Des archives du Vatican montrent que le pape Pie XII savait pour la Shoah
Des chercheurs allemands ont trouvé une lettre indiquant que le pape était au courant du massacre des Juifs à Varsovie et à Lviv, mais qu'il l'a nié aux Américains
Des chercheurs qui se sont penchés sur les archives du Vatican concernant le pape Pie XII, récemment ouvertes, ont déjà trouvé des preuves que le pape de l’époque de la Seconde Guerre mondiale avait été informé du massacre des Juifs par des sources, mais qu’il l’avait caché au gouvernement américain, a rapporté mercredi le Washington Post, citant des entretiens avec des universitaires allemands.
Les archives ont été ouvertes le 2 mars, mais ont été fermées peu après en raison de la crise du coronavirus. Un grand nombre des 200 universitaires qui avaient demandé à y avoir accès ont reporté leur voyage. Cependant, une équipe allemande dirigée par l’historien des religions primé Hubert Wolf, de l’université de Münster, a pu commencer à les étudier et a déjà trouvé des découvertes accablantes.
Certains groupes et historiens juifs ont déclaré que Pie XII, qui fut pape de 1939 à 1958, est resté silencieux pendant la Shoah et n’a pas fait assez pour sauver des vies. Ses défenseurs au Vatican et au-delà disent qu’il a exercé une diplomatie discrète et qu’il a encouragé les couvents et autres instituts religieux à cacher des Juifs.
La semaine dernière, Hubert Wolf a affirmé à Kirche + Leben, un hebdomadaire catholique de Münster, que son équipe avait découvert des documents qui avaient été exclus de l’ouvrage en 11 volumes sur la Shoah compilé par les jésuites il y a quatre décennies, apparemment pour protéger Pie XII et son image.
En septembre 1942, un diplomate américain a remis au Vatican un rapport secret préparé par l’Agence juive qui documentait le massacre de quelque 100 000 Juifs du ghetto de Varsovie. Ce rapport indiquait également que quelque 50 000 Juifs avaient été tués à Lviv, dans l’Ukraine occupée par l’Allemagne.
Les États-Unis ont demandé si le Saint-Siège pouvait confirmer ces informations auprès de ses sources parmi les catholiques, mais on leur a répondu que non.
Cependant, dans la semaine où les archives ont été ouvertes, Hubert Wolf, un spécialiste des relations de Pie XII avec les nazis, et son équipe, ont découvert une note confirmant que Pie avait lu le rapport américain et également deux cas où le Vatican avait indépendamment corroboré les informations sur les meurtres.
Une lettre de l’archevêque ukrainien gréco-catholique de Lviv, Andrey Sheptytsky, envoyée un mois avant la demande américaine, parle de 200 000 Juifs massacrés en Ukraine sous l’occupation allemande « parfaitement diabolique ».
Dans un autre cas, un homme d’affaires italien du nom de Malvezzi a parlé à Monseigneur Giovanni Battista Montini, le futur pape Paul VI, de « l’incroyable boucherie » de juifs dont il avait été témoin lors d’une visite à Varsovie.
Mgr Montini en a fait part à son supérieur, le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Luigi Maglione, selon le rapport.
Ces deux signalements ont été détaillés dans une note d’un autre collaborateur de la Secrétairerie d’État, Angelo Dell’Acqua, qui est devenu par la suite cardinal, a expliqué Hubert Wolf à l’hebdomadaire hambourgeois Die Zeit.
Dans cette lettre, Angelo Dell’Acqua met en garde contre le fait de croire le rapport de l’Agence juive, car ces derniers « exagèrent facilement » et les « Orientaux » – en référence à l’archevêque Sheptytsky – « ne sont vraiment pas un exemple d’honnêteté ».
« C’est un document clé qui nous a été caché parce qu’il est clairement antisémite et montre pourquoi Pie XII ne s’est pas prononcé contre la Shoah », a commenté M. Wolf auprès de Kirche + Leben.
Il a déclaré que les 11 volumes de documents publiés précédemment avaient également mélangé l’ordre chronologique, rendant difficile la compréhension du contexte des actions entreprises.
D’après l’article de Kirche + Leben, les chercheurs ont trouvé trois photographies « montrant des détenus de camps de concentration émaciés et des cadavres jetés dans une fosse commune ».
Un informateur juif les avait remises à l’ambassadeur du Vatican, ou nonce, en Suisse neutre pour qu’il les envoie au Vatican, qui en a confirmé la réception dans une lettre deux semaines plus tard.
Avant l’ouverture des archives, l’universitaire allemand s’était dit impatient de découvrir les notes des 70 ambassadeurs de Pie XII – les yeux et les oreilles du Souverain pontife pendant son mandat à la tête de l’Église catholique entre 1939 et sa mort en 1958.
Il devrait également y avoir des traces des appels à l’aide urgents des organisations juives, ainsi que de ses communications avec le président américain Franklin D. Roosevelt.
Et si les 11 volumes déjà publiés ont fait l’objet d’une étude approfondie, certaines pièces essentielles manquent encore, notamment les réponses du pape aux notes et aux lettres – par exemple, celles concernant les horreurs nazies.
Les jésuites ont déjà publié « des documents sur les camps de concentration que le pape a reçus, mais nous n’avons jamais pu voir ses réponses », a indiqué M. Wolf dans une interview à l’AFP. « Soit elles n’existent pas, soit elles sont au Vatican ».
Les historiens ont déjà examiné les 12 années allemandes d’Eugenio Pacelli, le vrai nom du futur pape, qu’il a utilisé lorsqu’il était en poste en Allemagne comme ambassadeur du Saint-Siège en 1917-1929.
Il y assiste à la montée du nazisme, puis retourne à Rome pour devenir le bras droit de son prédécesseur Pie XI, élu en 1922.
Les archives du passé ont révélé des échanges au cours desquels il a été alerté sur l’extermination des Juifs européens une fois devenu pape.
« Il ne fait aucun doute que le pape était au courant du meurtre des Juifs », affirme Hubert Wolf. « Ce qui nous intéresse vraiment, c’est quand il l’a appris pour la première fois, et quand il a cru à cette information ».
Le 24 décembre 1942, Pie XII a délivré l’un des messages radio de Noël les plus controversés de l’histoire.
Dans son long texte, on trouve une référence aux « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part et parfois pour la seule raison de leur nationalité ou de leur race, sont condamnées à la mort ou à une extermination progressive ».
Son message – délivré en italien et diffusé une seule fois, et qui ne mentionnait explicitement ni les Juifs ni les nazis – a-t-il été entendu et compris par les catholiques allemands ?
« Les seuls à l’avoir entendu étaient les nazis », juge Hubert Wolf, faisant remarquer que les ondes radio étaient brouillées et que le pape aurait pu parler allemand, s’il avait vraiment voulu toucher les fidèles allemands.
Ceux qui prennent la défense du pape notent que Pie XII était un ancien diplomate formé à la prudence, soucieux de rester neutre en temps de guerre et soucieux de pouvoir protéger les catholiques de la dévastation qui se déroulait.
Il ne pouvait pas être plus explicite, disent les partisans de Pie XII. Les historiens estiment que l’Église a caché environ 4 000 Juifs dans ses institutions romaines pendant la guerre.
Des groupes juifs et des historiens ont soutenu pendant des années que le Vatican n’avait pas à faire avancer la procédure de béatification de Pie XII avant l’ouverture des archives complètes du Vatican. Ils ont également demandé que toute béatification soit reportée jusqu’à ce que la génération des survivants de la Shoah soit décédée.
Le pape Benoît XVI a rapproché Pie XII d’une possible sanctification en décembre 2009, lorsqu’il a affirmé que celui-ci avait vécu une vie de vertu chrétienne « héroïque ». Il ne reste plus au Vatican qu’à déterminer qu’il est à l’origine d’un « miracle ».
Le pape François a fait savoir en 2014 que le miracle n’avait pas été identifié, suggérant que le processus resterait en suspens, au moins pour le moment.