Au Grand Bal de l’Europe, la fièvre de la « danse trad »
Le festival accueille toute "la richesse de musiques et danses venues de toute l'Europe et d'ailleurs" – et notamment d'Israël –, explique le fondateur du festival
Ils virevoltent et tourbillonnent à l’unisson sur le parquet, seuls, à deux ou à cent. Dans l’Allier, le Grand Bal de l’Europe réunit chaque année quelque 2 500 danseurs passionnés de musiques et danses traditionnelles qui séduisent toutes les générations.
Nichée au coeur de la campagne bourbonnaise, à Gennetines, près de Moulins, la manifestation, qui fête ses 30 ans cet été, affiche complet jusqu’au 2 août.
« C’est la Mecque du bal folk. Tout le monde se retrouve là. C’est le premier à avoir mis l’accent sur la transmission », confie Fabien Bucher, l’un des musiciens du groupe Bal O’Gadjo, dont les mélodies s’ouvrent aux cultures balkanique et méditerranéenne.
Sur huit parquets, on danse sans s’arrêter. La journée, c’est l’heure des ateliers pour l’apprentissage de la technique, le soir les bals qui durent jusqu’au petit matin.
« C’est un lieu d’apprentissage intense. On s’entraide et on danse jusqu’à plus ne plus sentir ses jambes », assure Amanda Robert, 37 ans, venue du Gard.
Sur la piste, quelques cavaliers malhabiles corrigent leurs pas quand leur partenaires plus expérimentés les guident parfois les yeux fermés aux sons de violons, flûtes, accordéons ou autres cornemuses.
« Tout le monde est là pour danser, pas pour draguer ou se montrer. On lâche tout jusqu’à atteindre une émotion intense, une joie pure. On se sent vivant », s’enthousiasme une autre participante venue d’Annecy, Anna Maria Vital, 50 ans.
Mazurkas, bourrées à deux ou trois temps, chapeloise, scottish, cercle circassien, contredanses anglaises, danses créoles, d’Israël, de Grèce ou de Catalogne, le choix est vaste.
« Il y a toutes les écoles de pensée, différentes manières d’enseigner et la richesse de musiques et danses venues de toute l’Europe et d’ailleurs », explique le fondateur du festival Bernard Coclet, à la tête d’une armée de 450 bénévoles.
L’ouverture à l’Europe était déjà inscrite dans les gènes du festival dès ses débuts sur l’ancienne ferme familiale. « Quand on danse, on s’ouvre forcément vers l’autre », affirme ce grand spécialiste de la bourrée.
Nuits blanches
D’ailleurs, plus d’un tiers des participants vient de l’étranger. Comme Katarina Vidal, originaire de Slovaquie, qui vient chaque été depuis 21 ans, son « addiction ». « Pour mon premier bal, je dormais 1H30 chaque jour pendant une semaine. »
Pour le repos des danseurs, un espace équipé de hamacs a été aménagé. D’autres dorment à la belle étoile, sur le gazon, au camping voisin ou dans des gites à proximité.
Gabriele Gunella, joueur de vielle à roue du Piémont (Italie), se souvient lui aussi de ses débuts, « un choc ». « J’avais les yeux grands ouverts, comme un enfant dans un magasin de jouet », raconte ce bénévole.
Sous les chapiteaux, jeunes, familles et personnes âgées bravent la canicule et la fatigue. Ca se croise, se frôle, communique « par le geste et le sourire ».
« Le bal, c’est l’un des derniers endroits où l’on se touche, même si l’on ne se connaît pas, où les corps se rencontrent. Cela fait des décennies qu’on ne danse plus alors que l’humanité a toujours dansé. Ici, on recrée du lien », explique la réalisatrice Laetitia Carton dont le film « Le Grand Bal », présenté l’an passé à Cannes et nommé cette année aux Césars, a donné un coup de projecteur au festival.
« Cette dimension collective, on la retrouve dans les raves, les tecknivals, mais c’est ‘déterritorialisé’. A Gennetines, on retrouve la singularité d’un territoire », souligne la jeune femme présente sur place.
« Pas besoin de langage verbal, on s’apprivoise par le corps », abonde Amanda Robert, professeur de français.
Tous partagent un goût pour un même répertoire « trad », « folk », « néo-trad », « de pays ». et il est de de plus en plus en vogue de revisiter les traditions populaires avec des sonorités d’aujourd’hui.
« Des musiques à danser pas folkloriques mais bien vivantes, en gestation permanente, intergénérationnelles. Un hymne aussi à la liberté individuelle dans la communauté, c’est punk quoi ! », fait valoir Patrick Bouffard, de la formation Central Bal, emblématique du centre de la France, tout vêtu de cuir noir.
« Le bal trad, c’est mieux que la boîte de nuit ! On ne danse pas dans son coin, on se regarde beaucoup, il y a une synergie », lance Romy Gaudefroy, 21 ans, entourée d’un groupe d’amis.
Parmi eux, la bourrée à deux temps fait l’unanimité : « C’est dynamique, ‘je te suis, je te fuis’, il y a les pas de base mais on peut beaucoup improviser », s’enthousiasme son copain de bal de Romy, Léo Jouberton, en mimant les gestes, avant de reprendre le chemin des parquets.