Audition d’universitaires US à la Chambre des représentants pour mettre fin aux camps anti-Israël
Les présidents de Northwestern et de Rutgers, que le chef du comité républicain accuse de "capituler face aux délinquants antisémites", assurent ne pas avoir cédé aux manifestants

Les présidents des universités Northwestern et Rutgers ont défendu leur décision de mettre fin aux campements anti-israéliens en concluant des accords avec les manifestants pro-palestiniens, affirmant lors d’une audience devant une commission de la Chambre des Représentants des États-Unis, jeudi, qu’ils avaient ainsi désamorcé le conflit sans pour autant avoir cédé face aux manifestants.
« Il fallait faire cesser ce campement », a déclaré Michael Schill, de Northwestern. « La solution policière ne nous permettrait pas d’assurer la sécurité des personnes, et ce n’était peut-être pas non plus la solution la plus sage, comme nous l’avons vu ailleurs aux Etats-Unis. »
Schill et Jonathan Holloway, de Rutgers, ont été convoqués par la commission de l’éducation et des ressources humaines de la Chambre dans le cadre d’audiences dédiées à l’action des universités face aux allégations d’antisémitisme.
Gene Block, chancelier de l’Université de Californie à Los Angeles, a également témoigné de son action en matière de gestion des troubles sur le campus, et notamment de l’intervention policière tardive suite à des violences entre manifestants pro-palestiniens et contre-manifestants, après des jours d’escalade des tensions au cours desquels des étudiants juifs ont été harcelés.
L’enquête du comité s’est étendue aux grandes universités publiques, UCLA et Rutgers, après des audiences axées dans un premier temps sur les universités privées de l’Ivy League.
A l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes à Harvard, ce jeudi, des centaines d’étudiants en tenue traditionnelle ont scandé le slogan « Libre, Palestine libre ». L’établissement avait annoncé mercredi que 13 étudiants ayant pris part à un campement de protestation ne se verraient pas remettre leur diplôme en même temps que leurs camarades de classe.
Lors de l’audience au Capitole, les Républicains de la commission ont reproché aux dirigeants d’université d’avoir toléré l’antisémitisme, particulièrement Northwestern et Rutgers, qui ont conclu des accords pour mettre un terme ou limiter les manifestations.
Ni Northwestern ni Rutgers n’ont accepté de rompre les liens commerciaux avec Israël, qui était l’une des principales demandes des manifestants. Rutgers a accepté d’évoquer la question et Northwestern a relancé une commission sur la « responsabilité des investissements ». Une autre demande tenait notamment à l’approfondissement du soutien institutionnel aux étudiants et universitaires musulmans et arabes. Rutgers s’est engagé à ne pas exercer de représailles contre ceux qui ont participé aux manifestations.

L’accord conclu par l’université de Northwestern est de loin le plus controversé de tous ceux – ils sont une dizaine – conclus par les universités. Il a en effet conduit à la dissolution du comité consultatif sur l’antisémitisme de l’établissement, suite à la démission de ses membres juifs en guise de protestation et aux appels des dirigeants des principales organisations juives à la démission de Schill.
« Vous devriez avoir honte de ces décisions qui ont permis aux campements antisémites de mettre en danger les étudiants juifs », a déclaré la représentante républicaine Virginia Foxx, de Caroline du Nord, par ailleurs présidente de la commission. « M. Schill et Dr Holloway, vous devriez avoir doublement honte d’avoir capitulé face à ces délinquants antisémites. »
Les présidents ont affirmé avoir un temps envisagé de faire intervenir la police mais finalement jugé que ce n’était pas nécessaire.
« Nous avons fait un choix – le choix d’amener nos étudiants à dialoguer, en première intention, et non de les livrer à l’intervention de la police », a déclaré Holloway. « Nous avions vu ce qui s’était passé ailleurs, dans d’autres universités, et nous voulions gérer les choses différemment. »

Schill a indiqué que les étudiants étaient prêts à négocier et parvenir à un compromis n’incluant pas le désinvestissement, qui était pourtant leur principale demande. Il a ajouté avoir accepté le principe de la création d’un espace pour les étudiants musulmans, susceptible de les accueillir pour manger et prier, dont d’autres communautés religieuses disposent sur le campus.
« Nos étudiants étaient prêts à négocier et abandonner leurs revendications », a précisé Schill. « Nous avons dit non à tout ce qui ferait d’Israël une cible. Nous avons voulu réfléchir à ce qui pourrait renforcer l’université. »
Les manifestants ont présenté ces accords comme des victoires. Mais au Capitole, les présidents ont assuré ne pas avoir cédé de terrain.
« Je ne recommanderais jamais au conseil d’administration de désinvestir quoi que ce soit ou de boycotter Israël », a déclaré Schill.
Malgré cela, Foxx a répliqué que Schill « a donné l’impression » de soutenir le désinvestissement, « ce qui a encouragé d’autres universités à céder sur ce point ».

Chacun des présidents a dénoncé la montée palpable de l’antisémitisme depuis l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre, qui a déclenché la guerre à Gaza. Schill et Block, qui sont juifs, ont dit leur dégoût face aux discours et à l’imagerie utilisés par les manifestants.
Block a déclaré que les universités publiques faisaient face à une situation particulièrement difficile, tenues de protéger les étudiants des discriminations et de défendre la liberté d’expression. Contrairement aux universités privées, les universités publiques sont liées par le premier amendement. Même les discours de haine doivent être protégés, a rappelé Block, mais l’UCLA a placé la ligne de partage au niveau des menaces et du harcèlement.
Il a exprimé des remords pour sa gestion d’un campement de l’UCLA, attaqué début mai.
« C’est regrettable, il a fallu plusieurs heures aux forces de l’ordre pour mettre un terme aux violences », a-t-il confié, « Avec le recul, nous aurions dû démanteler le campement dès que la sécurité de notre communauté avait été mise en danger. »
La représentante démocrate du Minnesota, Ilhan Omar, a reproché à Block de ne pas avoir réagi plus rapidement aux violences des militants pro-israéliens à l’UCLA, sans faire ouvertement référence à l’idéologie des assaillants, qu’elle a décrits comme des « agitateurs rassemblés près du campement dans l’intention de provoquer des violences ».
Elle a récemment été accusée par l’Anti-Defamation League de « diffamation » pour ses propos sur des étudiants juifs, alors qu’elle rendait visite à sa fille sur le campement anti-israélien de Columbia, à savoir « Vous devriez avoir honte de laisser une manifestation pacifique se faire vampiriser par une foule en colère ».
Elle a également évoqué une tactique de contre-manifestation pro-israélienne vue sur le campus de l’UCLA, à savoir le fait d’utiliser un écran et un haut-parleur pour projeter des vidéos de l’attaque du Hamas du 7 octobre sur les campements. Elle n’a pas précisé que les images en question étaient celles du 7 octobre, se bornant à parler d’« images ignobles et dérangeantes ». Elle a par ailleurs fait une discrète allusion au désaccord juif sur les campements en inscrivant dans le compte rendu du Congrès une lettre ouverte du corps professoral et du personnel juif de l’UCLA, sans pour autant en décrire le contenu. Il pourrait s’agir du courrier d’une faculté juive reprochant à Block sa mauvaise gestion du campement et disant notamment: « Les critiques d’Israël ne sont pas présumées antisémites ».
Mercredi, le chef de la police de l’UCLA a été affecté à un autre poste « dans l’attente d’un examen de nos processus de sécurité », explique un communiqué de l’école.

Un nouveau campement anti-Israël est apparu sur le campus de l’UCLA au moment-même où Block témoignait. « Notre personnel de sécurité est sur place et suit de très près les événements », a déclaré par voie de communiqué Mary Osako, vice-chancelière des communications stratégiques de l’UCLA.
Le campement a été abandonné à la mi-journée, à l’arrivée des forces de l’ordre qui ont décrété le caractère illégal du rassemblement. Des policiers ont repoussé des manifestants rassemblés à l’extérieur du campement, mais cette fois sans les affrontements vus trois semaines plus tôt. Un petit groupe de manifestants a par la suite organisé un sit-in à l’intérieur d’un bâtiment voisin, avant d’être évacués par des agents.

Comme lors des précédentes audiences, les républicains ont pressé les dirigeants de prendre des mesures disciplinaires. Ils leur ont ainsi demandé combien d’étudiants avaient été expulsés et combien de professeurs avaient été licenciés depuis le 7 octobre en raison des incidents antisémites.
Aucun des présidents n’a évoqué le cas d’étudiants expulsés, alors même que des dizaines d’enquêtes sont en cours. Quatre étudiants ont été suspendus à Rutgers, a précisé Holloway.
Schill a expliqué que ces chiffres n’étaient aucunement le reflet de l’inaction.
« Le fait que nous n’ayons pas encore suspendu ou expulsé des élèves ne signifie pas que les élèves n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires », a-t-il indiqué. « Il y a tout un tas de sanctions disciplinaires, et ces élèves en ont fait l’objet. »
Schill s’est querellé avec la représentante républicaine Elise Stefanik, de New York, au sujet d’une conversation qu’il aurait eue avec le directeur de l’école Hillel.
« N’est-il pas vrai que vous ayez demandé au directeur de Hillel s’il était possible de mettre un antisioniste à la tête de Hillel ou au poste de rabbin ? » a demandé Stefanik, très active lors de précédentes audiences sur la question.
« Absolument pas. Je n’engagerais jamais quelqu’un en fonction de son opinion sioniste ou antisioniste. Ce n’est pas dans mes façons de faire », a répondu Schill.
« Ce n’est pas ce que disent ceux qui se sont présentés devant cette commission pour le dénoncer », a rétorqué Stefanik.

Stefanik a évoqué la note « F » donnée par l’Anti-Defamation League à l’action de Northwestern en matière d’antisémitisme. (Les Juifs de plusieurs écoles ont critiqué le projet de bulletin de l’ADL.) Le Représentant de la Californie, Kevin Kiley, s’est dit d’accord avec l’appel à la démission de Schill du PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt.
« Je m’associe aux commentaires de l’ADL », a déclaré Kiley, parlant de Schill comme du « cas le plus facile qui soit. Vous avez accepté les demandes de ceux qui tentent de faire évoluer la politique universitaire dans un sens antisémite. »
Juriste et chantre convaincu de la liberté d’expression qui a assumé la présidence du campus en 2022, Schill a repoussé les questions, se montrant nettement plus pugnace que les autres présidents d’université convoqués devant le Congrès.
« Je suis offensé que vous me disiez ce que je pense », a-t-il rétorqué au Représentant de l’Utah, Burgess Owens, lors d’un échange de vues sur les liens de Northwestern avec le Qatar et son média d’État, Al Jazeera, accusé d’incitation pro-Hamas.
Lorsqu’on lui a demandé s’il reprendrait ou non les contrevenants au règlement intérieur de l’établissement à la rentrée prochaine, Schill a répondu : « Ce n’est pas ainsi que fonctionnent les procédures. »
Face à la résistance des législateurs, de part et d’autre de l’échiquier politique, Schill a également défendu sa décision de ne pas impliquer la commission sur l’antisémitisme dans l’accord, alors même qu’il s’est par ailleurs engagé à rétablir cet organe.
La tension autour de la guerre entre Israël et le Hamas est au plus haut, sur les campus, depuis l’automne et particulièrement ces toutes dernières semaines, avec la série de campements anti-israéliens qui a donné lieu à plus de 3 000 arrestations dans tout le pays.
Suite aux premières audiences du Congrès en décembre dernier, le tollé des donateurs, étudiants et politiciens avait conduit à la démission des présidents de Harvard et de l’Université de Pennsylvanie, qui avaient apporté des réponses prudentes voire hésitantes à la question de savoir si les appels au génocide des Juifs étaient contraires au règlement intérieur de leur établissement.
En avril, la commission s’était tournée vers la présidente de Columbia, Minouche Shafik, qui a adopté une approche plus conciliante face aux questions des Républicains. Ses concessions en matière de liberté académique du corps professoral ont contrarié les étudiants et les professeurs de Columbia. Son témoignage et sa décision ultérieure d’appeler la police ont eu pour effet d’intensifier les manifestations sur le campus, ce qui a incité les étudiants d’autres universités à faire de même.
Initialement, ce sont les présidents de Yale et de l’Université du Michigan qui auraient dû témoigner ce jeudi. Mais la commission a préféré donner la priorité d’examen à Northwestern et Rutgers suite à la conclusion par ces derniers d’accords avec les manifestants pro-palestiniens dans le but de circonscrire sinon démanteler les campements.