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Décès de Robert Badinter à 95 ans

Né à Paris en 1928 de parents juifs originaires de Bessarabie, Robert Badinter a porté l'abolition de la peine de mort en France et symbolisé le combat humaniste à travers ses infatigables luttes pour la réinsertion des prisonniers

Robert Badinter à une cérémonie de la Cour de Cassation, en janvier 2018. (Crédit : Francois Mori/AP/Pool)
Robert Badinter à une cérémonie de la Cour de Cassation, en janvier 2018. (Crédit : Francois Mori/AP/Pool)

Figure des années Mitterrand, brillant avocat et ex-garde des Sceaux, Robert Badinter, décédé dans la nuit de jeudi à vendredi à l’âge de 95 ans, a incarné jusqu’à son dernier souffle le combat pour l’abolition de la peine de mort.

D’abord conspué pour avoir défendu des causes à contre-courant, il s’est forgé une réputation d’humaniste indépendant, jusqu’à être considéré comme une autorité morale.

« J’ai essayé de transformer la justice, la rendre plus humaine », disait-il en novembre 2023 dans un entretien à l’émission « La Grande Librairie ». Est-ce que j’ai réussi ? A juger ».

Ministre de la Justice du président socialiste François Mitterrand, il porta la loi du 9 octobre 1981 qui abolit la peine de mort, dans une France alors majoritairement en faveur de ce châtiment suprême.

Il s’investit par la suite, jusqu’à son « dernier souffle de vie », pour l’abolition universelle de la peine capitale.

Avec l’exécution, « le crime change de camp », soulignait ce fils de fourreur, né à Paris le 30 mars 1928 dans une famille juive émigrée de Bessarabie (l’actuelle Moldavie).

Robert Badinter, à Paris, le 25 novembre 2013. (Crédit : Eric Feferberg/AFP)

Cet homme mince et élégant aux épais sourcils noirs, défenseur d’une France « au service des libertés et des droits de l’homme », tenait sa soif de justice d’une adolescence marquée par la Seconde Guerre mondiale.

En 1942, alors qu’il n’a que 14 ans, son père est arrêté sous ses yeux à Lyon. Il mourra en déportation dans le camp de concentration de Sobibor (Pologne), tandis que sa famille est réfugiée en Savoie.

« Passion militante »

Après des études de lettres et de droit, et un diplôme de l’université Columbia comme boursier, Robert Badinter devient avocat au barreau de Paris et mène parallèlement une carrière d’enseignant universitaire.

Cofondateur avec Jean-Denis Bredin d’un prestigieux cabinet d’avocats d’affaires, il défend des personnalités, des grands noms de la presse ou de l’entreprise, et plaide occasionnellement aux assises.

Divorcé d’une actrice épousée dans les années 1950, ce grand bourgeois est marié depuis 1966 à la philosophe Elisabeth Badinter, née Bleustein-Blanchet, avec qui il a eu trois enfants.

Elisabeth Badinter lors de l’événement « Toujours Charlie ! » aux Folies Bergères, le 6 janvier 2018 (Capture d’écran : Facebook)

C’est lorsqu’il échoue, en 1972, à sauver de la guillotine Roger Bontems, complice d’une prise d’otages meurtrière, qu’il passe « de la conviction intellectuelle à la passion militante » contre la peine de mort, témoignera-t-il dans son livre « L’Abolition ».

Cinq ans plus tard, il évite la peine capitale au meurtrier d’enfant Patrick Henry, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Cinq autres hommes échappent grâce à lui à l’échafaud. « On entrait au palais de justice par la grande porte, et après le verdict, lorsque l’accusé avait sauvé sa tête, il fallait s’en aller bien souvent par un escalier dérobé » pour éviter la colère de la foule, racontera-t-il.

Devenu ministre de la Justice (1981-1986), celui qui était considéré par certains comme l' »avocat des assassins » est la cible de toutes les attaques lorsqu’il fait voter l’abolition de la peine de mort. « Jamais je n’ai eu l’impression d’une telle solitude », dira-t-il.

« Sage »

Robert Badinter œuvre aussi pour l’amélioration des conditions de vie dans les prisons.

Il fait voter la suppression des quartiers de haute sécurité, celle de juridictions d’exception, la dépénalisation de l’homosexualité, l’accès des justiciables français à la Cour européenne des droits de l’homme, une loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents.

En 1983, il obtient de la Bolivie l’extradition de Klaus Barbie, l’ancien chef de la Gestapo à Lyon. Reconnu coupable de crimes contre l’humanité, Barbie sera condamné en 1987 à la prison à perpétuité.

Des policiers français conduisent Klaus Barbie, au centre, menotté, hors de la salle d’audience de Lyon, après avoir été condamné le 4 juillet 1987 pour crimes contre l’humanité alors qu’il était chef de la Gestapo dans cette ville. (Crédit : AP)

Robert Badinter, qui a toujours rejeté la « haine justicière », soutiendra en 2001 la libération pour raison d’âge de l’ancien préfet de police et ministre Maurice Papon, 90 ans, condamné pour complicité de crimes contre l’humanité.

Après son départ du gouvernement, il préside pendant neuf ans le Conseil Constitutionnel (1986-95).

Sénateur socialiste de 1995 à 2011, il a la satisfaction de voir l’abolition de la peine de mort inscrite dans la Constitution en 2007.

Toujours très actif, il planche sur une réforme de l’ONU dans les années 2000 et sur la réforme du code du travail pendant le quinquennat de François Hollande.

Cet homme de culture est l’auteur de nombreux ouvrages et même d’un livret d’opéra. L’un de ses derniers livres, « Idiss » (2018), est consacré à sa grand-mère maternelle, née dans le « Yiddishland » de l’empire tsariste.

A LIRE : Robert Badinter raconte Idiss sa grand-mère, au Mémorial de la Shoah

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