DILCRAH : la hausse de l’antisémitisme « est très structurée, massive »
Selon Fréderic Potier cette poussée n'est pas due à "un évènement particulier" comme les Gilets jaunes. "C'est une vague" qui monte, et pas seulement en France

Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-Lgbt (Dilcrah) a réagi à l’annonce de la hausse des actes antisémites en France.
541 actes ont été recensés en 2018 contre 311 en 2017, selon le ministre de l’Intérieur qui s’est exprimé le 12 février. Une annonce qui a suivi la profanation des arbres plantés en mémoire d’Ilan Halimi, et plusieurs autres actes antisémites à Paris.
Times of Israël : L’explosion des chiffres de l’antisémitisme de 74 % entre 2017 et 2018 est-elle due à l’apparition des protestations des gilets jaunes, dont les manifestations ont été régulièrement jalonnées d’actes et de paroles antisémites ?
Ce sont des chiffres très mauvais, et il y a là une poussée très claire. Mais il faut noter que cette augmentation est très homogène le long de l’année 2018 [le mouvement des gilets jaunes a démarré en octobre 2018-ndlr]. Nous avons souhaité dévoiler ces chiffres une première fois en novembre, car dès le mois de janvier 2018, nous avions constaté une augmentation des actes et paroles antisémites.
Cela n’est pas quelque chose qui est dû à un pic, à un évènement particulier, c’est quelque chose de très structuré, de massif, c’est une vague. Nous avons donc souhaité prendre à témoin l’opinion publique. Mais aujourd’hui qu’est-ce que l’on fait de ces chiffres ? Moi, je suis dans l’action, et il faut trouver les mesures opérationnelles, les actions, pour faire reculer l’antisémitisme.
Comment détaillez-vous cette poussée en 2018 ?
D’abord j’observe que ce n’est pas quelque chose de franco-français. Il y a une très forte poussée de l’antisémitisme en Allemagne, aux Etats-Unis – on l’a vu avec l’attentat de Pittsburgh qui a fait 11 morts – et donc cette poussée est un peu difficile à caractériser.
C’est un mélange de beaucoup de choses : à la fois un vieil antisémitisme qui renaît avec des groupuscules identitaires – que l’on a d’ailleurs vu à l’oeuvre à l’occasion du mouvement des gilets jaunes, mais aussi un antisémitisme lié à l’islamisme qui reste extrêmement fort et qui a tué encore en 2018 – je pense à l’assassinat de Mireille Knoll– et il y a toute la haine d’Israël qui peut être générée sous le masque de l’anti-sionisme.
Cette poussée est due à l’addition de ces trois formes de haine.

Constate-t-on en France une poussée des autres haines, racisme, sexisme, ou propos et actes anti-LGBT ? Est-ce que ces chiffres s’inscrivent dans une montée générale des discours de haine ?
On a une augmentation de l’homophobie en 2018, +15 % des actes homophobes sur les 9 premiers mois de 2018. On est, je pense, face à un paradoxe : on a une société qui est beaucoup plus ouverte sur le monde et tolérante, et parce qu’elle est plus ouverte, elle crée aussi des formes de repli identitaire et de crispations. Ils peuvent se traduire par des actes de haine et des violences. C’est ce paradoxe-là que l’on doit gérer, et l’on doit utiliser ces augmentations des chiffres pour mieux comprendre et traiter ces phénomènes.
Il vaut mieux avoir des chiffres qui augmentent avec des policiers, la justice et le monde enseignant qui font face, que tout mettre sous le tapis et ne rien traiter.
A propos du monde enseignant, quel retour avez-vous de la mise en place des référents racisme et antisémitisme dans les universités ?
C’est une mesure récente, il est trop tôt pour avoir un retour clair, mais j’ai constaté que là où des difficultés sont apparues, je pense à la fac de Bobigny notamment, ces référents ont été extrêmement réactifs dans les cas de harcèlements qui avaient été identifiés.
Dans quel cadre vous êtes-vous rendu récemment en Israël ?
Il y a un dialogue bilatéral officiel entre la France et Israël au niveau gouvernemental. Ces échanges de haut niveau, d’experts, de hauts fonctionnaires, traitent de l’antisémitisme. Il y a notamment deux sujets sur lesquels nous dialoguons de manière très intéressante et très intelligente avec nos amis israéliens : les sujets internet et l’éducation.
Comment peut-on détecter, identifier et combattre la haine en ligne et comment peut-on travailler pour lutter contre les préjugés, les stéréotypes et les clichés. Nos échanges nous permettent de s’enrichir mutuellement : Israël est à la pointe de la technologie sur les réseaux sociaux. Il est intéressant de comparer nos méthodes et nos outils. Et puis sur le domaine éducatif, c’est intéressant de croiser les regards sur ce que peut faire Yad Vashem, et ce que nous faisons avec le Mémorial de la Shoah.

Quel genre d’outils avez-vous amené de France, et quel retour d’expérience intéressant vous avez pu obtenir de la part des Israéliens ?
Les Israéliens ont mis au point des outils de détection assez massifs sur Twitter. Ce sont des outils de qualifications et d’analyse liés à de la sociologie et à la science politique. Ils visent à faire la part de l’antisémitisme traditionnel d’extrême droite, d’un nouvel antisémitisme plutôt lié à l’islamisme, et d’autres types de préjugés liés à la haine contre Israël. C’est intéressant comme approche, parce que nous, aujourd’hui, n’avons pas de tels outils en France.
De notre côté, on a présenté l’état de notre reflexion sur la rénovation de notre législation nationale. Nous sommes en train de travailler sur la rénovation de notre législation, et nous leur avons présenté nos premières relfexions, nos premiers axes de travail.
Quel est l’objectif de cette rénovation ?
Le but est de rendre beaucoup plus efficaces nos lois concernant les réseaux sociaux et internet. Aujourd’hui, il y a des contenus antisémites sur les réseaux sociaux mais les procédures sont beaucoup trop longues, et trop coûteuses en ressources humaines. Il faut qu’on trouve un système de retrait beaucoup plus efficace et rationnel.
A ce propos, on constate que le site ‘Démocratie participative’ est de nouveau accessible et se joue de la législation française, grâce à un simple changement de nom d’hébergeur. Est-ce que ce site pourra encore longtemps se cacher derrière le premier amendement de la constitution américaine qui semble lui garantir cette liberté d’expression ?
Ce qui est clair, c’est que nous n’allons pas le lâcher. Le fait qu’il réapparaisse sous des noms différents, on s’y attendait complètement et on s’y était préparé. Il a été ressuscité sous un premier nom, on l’a bloqué. Il a ressuscité sous un deuxième nom, on l’a bloqué. Il a ressuscité sous un énième nom, et on est en train de s’y attaquer avec d’autres procédures que je ne peux pas dévoiler ici. Mais sachez vraiment que l’on est très déterminé à l’encontre de ce site, et que l’on obtient des succès dans son blocage. Son référencement sur Google a également beaucoup diminué. Nous sommes très déterminés dans ce combat, mais l’on sait bien que c’est comme une hydre, cela va repousser ailleurs. Mais nous serons présents pour le combattre.
Ce site, et plusieurs personnalités d’extrême droite, ont tenté de récupérer le mouvement des gilets jaunes. Lui-même charrie un nombre important de paroles et d’actes antisémites, homophobes ou racistes. Comment analysez-vous ce mouvement populaire ?
Lorsqu’il y a des propos ou des agressions racistes, antisémites, sexistes ou homophobes, il faut des sanctions, il faut des rappels à la loi.
Il ne faut pas avoir de tolérance au prétexte que certains pourraient avoir de la sympathie pour certains des thèmes portés par ce mouvement – et il y a beaucoup de thèmes qui sont posés, sur la fiscalité, l’environnement etc… – cela ne justifie en aucun cas des propos de la sorte.

Il ne faut avoir aucune tolérance pour les propos antisémites, je vois des pancartes, des banderoles, avec des assimilations entre la finance, Rothschild, Macron, le royaume de Sion, je vois très bien vers quoi cela renvoie. Je vois que certains groupuscules d’extrême droite cherchent à manipuler et exploiter ce mouvement. Il ne faut pas les laisser faire. Mais cela n’enlève rien à toute la légitimité qu’il peut y avoir à poursuivre ce grand débat qui a été amorcé par le président de la République.
Etes-vous satisfait de la réactivité des GAFA suite à vos demandes de retrait des contenus de haine sur les réseaux sociaux ? La coopération est-elle meilleure aujourd’hui ?
De manière incontestable on a progressé, et de manière incontestable il y a encore des marges de progrès. Il y a des acteurs qui ont eu une vraie prise de conscience de leur responsabilité, et aujourd’hui on a des échanges très productif avec Facebook, on obtient des blocages et des retraits de contenus quand c’est justifié.
Avec Facebook, nous avons mis en place un fonds pour le civisme, doté d’un million d’euros, avec des lauréats associatifs, pour lutter contre la haine. Ce sont les progrès des derniers mois, et cela il faut le saluer, il faut reconnaître quand il y a des avancées.
Mais il y a d’autres acteurs, comme Twitter, avec qui on a énormément de problèmes et de difficultés à bloquer des propos néo-nazis, antisémites. Et là, nous n’avons pas du tout la même qualité de coopération et le même désir d’avancer. Donc, globalement on progresse, mais tout le monde ne progresse pas à la même vitesse.
Comment expliquer que Twitter soit moins enclin à retirer des contenus que vous signalez ?
Je ne veux pas m’étendre là-dessus, mais à l’évidence il y a une question de moyens quand un réseau social comme Facebook a des milliards de dollars de revenus, cela leur laisse plus de moyens pour engager des politiques contre la haine, mais cela n’explique pas tout. Il y a aussi une vraie question de volontarisme pour s’emparer de ces problèmes-là.
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