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« C’est comme un viol » : Des photos de nus piratées sont diffusées sur Telegram

Les autorités israéliennes n'arrivent pas à endiguer le nombre croissant de femmes dont les photos intimes piratées sont publiées sur Telegram, les laissant se débrouiller seules

"Mon monde s'est effondré", dit l'une des victimes qui a découvert que des photos d'elle nue ont été publiées sur Telegram sans son consentement. (Illustration : iStock)
"Mon monde s'est effondré", dit l'une des victimes qui a découvert que des photos d'elle nue ont été publiées sur Telegram sans son consentement. (Illustration : iStock)

En novembre, la police israélienne a arrêté 12 hommes soupçonnés d’avoir publié des milliers de photos intimes de femmes et de filles israéliennes, dont certaines mineures, sur des groupes pornographiques hébergés par l’application de messagerie Telegram, à l’insu des femmes.

Les suspects, âgés de 17 à 30 ans, ont été arrêtés à leur domicile à l’issue d’une enquête d’infiltration de plusieurs mois menée par l’unité de cybercriminalité du Lahav 433, selon un communiqué de la police.

Mais malgré la répression, les photos existantes – ainsi que des centaines de nouvelles – continuent d’apparaître sur les groupes pornographiques de Telegram, dans ce qui semble être l’œuvre des parents et amis des suspects.

Créé en 2013 par les frères Nikolaï et Pavel Durov, la messagerie via le web et les applications a gagné en notoriété presque immédiatement : Telegram a été l’un des premiers systèmes à prendre en charge le cryptage de bout en bout, et les groupes terroristes tels que l’État islamique (EI) ont rapidement exploité ce système pour communiquer avec leurs agents. En fait, Telegram a été la plate-forme préférée de l’EI pendant près de quatre ans.

Telegram insiste sur le fait qu’il retire régulièrement les contenus liés à l’EI et « ne tolère aucune activité ou campagne qui soutient le terrorisme », et qu’en 2019, il s’est donné beaucoup de mal pour fermer les réseaux de l’EI.

Mais à mesure que l’application de messagerie devenait plus populaire auprès des utilisateurs réguliers, le nombre de cas où la vie privée des utilisateurs était violée augmentait également.

Ils ont pris de vieilles photos qui sont sacrées pour moi, et ils les ont distribuées dans des groupes de sexe avec mes coordonnées personnelles

« [Les hackers] ont pris de vieilles photos de moi, des photos qui sont sacrées pour moi, et ils les ont diffusées dans des groupes de sexe avec mes coordonnées personnelles. Ils ont volé ma vie privée. Ils ont volé mon corps et ma dignité. Cela ressemble à un viol », a dit l’une des victimes, qui a demandé à être appelée « Orit », à Zman Yisrael, le site frère en hébreu du Times of Israel.

Il y a neuf ans, on a diagnostiqué un cancer chez Orit. Les traitements intensifs qu’elle a subis comprenaient la chimiothérapie, des traitements périodiques de la moelle osseuse et la biothérapie. Une des choses qui l’a aidée à se reconnecter à son corps et à guérir émotionnellement et psychologiquement a été une séance de photos de nature intime.

« C’était une période sombre. Les traitements nous rendaient faibles, j’étais très maigre et mon état mental fragile a déclenché une poussée de psoriasis, qui s’est étendue sur mon corps. J’étais dans un état de grande solitude et de découragement. Mon image corporelle était mauvaise et cela a affecté toute l’image que j’avais de moi-même. J’ai réalisé que je devais faire quelque chose pour me reprendre en main, car le traitement de l’âme était tout aussi important que celui du corps », explique-t-elle.

Orit a partagé ses préoccupations avec un de ses amis proches, un photographe spécialisé dans la photographie de nu artistique. Son catalogue « contenait de belles photos classiques du corps féminin. Ces photos respectaient la forme féminine et n’avaient aucune connotation sexuelle », a déclaré Mme Orit.

J’ai pu me reconnecter avec mon corps et retrouver ma propre beauté et ma féminité, même si j’avais des cicatrices et que j’étais émaciée. C’était ma façon de m’exprimer et c’était vraiment curatif

Orit a assisté à la séance photo de quelqu’un d’autre peu après – « pour voir ce que ça faisait » – et à la fin de cette journée, elle avait décidé d’en faire une elle-même.

« Grâce à cette séance, j’ai pu me reconnecter avec mon corps et retrouver ma propre beauté et ma féminité, même si j’avais des cicatrices et que j’étais émaciée. C’était ma façon de m’exprimer et c’était vraiment curatif », a-t-elle dit.

Le site Web de l’application de messagerie Telegram est visible sur un écran d’ordinateur à Moscou, en Russie. (AP/Alexander Zemlianichenko, File)

Orit est depuis lors en rémission et se maintient en bonne santé depuis trois ans. Il y a deux ans, elle a rencontré son conjoint et, malgré les avertissements de ses médecins, ils ont décidé d’avoir un bébé.

Mais le bonheur durement gagné d’Orit se brisa bientôt lorsque ce qui s’avéra être sa bouée de sauvetage il y a près de dix ans transforma sa vie en cauchemar : quelqu’un avait trouvé ses photos de nus et les avait publiées sur Telegram pour que des milliers d’hommes bizarres puissent les voir.

La nouvelle est venue grâce à un profil Facebook inconnu. « Il y a des photos de vous nue sur Telegram », l’informait un texte sur la plateforme de réseau social, avec quelques captures d’écran en annexe.

Pour aggraver les choses, Orit a découvert que les photos sur Telegram comprennent un lien vers son profil Facebook, ainsi que ses coordonnées. Cela a entraîné une série de harcèlements de la part d’hommes étrangers qui lui ont envoyé des textos sur Facebook en lui faisant des suggestions obscènes et des commentaires désobligeants.

J’ai essayé d’obtenir le plus de détails possible de l’homme qui m’a contacté, mais il a dit que [les photos] avaient été publiées sur un groupe appelé Images and Videos, et qu’elles avaient disparu

« Mon monde s’est effondré », a dit Orit. « Je me sentais perdue et impuissante. J’ai essayé d’obtenir autant de détails que possible de l’homme qui m’a contacté, mais il a dit que les photos avaient été postées sur un groupe appelé Images et Vidéos, et qu’elles avaient disparu. »

« C’est très difficile pour moi. Cela m’a rappelé beaucoup de souvenirs et m’a ramené à une époque sombre. Mais le plus dur pour moi, c’est l’exposition et le fait que je ne peux rien y faire. Même si le groupe retire les photos, elles ont déjà été partagées sur d’autres groupes ; elles sont en ligne et les hommes en ont fait des captures d’écran et les ont partagées à nouveau », a déclaré Orit.

L’idée que des photos aussi intimes sont accessibles à tous la hante, explique-t-elle.

Quand je me promène dans la rue avec mon petit garçon, si un homme me regarde ou s’arrête juste une seconde, j’ai peur qu’il me reconnaisse d’après les photos

« Quand je me promène dans la rue avec mon petit garçon, si un homme me regarde ou s’arrête juste une seconde, j’ai peur qu’il me reconnaisse d’après les photos », raconte Orit.

Depuis ce jour fatidique où sa vie privée a été si grossièrement violée, Orit essaie de faire des choses qui lui remontent le moral.

« J’essaie de me concentrer sur ma famille, mon fils, qui est la lumière de ma vie, et mon partenaire, qui est le seul à qui j’en ai parlé. J’essaie de passer à autre chose. J’ai beaucoup de chance d’avoir un partenaire qui me soutient. Au début, j’avais honte, mais j’ai fini par lui dire tout cela. Après le choc initial, il m’a dit : ‘Je t’aime, je suis avec toi, nous allons traverser ça ensemble’. Il m’a vraiment aidée à tenir le coup », dit-elle.

Le partenaire d’Orit a modifié les paramètres de sécurité et de confidentialité de ses comptes de réseaux sociaux pour empêcher l’algorithme d’identifier et de faire correspondre ses photos avec ses renseignements personnels.

« J’ai pratiquement disparu des réseaux sociaux, alors au moins le harcèlement a cessé, ce qui est un grand soulagement. Mais tous ceux qui me connaissent peuvent encore me reconnaître sur les photos. Je viens d’une famille conservatrice et j’ai peur qu’ils le découvrent ou que, à Dieu ne plaise, mon père les voie », a dit Orit.

À l’ère des réseaux sociaux et des pirates informatiques, nombreux sont ceux qui soutiennent que si une femme prend des photos de nus, elle doit au moins envisager la possibilité que quelque chose comme cela puisse arriver.

J’ai fait des photos de nus il y a neuf ans – la perception que nous avons aujourd’hui n’existait pas à l’époque

Orit n’est pas d’accord. « J’ai fait des photos de nus il y a neuf ans – la perception que nous avons aujourd’hui n’existait pas à l’époque. J’ai fait cette séance de photos par détresse physique et mentale et il n’y avait rien de sexuel là-dedans », a-t-elle ajouté.

« Il ne m’est jamais venu à l’esprit, pas une minute, que je me trouverais dans cette situation, ou que quelque chose comme cela – que mes photos seraient publiées à mon insu ou sans mon consentement – pourrait même arriver », a-t-elle dit.

Dès qu’elle a appris que ses photos avaient été publiées sur Telegram, Orit a contacté la société, a signalé l’incident et a exigé que les images soient retirées sans délai. À ce jour, plus d’un mois plus tard, elle n’a toujours pas eu de nouvelles de qui que ce soit chez Telegram.

Elle a déposé une plainte au poste de police local pour violation de la vie privée et harcèlement sexuel.

Se débrouiller seuls

Les victimes de la diffusion de photos de nus dans les groupes de Telegram comprennent des femmes de tous âges et de tous horizons : Des adolescentes qui ont envoyé des vidéos intimes à leurs petits amis qui les ont ensuite diffusées, que ce soit pour se vanter ou comme du « pornodivulgation » ; des femmes qui ont été filmées à leur insu par leurs partenaires ; des femmes enregistrées par des caméras de sécurité ou des caméras cachées dans les vestiaires et salles de douches ; ou des femmes filmées dans une variété d’autres situations.

Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est qu’elles ont toutes été stupéfaites d’apprendre qu’elles ont été montrées dans des groupes sexuels en ligne.

Certaines des femmes victimes ont critiqué sévèrement la police qui, selon elles, ne faisait pas assez pour lutter contre ce phénomène. Elles ont l’impression d’avoir été laissées à elles-mêmes, c’est pourquoi elles tentent de façon indépendante de faire retirer leurs images des groupes Telegram.

Une des victimes, qui a demandé à être appelée « Moran », a dit à Zman Yisrael qu’elle avait elle-même mené une enquête approfondie lorsqu’elle a appris que des photos d’elle nue étaient diffusées en ligne. Elle a découvert que les photos avaient été divulguées par des personnes membres de Telegrass.

Les victimes de la diffusion de photos de nus dans les groupes Telegram comprennent des femmes de tous âges et de tous horizons. (Illustration : Flash 90)

Telegrass était un marché anonyme de marijuana en ligne qui, à son apogée, comptait 500 000 utilisateurs. Il a été démantelé en août après que son fondateur, Amos Dov Silver, ait été arrêté en Ukraine et extradé vers Israël. Quarante-deux autres suspects ont également été arrêtés en rapport avec les opérations de la plateforme.

« Ils ont refusé de me parler à moins que ce ne soit dans une conversation privée. Tout là-bas fonctionne avec des bots. Mes [photos], en particulier, ont été postées sur un robot utilisé par un parti politique », a déclaré Moran.

« Ils m’ont menacé et m’ont dit qu’il était inutile de déposer une plainte auprès de la police parce qu’ils [la police] n’allaient rien faire à ce sujet. Finalement, ils ont accepté de retirer mes photos de certains des groupes », a-t-elle expliqué.

« Ces hommes sont pathétiques »

Le photographe qui a pris les photos d’Orit, qui a demandé à rester anonyme, a déclaré que des images d’autres femmes, dont certaines étaient des modèles professionnels avec lesquels il travaillait régulièrement, étaient également diffusées sur Telegram.

« Ce sont des femmes qui ont dit à l’avance ce qu’elles voulaient faire avec les photos, qui ont été prises conformément à tous les droits qui leur sont accordés par la loi », a-t-il dit.

« Ce sont des femmes merveilleuses que je respecte et admire, et un groupe d’hommes pathétiques – si on peut même les appeler ainsi – en ont fait des stars du porno, à leur insu et contre leur gré. En tant qu’homme, j’ai honte », a déclaré le photographe.

Pourtant, le photographe insiste sur le fait qu’il n’a aucune idée de la façon dont ces individus ont pu mettre la main sur les photos.

« Je ne sais toujours pas comment c’est arrivé. D’après ce que j’ai compris, ils ont peut-être piraté mon compte cloud ou un groupe de photographes dont je suis membre, et ont pris les photos à partir de là. Une enquête est en cours », a-t-il déclaré.

La version originale de cet article a été publiée en hébreu sur le site jumeau du « Times of Israel », Zman Yisrael.

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