aux heures du déjeuner et du dîner. Il s’occupe également d’un cimetière situé à proximité en tant que dernier membre d’une communauté autrefois prospère.

Une histoire juive de 1 500 ans
La présence de Simantov en Afghanistan est le dernier vestige d’une histoire qui remonte à 1 500 ans, lorsque les Juifs venaient de l’Est et l’Ouest pour s’installer dans ce pays placé à la bordure du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.
Le docteur Davood Moradian, homme politique ayant servi sous la présidence de Hamid Karzai et chef de l’Institut afghan d’Etudes stratégiques, est l’un des rares experts sur la communauté juive d’Afghanistan.
« Deux communautés juives distinctes ont vécu en Afghanistan », explique Moradian qui a obtenu un doctorat à l’université de St. Andrews, en Ecosse.
« Il y avait une communauté née en Afghanistan puis une autre qui a immigré ici [plus récemment], quittant l’Asie centrale où la situation s’était détériorée pour elle sous la gouvernance soviétique, et qui est venue trouver refuge ici », dit-il.
Moradian ajoute que les Juifs afghans natifs du pays se concentraient majoritairement dans la ville de Hérat, à l’ouest, une ancienne métropole dont l’existence remonterait à l’an 500 avant l’ère commune. La communauté, toutefois, n’y était pas strictement confinée. Les Juifs vivaient également dans les villes majeures comme Kaboul, Mazar-e-Sharif et Ghazni.

En 2013, les chercheurs ont découvert un trésor constitué de rares documents Juifs afghans remontant au 11e et 13e siècles. Ces documents – des lettres et des articles liés aux affaires familiales mais également des copies de textes religieux et bibliques – ont été trouvés dans des grottes de la province de Bamyan, dans le centre de l’Afghanistan.
Au mois de septembre 2016, la Bibliothèque nationale d’Israël a rendu public 250 de ces textes afghans écrits en plusieurs langues, notamment en perse, en arabe, en judéo-perse, en judéo-arabe et en hébreu. Des reçus signés entre Juifs et musulmans suggèrent qu’à l’époque les deux groupes vivaient en harmonie, qu’ils commerçaient et faisaient des affaires l’un avec l’autre.
La création d’Israël, en 1948, a attiré la majorité des Juifs qui restait dans le pays et dans les années 1960, un nombre plus important encore de membres de la communauté a quitté l’Afghanistan en quête de meilleures perspectives économiques à New York et à Tel Aviv.
Moradian note que l’antisémitisme n’a pas été à l’origine de cet exode de masse, l’Afghanistan étant le seul pays musulman autorisant les Juifs à émigrer sans révocation de citoyenneté.
Des décennies de guerre qui divisent une famille
Parmi ceux qui ont choisi de partir, les proches de Simantov. Né à Hérat, où il a également passé son enfance, Simantov s’est installé en 1980 à Kaboul – il ne restait alors que peu de Juifs dans le pays. Dans l’incapacité de trouver une épouse en Afghanistan, Simantov s’est rendu au Turkménistan. Après s’être marié et être retourné dans son pays natal, il a découvert que la situation politique avait empiré de manière dramatique, suite à l’escalade de la guerre contre l’Union soviétique.
Craignant pour sa sécurité, Simantov a envoyé son épouse en Israël où elle vit actuellement avec les deux filles du couple, pas très loin de Tel Aviv. La situation en Afghanistan ne devait pas s’améliorer de sitôt : En 1996, les talibans sont arrivés au pouvoir, donnant le coup d’envoi à leur régime éphémère. A ce moment-là, il n’y avait plus que deux Juifs encore présents dans le pays : Simantov et un vieil homme, Isaac Levy.

Ironie de l’histoire, Simantov et Levy ne s’entendaient pas du tout. Devenus des ennemis jurés, se dénonçant continuellement l’un et l’autre aux autorités talibanes, ils ont fini tous les deux en détention, frappés et torturés – entraînant également la saisie de la seule Torah d’Afghanistan, qui a également été vendue.
Au moment de la mort de Levy à l’âge de 80 ans, en 2005, la coalition des Etats-Unis avait renversé le régime taliban. Même aujourd’hui, Simantov a des mots durs lorsqu’il évoque son ancien rival.
« Il était vieux », dit Simantov, condamnant encore Levy. « C’était un homme mauvais. Il voulait vendre la synagogue ».
Mais avec le décès de Levy, Simantov s’est retrouvé complètement seul – son épouse avait également rompu tout lien avec lui quelques années auparavant.
« Je suis allé en Israël une fois pendant deux mois en 1998 », se souvient Simantov. « Après cela, j’ai parlé à mes filles au téléphone mais dorénavant, ma femme ne me laisse plus le faire ».
Dans une région si volatile, il est dangereux de n’avoir que peu d’alliés. La synagogue, devenue l’habitation de Simantov et le dernier vestige d’une vie juive en Afghanistan, est vulnérable face aux attaques – dans l’éventualité où un groupe extrémiste ne décide de la prendre pour cible.

« Je suis un lion », s’exclame-t-il. « Rien ne peut me faire peur ».
Après un silence, il ajoute avec sérénité : « Je sors à peine dans la rue. La mort est proche ».
La plupart du temps, Simantov reste au deuxième étage de la synagogue, qu’il a partiellement rénovée pour aider le restaurant à engranger plus de bénéfices. Mais même ce revenu n’est pas suffisant pour répondre pleinement à ses besoins et Simantov l’augmente donc par un commerce de bijoux qu’il avait hérité de son père.
Simantov survit à peine dans ce complexe écrasant qu’il appelle son foyer. Mais son foyer réel, explique-t-il, se trouve en Israël.
« Dites ‘Shalom’ à Israël pour moi », dit Simantov, qui parle un petit peu hébreu, au journaliste dans son Dari perse natal. « Je t’aime, Israël ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel