Ce qu’a vraiment dit Netanyahu sur la collaboration des Polonais avec les nazis
Les propos du Premier ministre sur la loi polonaise sur la Shoah ont provoqué une tempête diplomatique brève mais intense, basée sur la mauvaise retranscription d'un mot
Une brève crise diplomatique entre Israël et la Pologne a clairement rappelé le potentiel de puissance que peut avoir un seul mot – même s’il est simple – dans les relations internationales.
Les hauts politiciens polonais ont été pris de frénésie, jeudi, après que des informations ont fait état de ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahu – qui se trouvait à Varsovie pour assister à une conférence internationale sur le Moyen-Orient – a déclaré que « les Polonais ont coopéré avec les nazis » pendant la Shoah.
Varsovie a été apparemment particulièrement scandalisé à la lecture d’un article du Jerusalem Post, qui affirmait que le leader israélien avait clamé que la « nation polonaise » avait coopéré avec les nazis.
Le président polonais avait indiqué qu’il fallait remettre en cause un sommet de haut-niveau rassemblant les nations d’Europe centrale qui prévu en Israël. Les députés polonais avaient réclamé une condamnation officielle de la part des parlementaires des propos tenus par Netanyahu.
Mais cette crise diplomatique a pris fin, de toute évidence, quelques heures plus tard, après qu’il a été clairement établi que Netanyahu n’avait rien dit des mots prononcés ci-dessus. Ce qu’il avait dit, en fait, c’était que « des Polonais ont coopéré avec les nazis » – et non « les » Polonais.
Les Polonais sont particulièrement sensibles aux insinuations laissant entendre que la nation dans son ensemble aurait collaboré avec l’Allemagne pendant la Seconde guerre mondiale, et ils ont pu souligner dans le passé la mort de millions de citoyens non-Juifs dans le pays entre les mains des nazis. Quel que ce soit le cas, la majorité des historiens conviennent que la collaboration individuelle des Polonais contre les Juifs n’a pas été un phénomène mineur.
Une crise diplomatique avait éclaté au début de l’année 2018 entre Jérusalem et Varsovie après l’adoption d’une loi qui, dans le pays, criminalisait toute incrimination de la nation polonaise dans les crimes commis pendant la Shoah. La querelle avait été résolue lorsque la Pologne avait modéré la législation et que Netanyahu et son homologue polonais avaient convenu d’écrire une déclaration conjointe qui soulignait l’implication de la résistance polonaise dans le secours apporté aux Juifs. La crise avait été considérée comme une réussite diplomatique pour la Pologne et Netanyahu avait dû affronter les critiques d’historiens en Israël, et notamment à Yad Vashem, qui avaient reproché au Premier ministre d’avoir ratifié une déclaration qui, selon eux, dénaturait l’histoire.
Au mois de juillet dernier, Netanyahu avait indiqué avoir pris note des critiques, affirmant qu’il les évoquerait ultérieurement, ce qu’il n’a encore jamais fait.
Interrogé à ce sujet par le Times of Israel pendant un point-presse avec les journalistes qui l’accompagnaient, jeudi, Netanyahu a nié les suggestions de révisionnisme historique.
« Ici, je dis que des Polonais ont coopéré avec les nazis. Je connais l’histoire et je ne la blanchis pas. Je la fais apparaître », avait-il répondu, notant avoir évoqué la législation avec son homologue polonais Mateusz Morawiecki lors d’une réunion qui avait eu lieu dans la journée.
Il avait ajouté qu’un « nombre qui n’était pas insignifiant » de Polonais avaient collaboré, notant que « je ne connais personne qui a été traduit en justice pour avoir dit cela ».
La fureur de Varsovie est apparemment survenue en réaction aux informations indiquant que Netanyahu se serait référé à la nation polonaise toute entière. L’ambassadrice israélienne en Pologne, Anna Azari, a pris la peine, jeudi soir, d’établir clairement que ce n’était pas le cas.
Azari a ainsi affirmé aux responsables polonais que le Premier ministre israélien « n’a pas dit que la nation polonaise avait commis des crimes contre les Juifs mais seulement que personne n’a été traduit en justice sous les termes de la loi sur la Shoah pour avoir déclaré que ‘des Polonais ont collaboré’. »
Plusieurs journalistes, dans la salle, avaient fait savoir que Netanyahu avait dit « les ». Mais la porte-parole du bureau du Premier ministre, Shir Cohen, a plus tard fait écouter aux journalistes un enregistrement de la conversation dans lequel il apparaît clairement que le Premier ministre n’a pas utilisé l’article défini (les médias présents lors du point-presse avec Netanyahu n’avaient pas eu l’autorisation d’enregistrer la rencontre, rendant difficile la vérification des propos tenus).
Concernant l’erreur faite par le Jerusalem Post, Cohen a expliqué au Times of Israel que « les commentaires du Premier ministre concernant la Pologne ont été mal retranscrits par le Jerusalem Post, qui a rapidement émis une correction disant clairement qu’une erreur avait été faite dans l’article ».
Les explications de Jérusalem ont paru apaiser les inquiétudes de Varsovie, le bureau du président remerciant l’Etat juif pour la clarification et incriminant une « manipulation médiatique » de la part du Jerusalem Post.
Azari a néanmoins été convoquée pour une réprimande au ministère des Affaires étrangères polonais, a confirmé vendredi le Times of Israel. Un développement rapporté dans les médias polonais et qui n’a pas été encore commenté par le ministère israélien des Affaires étrangères.
Mercredi à Varsovie, des paroles de Netanyahu ont également fait réagir – dans un contexte toutefois différent. Dans un clip en hébreu filmé avant son départ pour la conférence de Varsovie, le Premier ministre a salué le fait qu’un leader israélien soit sur le point de prendre place auprès de hauts-responsables « de pays arabes majeurs » dans le but de « faire avancer l’intérêt commun du combat contre l’Iran ».
Une traduction officielle de la déclaration a présenté la phrase en hébreu « milhama b’Iran » comme signifiant littéralement « guerre contre l’Iran ». Une heure après la publication de la déclaration, les collaborateurs de Netanyahu ont corrigé en hâte les propos tenus – disant que les pays arabes prenaient place aux côtés de l’Etat juif afin de « faire avancer l’intérêt commun du combat contre l’Iran ».
Dans l’avion qui l’a ramené en Israël, vendredi, Netanyahu a semblé avoir tiré les leçons des controverses causées par ses paroles pendant le voyage. Alors qu’une journaliste lui demandait de répondre clairement à la question : « Les Polonais ont-ils collaboré ou non à la Shoah ? », le Premier ministre l’a renvoyée vers sa porte-parole.
« Shir va vous répondre », a-t-il dit.
Joshua Davidovich a contribué à cet article.