Baisse de l’aide à Gaza : une nouvelle formalité douanière israélienne contestée
L’aide jordanienne s’est interrompue en raison de désaccords et les flux commerciaux se sont ralentis ces dernières semaines lorsqu’il s’est avéré que le Hamas bénéficiait d'accords

Les livraisons d’aide alimentaire à Gaza ont fortement diminué ces dernières semaines en raison d’une toute nouvelle réglementation douanière applicable à certaines formes d’aide humanitaire et d’une limitation concomitante du volume des livraisons commerciales, ont déclaré à Reuters des personnes impliquées dans l’acheminement de marchandises vers ce territoire en proie à la guerre.
Cette toute nouvelle réglementation douanière s’applique aux convois affrétés par l’ONU pour acheminer l’aide humanitaire venue de Jordanie via Israël, ont indiqué sept sources proches du dossier. En vertu de cette réglementation, les membres des organisations humanitaires qui convoient de l’aide doivent remplir un formulaire indiquant leur numéro de passeport et endosser la responsabilité de toute fausse information concernant un envoi, ajoutent les sources.
Elles précisent que les agences humanitaires contestent le principe de cette nouvelle exigence, annoncée à la mi-août, et craignent que la signature du formulaire n’expose ses personnels à des problèmes juridiques si l’aide venait à tomber entre les mains du Hamas ou d’autres ennemis d’Israël.
En conséquence, depuis maintenant deux semaines, l’aide ne transite plus par la Jordanie, un acteur pourtant clé pour l’approvisionnement de Gaza. Le conflit n’affecte pas l’aide acheminée via Chypre ou l’Egypte, ajoutent les sources.
Par ailleurs, les autorités israéliennes ont revu à la baisse le volume des livraisons commerciales de produits alimentaires à Gaza, de crainte que le Hamas ne profite de ce commerce, ont indiqué des personnes proches du dossier et des sources industrielles.
Lors de son discours à la 79e Assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait condamné le Hamas qui profitait de l’aide humanitaire au détriment des Gazaouis, indiquant que le groupe terroriste revendait les aides. Netanyahu avait indiqué que mettre fin à cette pratique était devenu un nouvel objectif pour l’armée.
Les chiffres des Nations unies et du gouvernement israélien montrent qu’en septembre, les livraisons de nourriture et d’aide ont atteint leur plus bas niveau depuis sept mois.

L’agence civile de coordination israélienne pour les territoires palestiniens (COGAT), en charge de l’aide et des expéditions commerciales vers Gaza, a confirmé qu’aucun convoi affrété par l’ONU n’avait quitté la Jordanie pour Gaza depuis le 19 septembre, mais un porte-parole a déclaré que ce n’était pas Israël qui bloquait les marchandises.
Le porte-parole a renvoyé les questions de Reuters sur le différend concernant le nouveau formulaire au ministère israélien de l’Economie, auxquelles le porte-parole n’a pas souhaité répondre. Le porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), organe de réponse aux urgences de l’ONU, a refusé de commenter. Le COGAT n’a pas répondu aux questions spécifiques sur les expéditions commerciales.
Ces deux restrictions, qui n’avaient pas été annoncées, ont ravivé l’inquiétude des travailleurs humanitaires selon lesquels l’insécurité alimentaire pourrait s’aggraver pour les 2,3 millions de Gazaouis de l’enclave palestinienne ravagée par la guerre, où Israël combat le groupe terroriste Hamas depuis un an.
« Ce manque de nourriture est l’un des pires que la guerre ait connu, en particulier ces dernières semaines », a déclaré à Reuters par téléphone Nour al-Amassi, un médecin qui travaille dans le sud de Gaza.
« Nous pensions pouvoir maîtriser la situation, mais la situation s’est aggravée. Ma clinique traite 50 enfants par jour pour des blessures et des maladies. En moyenne, 15 d’entre eux souffrent de malnutrition. »
Selon les statistiques du COGAT, le nombre de camions transportant de la nourriture et d’autres biens vers Gaza est tombé à environ 130 par jour en moyenne en septembre. Ce chiffre est bien inférieur aux 150 camions quotidiens depuis le début de la guerre et encore plus loin des 600 camions nécessaires chaque jour, selon l’Agence américaine pour le développement international, pour faire face à la menace de famine en temps de guerre.

L’insécurité alimentaire est l’un des problèmes les plus épineux de cette guerre qui a commencé après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, au cours de laquelle plus de 1 200 personnes ont été massacrées et 251 prises en otages.
Israël nie mener une « politique assumée de famine » dans la bande de Gaza, et le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) de juin a révélé que son évaluation précédente, qui annonçait une famine avant juillet, était totalement inexacte.
En mai, les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) ont demandé à la Cour d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyahu, affirmant qu’ils soupçonnaient les autorités israéliennes d’avoir utilisé « la famine des civils comme méthode de guerre ».
Les autorités israéliennes nient ces allégations et affirment même faire le maximum pour que l’aide parvienne à Gaza en dépit de conditions difficiles. En septembre, elles ont déposé deux recours officiels auprès de la CPI pour contester la légalité de la demande du procureur et la compétence de la Cour.
Itinéraires chaotiques
Depuis le début de la guerre, l’aide à Gaza a été acheminée par plusieurs voies, au gré des décisions du moment, expliquent des responsables de l’ONU et d’Israël.
Avant la guerre, la principale voie d’acheminement de l’aide humanitaire passait par l’Egypte, après les contrôles israéliens. Mais depuis la fermeture du poste frontière de Rafah en mai, au début d’une opération israélienne dans la ville la plus méridionale de Gaza, l’aide humanitaire de l’ONU passant par là a diminué du fait de l’insécurité qui rend son organisation de plus en plus difficile, estiment les agences humanitaires de l’ONU.
En mai, une opération menée par les Etats-Unis a permis d’acheminer l’aide humanitaire par bateau sur un quai, mais celui-ci a été endommagé par les tempêtes et abandonné en juillet. Selon les travailleurs humanitaires, des cargaisons destinées à un acheminement par bateau n’ont toujours pas été livrées à Gaza, même après avoir été redirigées par le port israélien d’Ashdod.

Israël a ouvert la route en provenance de Jordanie en décembre dernier, ce qui a permis aux camions de passer directement du Royaume hachémite vers Gaza. Les travailleurs humanitaires de l’ONU et des ONG affirment que le corridor jordanien était de loin le plus fiable, et ce, jusqu’à sa récente suspension.
Le transport par cette route avait été rendu possible par un accord entre les autorités israéliennes et la Jordanie simplifiant les procédures douanières applicables à l’aide humanitaire transportée par les agences de l’ONU.
Mais à la mi-août, le COGAT a informé les agences humanitaires de l’ONU que cette procédure accélérée avait été révoquée, ont indiqué des sources proches du dossier, ce qui a eu pour effet de renchérir les coûts et rallonger les délais de livraison.
Le nouveau formulaire douanier constitue un casse-tête de plus, regrettent les sources, ajoutant que l’ONU avait proposé une alternative dont ils espéraient qu’Israël se saisirait.
Baisse des importations commerciales
Les sources font par ailleurs état d’une récente baisse des approvisionnements commerciaux, ce qui aggrave les inquiétudes concernant la faim à Gaza.
Avant la guerre, les importations commerciales effectuées par les commerçants basés à Gaza constituaient la majorité des 500 camions entrant quotidiennement dans le territoire.
Israël a interrompu la plupart de ces livraisons lorsque la guerre a éclaté, mais a autorisé la reprise des importations de nourriture en provenance du territoire israélien en mai, ce qui a permis d’augmenter l’approvisionnement en produits frais, en complément de l’aide, ont déclaré quatre commerçants de Gaza et quatre responsables de l’ONU.

Mais les expéditions commerciales ont chuté d’une moyenne quotidienne de 140 camions en juillet à 80 en septembre, selon les statistiques du COGAT. Les deux dernières semaines de septembre, les commerçants de Gaza ont déclaré que la moyenne quotidienne avait encore diminué, pour atteindre 45 camions.
Les autorités israéliennes encouragent l’approvisionnement commercial depuis mai, affirmant en juin qu’il s’agissait d’une alternative plus efficace à l’aide de l’ONU.
Mais ils ont changé de tactique après avoir réalisé que le Hamas avait levait des taxes sur certaines cargaisons commerciales et saisissaient de la nourriture, ont indiqué des personnes proches du dossier.