Dans une Bosnie divisée, les « Autres », y compris les Juifs, citoyens « fantômes »
Les accords de paix de Dayton de 1995 stipulent que le pouvoir politique doit être partagé entre des Serbes, des Croates et des musulmans auto-identifiés, ignorant les autres

« Des citoyens de seconde zone » qui voteront dimanche mais ne peuvent être élus à la présidence de la Bosnie: c’est le prix payé par les « Ostali », les « Autres », pour refuser de s’identifier comme croates, bosniaques ou serbes.
Née des accords de paix de Dayton qui avaient mis fin à la guerre intercommunautaire (1992-95, 100 000 morts), la Constitution de Bosnie reconnaît trois « peuples constitutifs »: les Bosniaques (musulmans), les Serbes (orthodoxes) et les Croates (catholiques), qui pèsent respectivement pour une moitié, un tiers et 15 % des 3,5 millions d’habitants.
Devenir membre de la présidence tripartite collégiale du pays mais aussi de la chambre haute du Parlement, suppose de se dire croate, bosniaque ou serbe. Une disposition rédigée par les négociateurs de la communauté internationale dont la priorité était de faire taire les armes.
Pour les Juifs, les Roms ou tout citoyen refusant de s’identifier à une communauté, la porte est fermée.

Ils sont ceux qui, lors du référendum de 2013, avaient coché la case « Ostali », « Les autres », une catégorie officielle qui pèse pour un peu moins de 4 % de la population. L’accès aux emplois publics, qui nécessite souvent un appui politique, leur est également plus difficile.
Condamnation de la CEDH
En 2009, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait exhorté la Bosnie à abroger cette règle discriminatoire. « Et les élections de dimanche seront les troisièmes depuis, sans que la Consitution ne change », ironise Jakob Finci. Ce représentant de la petite communauté juive de Bosnie avait porté en 2006 l’affaire devant l’instance européenne.

Lundi, au lendemain des élections générales, les observateurs internationaux « feront un communiqué pour dire que les élections se sont correctement déroulées en oubliant » que des citoyens « de ce pays ne peuvent être candidats », dit à l’AFP Jakob Finci.

« Nous sommes comme des fantômes dans notre pays », dit Lana Velic, 36 ans, citoyenne bosnienne et qui refuse absolument de dire ce que sont ses parents. Elue au conseil municipal de Sarajevo, cette commerciale n’a « pas choisi d’être ‘Ostali' », on le lui a « imposé ».
« Cela fait 20 ans qu’on dit aux gens que s’ils ne se déclarent pas comme serbes, croates ou bosniaques, ils perdront leur identité. Ils n’entendent plus rien d’autre », se désole-t-elle.
« Ensemble! Un point c’est tout »
Jovan Divjak n’aime pas son étiquette de « général serbe qui a défendu Sarajevo » qui lui colle à la peau depuis qu’il a défendu sa ville aux côtés des Bosniaques. « Je suis Ostali parce que je me déclare Bosnien-Herzégovinien », dit cet homme, héraut de l’universalisme et du multicommunautarisme longtemps attachés à l’image de Sarajevo.
« Les Ostali sont à la merci des Serbes, des Croates et des Bosniaques, et de leur bon-vouloir », dit l’ancien militaire, âgé de 81 ans, considéré comme un traître à Belgrade comme par les Serbes de Bosnie.

En Bosnie, « tous les problèmes sont vus par le prisme national : mon peuple, ma religion, mon territoire », dit cet homme qui prêche pour des écoles et une éducation communes. En Bosnie, chaque communauté a son propre enseignement avec des programmes distincts.
Jovan Divjak se souvient de sa déception devant les résultats du recensement de 2013 et le faible nombre d’Ostali. « On s’attendait à avoir au moins 14% de personnes réunis par cette opposition à la domination des communautés ».
Aux élections de dimanche, les faveurs d’une partie de ces Ostali iront certainement vers les candidats de Nasa Stranka (Notre parti).
Leur slogan? « Ensemble! Un point c’est tout! ». Leurs chances d’obtenir des résultats leur permettant de peser sur l’avenir de la Bosnie? Dérisoires.
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