Antisémitisme: Paris appliquera la définition de l’IHRA intégrant l’antisionisme
"L'antisémitisme n'est pas le problème des Juifs, c'est le problème de la République", a martelé le chef de l'Etat français au dîner du Crif

Emmanuel Macron a annoncé mercredi que la France allait mettre en oeuvre une définition de l’antisémitisme élargie à l’anti-sionisme, sans toutefois modifier le Code pénal, dans un discours prononcé lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) à Paris.
« La France, qui l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah » (qui intègre l’anti-sionisme, NDLR), a dit le chef de l’État, en martelant que « l’anti-sionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » – à l’instar de son discours lors de la 75e cérémonie du Vel d’Hiv.
Il s’agit de recommandations, qui permettront de mieux former les agents publics, les policiers ou les enseignants à lutter contre l’antisémitisme, mais pas d’une modification des textes juridiques, a expliqué l’Elysée. Le président de la République avait fait part de cette décision un peu plus tôt au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui avait alors envoyé un communiqué à la presse.
« Il ne s’agit pas de modifier le code pénal, encore moins d’empêcher ceux qui veulent critiquer la politique israélienne de le faire, non, ni de revenir sur des sujets que nous connaissons et qui sont ceux de la politique internationale (…), il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent, derrière le rejet d’Israël, la négation même de l’existence d’Israël, la haine des juifs la plus primaire. »

« Le président Macron a informé le Premier ministre qu’il allait adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui a fixé que l’antisionisme est une forme d’antisémitisme », a affirmé un communiqué du bureau de M. Netanyahu. Celui-ci a exprimé son « estime » pour cette décision, selon le communiqué.
Le président israélien Reuven Rivlin avait plus tôt apporté mercredi son soutien au président français et au philosophe français Alain Finkielkraut face aux actes antisémites, qu’il a qualifié d’ « affront » à la France.
Quelques minutes avant le discours de M. Macron, le président du Crif, Francis Kalifat, en avait fait la demande. « À l’unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition lors de son adoption par l’IHRA en 2016 et encore tout récemment fin 2018 dans la résolution du Conseil européen sur la lutte conte l’antisémitisme. Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen, plusieurs États membres l’ont déjà intégrée dans leurs propres textes de référence », avait-il dit.
« L’antisionisme aujourd’hui constitue le visage dissimulé de l’antisémitisme », a pour sa part déclaré le député Eric Ciotti (LR), qui salue cette décision mais estime « personnellement » qu' »une résolution ne suffira pas » et demande « une traduction législative ».
Sur ce sujet, Gil Taïb et Joël Mergui ont dit leur satisfaction. « On demandait depuis des années la reconnaissance de l’antisionisme. Si les moyens sont mis en oeuvre pour que les paroles antisémites puissent être condamnées, c’est pour nous une avancée essentielle », a déclaré M. Taïeb.
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« Depuis plusieurs années, et la situation s’est encore aggravée ces dernières semaines, notre pays – comme d’ailleurs l’ensemble de l’Europe et la quasi-totalité des démocraties occidentales – est confrontée à une résurgence de l’antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale ».
« À nouveau, depuis plusieurs années, l’antisémitisme tue en France ». C’est bien que les visages peuplant ce soir nos consciences ne sont pas seulement ceux des héros que je viens d’évoquer mais bien ceux des martyrs récemment assassinés parce qu’ils étaient juifs », a-t-il poursuivi.

Quelles différences entre antisémitisme et anti-sionisme ?
« Il n’y a pas en France de définition officielle de l’antisémitisme, tout comme il n’y a pas de définition officielle, par exemple, du racisme anti-musulman ou envers les personnes asiatiques. Notre droit est fondé sur une conception universaliste et globale, pas sur un ciblage explicite de chaque religion », explique Frédéric Potier, le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).
L’avocat Richard Malka abonde : « La loi n’utilise jamais le terme ‘antisémitisme’. De même qu’elle n’utilise jamais le mot ‘juif’ ou ‘musulman’ ou ‘catholique' ».
L’antisémitisme est appréhendé par le droit pénal à travers la loi de 1881 sur la liberté de la presse, pour ce qui est des injures publiques, de la provocation publique à la haine et de la provocation publique à la discrimination fondées sur l’appartenance « à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Pas de définition officielle non plus de l’antisionisme.
Selon la Chancellerie, les tribunaux peuvent déjà condamner des personnes qui, « sous couvert d’un anti-sionisme de circonstance, véhiculent en réalité un antisémitisme réel ». « A charge pour l’accusation d’établir que le mobile final vise bien à s’en prendre à un individu soit à raison de sa religion, soit à raison de sa nationalité ».
Une proposition de loi
Un texte qui « reprendra les propositions » faites dans un rapport remis en septembre au Premier ministre, dont une vise à renforcer la pression sur les opérateurs du Net, dans le cadre d’un renforcement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet, sera déposé « dès le mois de mai » par la députée LREM Laëtitia Avia, a annoncé le président.
« La députée Laëtitia Avia déposera dès le mois de mai, c’est-à-dire dès la première fenêtre parlementaire possible au Parlement, une proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet reprenant les propositions de ce rapport », a expliqué le président.
« Nous devons à ce titre nous inspirer de ce que nos voisins allemands ont su faire de manière efficace et pragmatique : apporter des sanctions judiciaires, pénales et pécuniaires, appeler à la responsabilité des individus comme des plate-formes. Il s’agira de mettre fin aux stratégies d’éviction déployées par des sites étrangers qui, changeant régulièrement de serveurs, sont aujourd’hui très difficiles à bloquer. »
Ce texte « reprendra les propositions » faites dans un rapport remis en septembre au Premier ministre, qui vise à renforcer la pression sur les plateformes numériques dans le cadre d’un renforcement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, a-t-il dit.
Cette loi imposera aux plateformes de retirer les contenus appelant à la haine « dans les meilleurs délais » et de « mettre en oeuvre toutes les techniques permettant de repérer l’identité » de leurs auteurs et enfin responsabilisera ces plateformes sur le plan juridique -une annonce saluée comme « fondamentale » par le président du Consistoire Joël Mergui et Gil Taïeb vice-président du Crif.
Gilles Taieb, co-auteur du rapport de septembre, a précisé à l’AFP « qu’on s’oriente sur un délai de 24 heures ».
Macron a accusé « des plateformes comme Twitter, pour citer des mauvais exemples, qui attend des semaines ou des mois pour donner les identifiants qui permettent de lancer les procédures judiciaires » et « parfois prend des jours, des semaines pour retirer les contenus ainsi identifiés ».
Il s’est prononcé en revanche contre l’interdiction générale de l’anonymat sur internet qui pourrait « aller vers le pire ».

Emmanuel Macron a demandé la dissolution d' »associations ou groupements » racistes ou antisémites, à commencer par les organisations d’extrême droite Bastion social, Blood and Honour Hexagone et Combat 18.
« Parce que la période met en cause ce que nous sommes, la France doit tracer de nouvelles lignes rouges (…). J’ai demandé au ministre de l’Intérieur d’engager des procédures visant à dissoudre des associations ou groupements qui par leur comportement nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente », a déclaré le chef de l’Etat, citant nommément les trois organisations « pour commencer ».
Enonçant une ligne de conduite « poursuivre, punir et éduquer », il a également annoncé avoir demandé au ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, « de procéder à un audit des établissement marqués par le phénomène de déscolarisation des enfants de confession juive ».
« Quand une telle déscolarisation se passe, elle dit quelque chose, parfois de ce que nous voulions ou ne pouvions voir, de ce qui ne se disait plus », a-t-il estimé.
« L’école doit jouer à plein son rôle de rempart républicain contre les préjugés et contre la haine, mais aussi contre ce qui en fait le lit: l’empire de l’immédiateté, le règne d’une forme de relativisme absolu. L’enseignement de la méthode scientifique, de la méthode historique sera renforcée. Tous les enfants de France seront sensibilisés au temps long des grandes civilisations », a-t-il souligné.
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« L’antisémitisme n’est pas le problème des Juifs, c’est le problème de la République », a martelé le chef de l’Etat.
« La honte doit changer de camp », a martelé le chef de l’État, ajoutant, ému : « Nous sommes chez nous. Nous tous ». Cette déclaration entendait répondre au slogan « On est chez nous », largement scandé dans divers rassemblements d’extrême droite depuis plusieurs années.
La France a connu récemment une multiplication d’actes antisémites – +74 % en 2018. Mardi, 96 tombes ont été découvertes profanées dans un cimetière juif alsacien.
L’intellectuel et membre de l’Académie française Alain Finkielkraut a été violemment pris à partie samedi en marge d’un défilé des « gilets jaunes » par des manifestants, dont l’un a notamment utilisé le mot « sioniste ». Cela a suscité un débat en France sur le sens à donner à ce mot dans ce contexte.
Quelques jours plus tôt, des portraits de Simone Veil, rescapée d’Auschwitz et figure récemment décédée de la vie politique française, avaient été barrés d’une croix gammée. Et un arbre planté à la mémoire d’Ilan Halimi, un jeune juif torturé à mort en 2006, avait été retrouvé scié.
Des rassemblements contre l’antisémitisme se sont tenus mardi dans de nombreuses villes à travers la France, notamment place de la République à Paris où près de 20 000 personnes ont dénoncé ces actes.
« La masse n’était pas là, la foule n’était pas là », a ainsi regretté à l’antenne de la chaîne CNews l’avocat Serge Klarsfeld, connu pour sa traque d’anciens nazis. « L’antisémitisme, ça ne se guérit pas facilement, c’est un travail très long ».
En 2018, l’Agence juive estimait à 45 000 – un dixième de la communauté – le nombre des juifs de France ayant fait leur alyah, l’émigration vers Israël, en une décennie.
Dans son discours, le président du Crif, Francis Kalifat, avait lancé un appel aux musulmans et aux imams à lutter contre l’antisémitisme et à « en finir avec la justification religieuse de la haine des juifs ».
Il avait également dénoncé « l’antisémitisme de certains musulmans, l’antisémitisme de certains gilets jaunes ».
« L’engagement du président français Macron d’adopter la définition de l’IHRA, reconnaissant ainsi que l’antisémitisme est un problème dominant qui doit être abordé de manière frontale et universelle, est une étape encourageante. Cependant, il ne s’agit que du début d’un long chemin à parcourir et nous devons tous continuer à être aussi vigilants que possible. Des actions, et non des mots, sont nécessaires pour éradiquer réellement ce problème. L’adoption de cette définition de l’antisémitisme doit être suivie de mesures concrètes pour légiférer et veiller à son application dans tous les domaines, » a déclaré Ronald S. Lauder, président du Congrès juif mondial, qui s’est dit prêt à aider le gouvernement français.