Des ados juifs américains rencontrent des activistes palestiniens via Zoom
La nouvelle initiative du jeune lycéen vise à faire connaître les perspectives palestiniennes aux jeunes juifs américains - qui, selon lui, manquent cruellement d’informations
JTA – Lorsque la représentante Rashida Tlaib s’est jointe à un Zoom avec 40 adolescents, elle s’est rapidement retrouvée à parler du genre de sujets – académiques entre autres – qui ont tendance à occuper leurs journées.
Il y a eu des discussions sur le stress des examens d’AP (similaires à l’examen psychométrique en Israël), les pères embarrassants et les mèmes des réseaux sociaux. Elle leur a montré des photos Instagram de son chien au Capitole.
« Mon fils est en Première », a-t-elle déclaré en réponse à un message de l’un des adolescents participant au tchat via Zoom. « Ô mon Dieu, le SAT – j’étais stressée. J’étais stressée parce qu’il était stressé. Il a dû passer tous ses examens d’AP, entre autres choses ».
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Tlaib a également parlé de sa grand-mère, avec laquelle elle s’est entretenue pour la dernière fois à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd al-Fitr.
Mais la conversation a également porté sur une question à laquelle beaucoup d’adolescents ont été confrontés au lycée, en camp d’été, dans des groupes de jeunesse ou ailleurs dans leur quotidien : l’anti-sionisme est-il de l’antisémitisme ?
En tant que seule Américaine d’origine palestinienne au Congrès – et peut-être l’anti-sioniste la plus en vue de la Chambre des Représentants – Tlaib se trouvait dans une position unique pour répondre à cette question. Les étudiants qui ont participé à l’appel avaient eux aussi un intérêt particulier pour la question : ils étaient tous juifs.
Les adolescents participaient tous à une nouvelle initiative, lancée l’année dernière, visant à exposer les jeunes juifs américains aux voix palestiniennes par le biais de vidéoconférences. Fondé par Ezra Beinart, élève d’une école juive de New York, le projet a pour but de faire connaître les points de vue palestiniens à un groupe démographique qui, selon lui, en manque cruellement.
« Je vis dans une communauté très juive et la plupart des gens autour de moi sont très bien informés sur le point de vue israélien, mais pas autant sur le point de vue palestinien », a déclaré Beinart lors d’une interview. « C’est pourquoi j’ai décidé de créer ce groupe pour informer les jeunes juifs de l’autre pan de l’histoire, dont je pense que la plupart des étudiants juifs ne savent pas grand-chose. »
Dans sa réponse à la question sur l’antisémitisme et l’anti-sionisme, Tlaib s’est à nouveau tournée vers sa grand-mère, Muftieh, qu’elle désigne par le terme en arabe « Sity » et qu’elle a dépeinte comme le visage de l’oppression des Palestiniens par Israël. Elle a déclaré que les gens « utilisaient l’antisémitisme comme une arme » afin d’étouffer les critiques à l’égard d’Israël.
« Ma grand-mère, du seul fait qu’elle est née palestinienne, n’a pas droit à l’égalité », a déclaré Tlaib aux adolescents. « Sa vie serait complètement différente si ce n’était pas le cas. Et donc, vous savez, pour moi, critiquer cela, c’est plutôt s’attaquer à cette forme de gouvernement qui fait cela à ma ville. »
Beinart a déclaré qu’il souhaitait multiplier les occasions d’interaction entre Juifs et Palestiniens. Il a donc contacté des communautés « très juives » dans tout le pays, par l’intermédiaire de groupes de discussion et de synagogues progressistes, afin de faire passer le message. Il a débuté avec une poignée d’adolescents, mais son nombre ne cesse de croître : sa séance avec Tlaib a attiré 40 participants.
Cet intérêt survient à un moment de flux politique en Israël, et alors que les jeunes adultes juifs aux États-Unis considèrent le pays moins favorablement que leurs aînés. Une enquête réalisée en 2020 par le Pew Research Center a révélé que les Juifs âgés de 18 à 30 ans étaient moins attachés émotionnellement à Israël que leurs ainés, plus sceptiques quant à ses efforts en faveur de la paix et plus enclins à soutenir les initiatives de boycott. Ces dernières années, des groupes d’activistes fondés par de jeunes Juifs ont poussé des institutions telles que les campus Hillel et le réseau Camp Ramah du mouvement Massorti – ou conservateur – à intégrer davantage les points de vue palestiniens et/ou anti-sionistes.
Dans le cadre de cette initiative, les intervenants se présentent pendant environ cinq minutes, puis répondent aux questions, sélectionnées par Beinart, pendant 30 minutes supplémentaires. L’initiative a organisé une demi-douzaine de sessions avec des orateurs tels que Ayman Mohyeldin, journaliste à MSNBC, et Amahl Bishara, professeure à l’Université de Tufts. Tlaib, une démocrate du Michigan, est l’invitée la plus connue jusqu’à présent. (Son bureau n’a pas répondu aux multiples demandes d’interview ou de commentaire).
Beinart souhaitait que ses camarades aient l’esprit ouvert, comme il l’avait fait l’été dernier lors de son stage au Jerusalem Fund, un groupe de réflexion pro-palestinien et une organisation de défense des droits à Washington. Il a remarqué qu’une de ses amies qui travaillait là-bas utilisait le mot « Palestine » aussi facilement que le mot « Israël », et lui a expliqué à quel point il était difficile pour elle de se rendre dans la région, alors que lui considérait comme acquis le fait de pouvoir y aller.
« Le fait d’avoir des amis qui expliquent comment les actions d’Israël les affectent dans la vie de tous les jours a rendu les choses beaucoup plus tangibles », a-t-il déclaré. « Ce n’est pas la même chose que de lire ou de voir une vidéo. »
Si le nom de Beinart vous est familier, c’est parce que son père est Peter Beinart, l’écrivain qui était autrefois un fervent défenseur d’un État palestinien indépendant aux côtés d’Israël, et qui est aujourd’hui une célèbre voix juive en faveur d’un seul État binational israélo-palestinien. Beinart Sr. a refusé de commenter cet article, l’initiative étant le projet de son fils plutôt que le sien. Mais depuis une dizaine d’années, Peter Beinart défend l’idée que les Juifs américains doivent passer plus de temps à écouter les voix palestiniennes.
La résistance à l’écoute des Palestiniens, avait écrit Beinart en 2013 dans la New York Review of Books, « fait de la communauté juive américaine organisée un espace intellectuel fermé, isolé des expériences et des perspectives d’environ la moitié des personnes sous contrôle israélien. Il en résulte que les dirigeants juifs américains, même ceux qui ne nourrissent aucune animosité à l’égard des Palestiniens, connaissent mal la réalité de leur vie ».
Ezra reconnaît l’influence de son père, bien qu’à contrecœur. Le premier intervenant de la série était Issa Amro, un activiste palestinien connu qu’Ezra avait rencontré lorsqu’il avait accompagné Peter lors d’une visite en Cisjordanie.
« Oui, bien sûr, mais je suis suis ma propre voie », a déclaré Ezra Beinart lorsqu’on l’a interrogé sur l’influence de son père. « Je relie Israël/Palestine à ce que je vois dans la vie de mes pairs, de mes amis. »
Lors de la session Zoom, Tlaib a perçu l’ambivalence d’Ezra à l’idée d’impliquer son père dans la conversation, c’est pourquoi elle s’est montrée prudente lorsqu’elle a cité l’aîné des Beinart pour faire valoir son point de vue.
« Ezra, un jour ton père a dit quelque chose – je sais que tu ne veux pas que je mentionne ton père, tu réagis comme mon fils », a-t-elle dit. Mais elle a ensuite évoqué une citation de Peter Beinart pour expliquer pourquoi elle avait choisi, en dépit d’une levée de boucliers considérable, d’organiser au Capitole un événement commémorant la « Nakba », le mot arabe signifiant « catastrophe », que les Palestiniens utilisent pour se référer aux événements qui ont entouré la création de l’État d’Israël.
« Lorsque vous dites à un peuple d’oublier son passé, vous ne proposez pas la paix, vous proposez l’extinction », avait déclaré Beinart Sr.
« J’ai utilisé la citation [de Beinart] aujourd’hui lorsque j’ai été interviewée parce que je l’aime, mais lorsque Peter la dit, c’est comme si (…) c’est un homme juif américain qui parle de l’importance de comprendre l’histoire », a déclaré Tlaib.
Après la réunion, Beinart Jr. a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency qu’il avait choisi des questions qui reflétaient le récit auquel les jeunes juifs étaient exposés au sein même de leurs communautés. Outre la discussion sur l’anti-sionisme et l’antisémitisme, l’une des questions était la suivante : « Que répondez-vous à ceux qui pensent que l’utilisation du mot « occupation » est nuisible ? (Éviter une terminologie précise empêche de faire avancer la paix et les droits de l’Homme, avait déclaré Tlaib).
« Les Juifs, lorsqu’ils pensent aux Palestiniens, pensent, pour la plupart d’entre eux, au terrorisme », a déclaré Beinart. « C’est donc quelque chose dont ils devraient entendre parler de la bouche des Palestiniens. »
Teaneck, la banlieue nord du New Jersey qui serait qualifiée de communauté « très juive » selon presque tous les critères, est l’endroit où vit l’une des participantes, Liora Pelavin, âgée de 15 ans. Sa mère, qui est rabbin, a vu un message sur les réunions Zoom de Beinart sur Facebook et a pensé que sa fille pourrait être intéressée.
« Entendre les Palestiniens les humanise vraiment », a déclaré Pelavin – qui a fréquenté une école juive jusqu’en 4e et qui va maintenant dans un lycée public – lors d’une interview. « Cela me permet d’apprendre et de me rendre compte qu’ils ont tous des opinions différentes. »
Yehuda Kurtzer, président de l’Institut Shalom Hartman d’Amérique du Nord, une organisation dont les programmes visent notamment à faciliter le dialogue entre les Juifs américains, les Israéliens et les Palestiniens, a déclaré que toute interaction serait la bienvenue.
Il s’inquiète toutefois du fait que la plupart des Palestiniens choisis par Ezra Beinart sont des dirigeants politiques ou des militants, et non des civils ordinaires palestiniens, qui seraient peut-être mieux à même d’expliquer les réalités quotidiennes à des lycéens.
« C’est probablement une version inspirée de la méthode Encounter, un programme de longue date qui amène des Juifs américains en Cisjordanie pour dialoguer avec des Palestiniens, où l’on écoute les gens, où l’on apprend leur histoire, et où l’on est libre d’arriver aux conclusions politiques que l’on veut », a déclaré Kurtzer. « Mais vous humanisez leur expérience. C’est une façon de faire ce travail. Il y a une autre façon de faire ce travail, qui consiste à dire : ‘Je veux influencer la politique de votre propre communauté' ».
Jonathan Kessler, ancien haut fonctionnaire de l’American Israel Public Affairs Committee qui dirige aujourd’hui Heart of a Nation, un groupe qui facilite le dialogue entre les adolescents juifs américains, palestiniens et israéliens, a déclaré qu’il était au courant de l’initiative de Beinart et qu’il s’agissait d’un exemple de la manière dont la génération Z pourrait être mieux à même de faire tomber les barrières que ses aînés.
« Une génération qui ne conçoit pas le genre et la sexualité de manière binaire est particulièrement bien placée pour aborder un conflit qui a trop longtemps été défini de manière binaire », a déclaré Kessler.
Yousef Munayyer, politologue palestinien qui s’est adressé au groupe de Beinart, a déclaré qu’il était particulièrement important que les orateurs palestiniens s’adressent aux adolescents juifs.
« Au sein de la communauté juive, en particulier de la communauté juive organisée, les points de vue pro-Israël sont souvent représentés et les points de vue palestiniens ne le sont pas beaucoup », a-t-il déclaré. « Je suis toujours inspiré lorsque je parle de cette question à des jeunes qui souhaitent en savoir plus. »
Pour Tlaib, il s’agissait également d’un forum où elle a pu exprimer des points de vue qu’elle n’avait jamais exprimés publiquement, en disant qu’elle se sentait en conflit avec l’idée d’évacuer les résidents d’implantations israéliens parce qu’ils vivaient en Cisjordanie depuis si longtemps.
« L’idée d’évacuer des familles qui ont vécu là où elles habitent est un véritable déracinement, un déplacement forcé », a déclaré Tlaib. « C’est quelque chose qui me pose problème parce que nous sommes en train de recommencer, n’est-ce pas ? C’est ce qui s’est passé pendant la Nakba. »
Beinart a déclaré que lui et d’autres participants à l’appel, y compris Pelavin, ont été touchés par les sentiments de Tlaib.
« Une grande partie de la communauté juive pense que les Palestiniens nous détestent et qu’ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains », a déclaré Pelavin. « Je pense que c’est une erreur et le fait de participer à ces appels me l’a confirmé. »
Ezra Beinart est en faveur d’un État binational unique – Tlaib est la seule législatrice élue qui adopte également cette position – et Pelavin a déclaré que ses opinions sur Israël tendaient vers la gauche. Mais alors qu’une grande partie de la communauté juive américaine organisée s’est historiquement rebellée contre les critiques d’Israël, aucun des deux adolescents n’a dit qu’ils s’étaient sentis comme des parias dans leur milieu juif.
« Ils pensent que c’est bien que je fasse ce genre de choses, mais je pense que leur objectif est en grande partie d’éviter ce sujet avec moi, parce qu’ils ne veulent pas vraiment en discuter », a déclaré Pelavin à propos de ses camarades.
Pour Beinart Jr., le fait d’avoir un point de vue minoritaire n’a pas non plus été un problème. « Les élèves de mon école savent qui je suis », a déclaré Ezra. « Personne n’est méchant avec moi. Il y a des enfants qui partagent mes opinions – quelques-uns – mais pas beaucoup. »
Malgré le poids du sujet, la conversation s’est déroulée de manière informelle et amicale. Tlaib souhaitait également en savoir plus sur les participants, mais lorsqu’elle a demandé quelles universités ils comptaient fréquenter, personne n’a pris la parole – jusqu’à ce qu’elle remarque que les réponses déferlaient sur le tchat Zoom.
Lorsqu’elle a alors remarqué que les réponses à sa question s’accumulaient, elle s’est exclamée. « Oh, mais regardez, vous adorez le tchat ! » Elle a ensuite tenté de faire sauter son chien face caméra, mais s’est finalement contentée de montrer des photos aux adolescents.
Ezra Beinart a déclaré qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que Tlaib roucoule et s’extasie sur les futurs projets universitaires.
« Je ne vais pas prétendre qu’il s’agit d’un groupe d’adultes bien éduqués », a-t-il déclaré. « Il s’agit d’un groupe d’adolescents qui ne connaissent pas non plus ce genre de choses. Et c’est pour cela que je le fais – ce n’est pas censé être pour des gens qui sont des experts, n’est-ce pas ? »
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