Algérie : une maison d’édition fermée de force à cause d’un livre sur l’héritage juif du pays préfacé par une franco-israélienne
« L'Algérie juive » de Hédia Bensahli est considéré par le député islamiste Zouheir Fares comme une forme de « normalisation culturelle avec les sionistes » dans un pays où le récit officiel se radicalise

La maison d’édition Frantz Fanon, l’une des plus actives en Algérie, a été mise sous scellée pour une durée de six mois, le 14 janvier dernier, par décision du préfet de Boumerdès, en raison d’un livre, « L’Algérie juive », dont la préface a été écrite par l’autrice franco-israélienne Valérie Zenatti, a rapporté Le Monde.
Sur la porte de la maison d’édition, située dans cette ville à une quarantaine de kilomètres d’Alger, un sceau a été apposé pour acter la fermeture administrative et un document précise qu’elle a été décidée à la suite de la publication d’un « livre dont le contenu porte atteinte à la sécurité et à l’ordre public ainsi qu’à l’identité nationale et colporte un discours de haine ».
« L’Algérie juive. L’autre moi que je connais si peu », un essai signé Hédia Bensahli, retrace l’histoire des communautés juives algériennes et de leur apport à l’identité multiculturelle de ce pays du Maghreb. Publié en septembre 2023, le livre n’avait pas suscité de polémique particulière à ce moment-là.
Mais l’année suivante, le 26 octobre 2024, c’est-à-dire un an après le pogrom perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël, le début de la guerre à Gaza et l’explosion de l’antisémitisme partout dans le monde, une discussion avec Hédia Bensahli au sujet du livre, qui devait se dérouler dans un librairie d’Alger, a subitement été interdite.
L’annulation était intervenue quelques jours après qu’un député islamiste, Zouheir Fares, avait affirmé que le ministère de la Culture avait interdit l’événement suite à sa demande formelle. Fares avait également publié une lettre dans laquelle il qualifiait le livre de forme de « normalisation culturelle avec les sionistes [juifs] ».
L’éditeur de la maison Frantz Fanon, Amar Ingrachen, a alors été placé sous contrôle judiciaire et sa maison d’édition a été interdite d’exposition au Salon international du livre d’Alger.

La décision semble avoir été motivée par la contribution de Valérie Zenatti en préface de l’ouvrage. Plusieurs détracteurs de « L’Algérie juive » ont pointé du doigt le fait que l’autrice franco-israélienne avait effectué son service militaire dans l’armée israélienne en pleine Première Intifada, entre 1988 et 1990. Traitée de « génocidaire » sur les réseaux sociaux, l’autrice a déploré : « Tant de fantasmes projetés sur ma personne sans me connaître, ni m’avoir lue ».
De son côté, Hédia Bensahli a déploré le fait que le régime algérien tente d’imposer un discours historique uniformisé, qui met l’accent sur une homogénéité arabo-musulmane. L’Algérie, a-t-elle écrit, « est plurielle ! Nous concevons et ressentons parfaitement l’Algérie arabo-musulmane, nous admettons enfin l’Algérie berbère ; il me semble que nous devrions aussi nous pencher sur cette Algérie juive que nous connaissons si peu ».

La maison d’édition Frantz Fanon a dénoncé sur son compte Facebook une décision « illégale » du préfet de Boumerdès, arguant que comme Amar Ingrachen fait déjà l’objet d’un contrôle judiciaire, un « principe de droit universel interdit de poursuivre ou de sanctionner deux fois la même personne (physique ou morale) pour un même motif ».
Elle précise que « la loi algérienne stipule que seule la justice peut statuer sur le contenu d’un livre ». Citant « l’article 118 du code pénal [qui] précise même qu’aucune autorité administrative n’a le droit d’empiéter sur une affaire qui relève de la justice », la maison d’édition conclut qu’il s’agit d’une « violation multiple de la loi ».
Depuis quelques mois, le pouvoir algérien montre des signes de radicalisation, en particulier vis-à-vis du monde de la culture. En novembre 2024, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, critique acharné de l’islamisme et du pouvoir algérien, a été interpellé à l’aéroport d’Alger dans des conditions troubles et n’a toujours pas été libéré, malgré les appels répétés de la France en ce sens.
De même, l’auteur algérien Kamel Daoud, lauréat du prestigieux Prix Goncourt en septembre dernier pour son roman sur la guerre civile en Algérie, est la cible d’une campagne de dénigrement relayée par les autorités algériennes.