Dans l’univers Marvel, le personnage de Sabra reste « superficiel », selon Uri Fink
Le célèbre dessinateur de BD, dont le super-héros Sabraman qui pourrait avoir inspiré celui de Marvel, estime que les patriotes sont des protagonistes problématiques

L’artiste israélien de bandes dessinées Uri Fink ne croit pas beaucoup à la représentation prévue par Marvel de Sabra, une agente du Mossad dotée d’une vitesse et d’une force surhumaines, dans son prochain volet de la franchise cinématographique, Captain America.
« Sabra est un personnage très superficiel », a déclaré Fink.
Fink devrait le savoir. En tant que l’un des plus grands dessinateurs de bandes dessinées d’Israël, connu pour avoir créé Zbeng !, une série de bandes dessinées israéliennes pour adolescents publiée chaque semaine depuis 30 ans dans le magazine pour jeunes Maariv LaNoar, il est probablement celui qui a inspiré la Sabra de Marvel.
Aujourd’hui âgé de 59 ans, Fink n’était qu’un lycéen de 15 ans lorsqu’il a créé, en 1978, Sabraman, une ancienne policière israélienne capable de tirer des rayons radioactifs de ses yeux et de s’entourer d’un champ de force magnétique.
La bande dessinée Sabraman de Fink était extrêmement populaire à l’époque en Israël et à l’étranger, et a même fait l’objet d’une couverture médiatique dans des publications américaines grand public comme le magazine People.
« Beaucoup d’Américains l’ont vue. Je reçois encore des réactions de personnes qui l’ont reçue pour leur bar-mitsva », a déclaré Fink.

Environ un an plus tard, les dessinateurs de comics Marvel Bill Mantlo et Sal Buscema ont sorti leur version du personnage Sabra, dans le cadre de la saga de l’Incroyable Hulk.
Sabra fait une première apparition dans le numéro 250 de l’Incroyable Hulk (en août 1980), avant de devenir un personnage récurrent.
C’est Belinda Glass, chanteuse et première épouse du scénariste de Marvel Mark Gruenwald, qui a eu l’idée du nom « Sabra », le surnom des Israéliens, un mot en hébreu qui fait référence au fruit du cactus, communément appelé figue de barbarie, dur à l’extérieur mais doux et sucré à l’intérieur.
Selon Fink, si Mantlo et Buscema, deux légendes de la bande dessinée, ont repris l’idée de Sabra de son Sabraman, ce n’était pas illégal. « Ce n’était simplement pas très adroit. »
Buscema a passé dix ans à dessiner l’Incroyable Hulk et huit autres années à dessiner Le Spectaculaire Spider-Man. Aujourd’hui âgé de 86 ans, il illustre toujours des bandes dessinées, mais n’a pas souhaité répondre aux différentes demandes d’interview.
En 1992, Mantlo, qui travaillait alors comme avocat, a été victime d’un accident avec délit de fuite ; il a depuis été placé dans un établissement spécialisé.

Lorsque le personnage de Marvel, Sabra, a été introduit pour la première fois en 1980, Fink a déclaré qu’il était choqué et surpris par la représentation du personnage. « C’est une mère en deuil et une agente d’Israël, mais son personnage représente Israël de manière irréaliste », a déclaré Fink. « Tout cela est très problématique. »
L’historique derrière la Sabra de Marvel, alias Ruth Bat-Seraph, est une hiérosolymitaine élevée dans un kibboutz géré par le gouvernement israélien après que ses pouvoirs sont apparus. Vêtue des couleurs bleu et blanc du drapeau israélien, Sabra est la première agente surhumaine à servir au sein du Mossad et devient une officière de police en plus de servir comme agent du gouvernement.
Pourtant, le développement de son personnage en tant que héros israélien est maladroit, selon Fink.
Dans le premier numéro de 1981 de l’Incroyable Hulk dans lequel Sabra apparaît, Hulk se retrouve par erreur à Tel Aviv, où il se lie d’amitié avec un garçon arabe qui est tué lors d’une attaque par des terroristes arabes. Sabra est témoin de l’attaque et suppose que Hulk est de mèche avec les terroristes. Elle se bat contre Hulk, et montre peu de remords pour la mort du jeune palestinien, jusqu’à ce que l’incroyable Hulk intervienne pour enseigner à Sabra la compassion humaine.
Hulk dit à Sabra : « Le garçon est mort parce que le peuple du garçon et le tien veulent tous les deux posséder ces terres ! Ce garçon est mort parce que vous ne voulez pas partager ! »
Plus tard, lorsque le jeune fils de Sabra est tué dans une attaque terroriste, elle désobéit aux ordres afin de traduire les tueurs de son fils en justice.

Le patriotisme d’un personnage de bande dessinée est toujours un défi, a déclaré Fink. « Les patriotes sont des héros problématiques. »
La Sabra de Marvel représente la façon dont Israël était perçu par les Américains dans les années 1980, a déclaré Hagay Giller, un autre dessinateur de BD israélien bien connu qui écrit également un blog et anime un podcast sur l’univers de la BD.
À une époque, dit Giller, Israël était considéré comme exotique, et l’armée israélienne offrait des super-héros idéologiques.
La Sabra originale contient tous ces éléments, avec notamment son uniforme bleu et blanc représentant les couleurs du drapeau israélien et son entraînement au combat à mains nues dispensé aux membres de l’armée israélienne, le Krav maga.
Les super-héros de bandes dessinées sont souvent des patriotes, explique Tal Lanir, conservatrice au Musée d’art de Tel Aviv, dont la dernière exposition, « Illustrations : David Polonsky », examine l’œuvre de l’artiste connu pour ses travaux d’animation cinématographique, ainsi que ses illustrations pour la version roman graphique du journal d’Anne Frank.
« Prenez, par exemple, Captain America qui a battu Hitler, l’ultime méchant », a déclaré Lanir. « Les gens aiment l’évasion et sont fascinés par les super-héros. »
Mais pour certains fans de bandes dessinées, le concept d’un super-héros israélien est un oxymore.
Des militants des droits des Palestiniens ont regretté, que l’apparition de Sabra dans le prochain film « Captain America », « contribue à glorifier l’action de l’armée et de la police israéliennes ».
Ils ont également fait remarquer que le nom même de Sabra est problématique, étant donné les horreurs du massacre de Sabra et Shatila à l’extérieur de Beyrouth en septembre 1982, lorsque la milice chrétienne maronite libanaise, soutenue par Israël, a tué des réfugiés palestiniens.
Marvel Studios a déclaré qu’il adopterait « une nouvelle approche » pour Sabra, qui sera jouée par l’actrice israélienne Shira Haas, après avoir reçu des critiques de groupes palestiniens.
Lanir a déclaré qu’elle était également surprise par la décision de porter Sabra à l’écran, étant donné qu’Israël est un pays en conflit, et qu’il est compliqué de mettre en avant un personnage israélien et d’en faire un super-héros.
« Peut-être que c’est plus un acte féministe », a déclaré Lanir, « en s’éloignant des héros habituellement masculins ».
En fin de compte, a déclaré Giller, Sabra est un personnage qui peut être modernisé, comme la plupart des personnages du monde de la bande dessinée, qui est devenu une industrie beaucoup plus commercialisée qu’elle ne l’était à ses débuts, il y a plusieurs décennies.
« Ils ont pris tous les clichés sur Israël, mais en faisant le strict minimum en matière de recherche », a-t-il dit à propos de Sabra, en faisant référence aux grandes lignes prises pour décrire le personnage, de son travail de jour comme policière à son travail au sein du Mossad, en passant par son passé au kibboutz et son costume inspiré du drapeau israélien. « Ils essaient juste de la rendre pertinente pour la jeune génération et ils mettent en avant des personnages plus mineurs. »
Fink n’a jamais pensé que le personnage de Sabra redeviendrait pertinent.
« Je ne pensais pas que quelqu’un pourrait de nouveau s’identifier à elle », a-t-il déclaré.
Lorsque Marvel a annoncé sa version de Sabra, Fink a été bombardé sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle par des fans lui disant « de poursuivre Marvel ».
« Je ne le ferai jamais », a déclaré Fink. « Superman était aussi une sorte de copie ; tout comme Captain Marvel. Ce sont tous les mêmes, ce sont tous des copies les uns des autres. »
Cependant, lui et son co-créateur David Herman sont désormais en pourparlers pour faire revenir Sabraman, peut-être avec une nouvelle édition de la bande dessinée originale.
« Je verrai ce que je peux faire avec Sabraman pour l’adapter au XXIe siècle », a déclaré Fink.
« Sabra n’aura jamais son propre film comme Ironman. Elle pourra juste être une invitée », a déclaré Giller.
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