Avec la frappe aérienne, Israël exprime son opposition à l’accord de cessez-le-feu en Syrie
En bombardant un site de fabrication de missiles et d'armes chimiques, le message délivré est clair : 'nous agirons, quoi qu'il se passe'
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Le moment choisi pour la frappe aérienne de l’armée israélienne contre une usine de développement d’armements syrienne jeudi matin n’aurait pas pu être plus juste.
Cette frappe aérienne s’est produite près de 10 ans après qu’Israël a détruit un réacteur nucléaire syrien ; quelques semaines après que le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah s’est rendu à Damas ; deux semaines après la rencontre entre les chefs d’État russes et israéliens ; au lendemain d’un rapport des Nations unies qui accuse formellement le régime de Bashar el-Assad d’être à l’origine de l’attaque au gaz sarin au début de l’année ; et au cœur du plus gros exercice de l’armée israélienne en 20 ans, dans le cadre duquel des dizaines de milliers de soldats simulent une guerre avec le Hezbollah, un acteur clef de l’axe Iran-Syrie.
En plus des gains stratégiques liés à la destruction d’une telle installation, la frappe de jeudi matin envoyait également un message clair à la Syrie, à l’Iran, au Hezbollah, ainsi qu’aux États-Unis et à la Russie, indiquant qu’Israël continuerait à agir dans le pays ravagé par la guerre si nécessaire, indépendamment des cessez-le-feu conclus entre le régime et les rebelles.
La cible était une usine du Centre syrien d’études et de recherches scientifiques (CERS), qui produirait et stockerait des armes chimiques et des missiles de précision, en périphérie de la ville de Masyaf, dans la région de Hama, au nord-ouest de la Syrie, à 300 kilomètres de la base aérienne la plus septentrionale d’Israël.
« [La frappe] a ciblé un centre militaro-scientifique syrien, pour le développement et la fabrication, entre autres choses, de missiles de précisions, qui vont jouer un rôle important dans le prochain round des conflits », a écrit le major de division Amos Yadlin, ancien chef du renseignement militaire de l’armée israélienne sur Twitter.
Le major de division Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale, a également souligné que les roquettes tirées par le Hezbollah sur la gare ferroviaire de Haïfa durant la seconde guerre du Liban en 2006, et qui ont fait 8 morts, avaient été fabriquées à l’usine de Masyaf.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dit avoir affirmé explicitement au président russe Vladimir Poutine qu’Israël agira en Syrie, durant leur rencontre à Sotchi la semaine dernière.
« Nous agirons quand cela sera nécessaire, selon nos limites », a déclaré Netanyahu aux journalistes après leur rencontre. « Nous l’avons déjà fait par le passer, sans demander d’autorisation, mais nous avons indiqué quelle était notre politique. »
Mais bien que déclarer publiquement sa politique envoie un message aux alliés et ennemis d’Israël sur ses intentions, rien n’est plus explicite qu’un missile.
Yadlin a souligné que la Russie et les États-Unis, qui aident à négocier et à maintenir un cessez-le-feu en Syrie, ont « ignoré les limites qu’Israël a posées ».
Par exemple, la semaine dernière, le quotidien arabe Asharq al-Awsat a indiqué que les États-Unis ont accepté de laisser les milices soutenues par l’Iran prendre position dans les 10 kilomètres de la frontière israélienne, dans le plateau du Golan. Cette idée perturbe l’État hébreu, parce que cela créerait un nouveau front potentiel pour les groupes terroristes dans un conflit prochain.
Selon Yadlin, la frappe a servi à montrer que la présence des troupes russes et de leurs systèmes de défense aérienne « ne peut empêcher les actions attribuées à Israël en Syrie ».
Les frappes aériennes israéliennes en Syrie ne sont pas quotidiennes, mais sont devenues assez régulières durant cette guerre civile, qui a commencé en 2011. L’État juif a longtemps maintenu sa politique des « lignes [rouges] », qui consistait à agir si elles étaient franchies.
Et pourtant, la frappe de jeudi représentait un changement de stratégie pour Israël, a expliqué Amidror dans une conférence par téléphone avec des journalistes, organisée par l’Israel Project.
Yadlin a écrit que l’attaque n’était pas « routinière ». En effet, c’est la première attaque apparemment menée par l’armée de l’air israélienne depuis que l’entrée en vigueur du cessez-le-feu négocié par les Russes et les Américains au début de l’été.
Israël a fait part de ses doutes sur ce pacte, qui, dit-il, permet à l’Iran de s’enraciner à la frontière du Golan, au sud de la Syrie.
Selon Amidror, la frappe sur la base du CERS était la première frappe qui ne soit pas destinée à un convoi d’armes du Hezbollah, à une usine du Hezbollah sur une base syrienne, mais bien à un site de production du régime d’Assad.
L’ancien conseiller à la sécurité nationale a associé la frappe à la visite de Nasrallah à Damas la semaine dernière. Il a expliqué que durant la visite du chef terroriste en Syrie, il a probablement obtenu qu’Assad « transfère cette usine au Hezbollah, ou au moins fournisse des armes au Hezbollah ».
Amidror a fait remarquer qu’il n’avait pas accès aux renseignements lui permettant de confirmer cette spéculation, mais que la « seule explication logique pour cette attaque » était que les armes de la base de Masyaf allaient être donnée au groupe terroriste, ce qui constitue une violation des « limites » posées par Israël.
Il a ajouté que la cible de la frappe est probablement le centre de fabrication des missiles sur la base, et pas nécessairement les armes chimiques. Bien que l’on pense que le Hezbollah ait une réserve de plus de 100 000 missiles, Amidror a déclaré qu’il ne savait pas si le groupe terroriste détenait des armes chimiques en quantité significative.
Certains aspects du timing de cette frappe ne sont rien d’autre qu’une coïncidence. Le dixième anniversaire de l’Opération Orchard, nom donné à la frappe israélienne sur des installations nucléaires syriennes, et la publication du rapport onusien accusant Assad de crimes de guerre n’ont probablement pas été des facteurs décisifs de cette frappe.
Selon Amidror, l’important exercice militaire israélien pourrait avoir servi de renfort pour la frappe, mais n’est probablement pas entré en compte non plus.