Divulgation de documents liés à la citoyenneté portugaise controversée d’Abramovich
La naturalisation de l'oligarque est devenue le symbole des abus de la loi portugaise ; parmi les documents figurent des témoignages de rabbins et une copie de son passeport israélien
JTA – La question de savoir comment le milliardaire juif russe Roman Abramovich a obtenu la citoyenneté portugaise et un passeport européen a été soulevée le mois dernier, après l’arrestation, début mars, du rabbin chargé de certifier les demandes de citoyenneté.
Aujourd’hui, des documents associés à la demande de citoyenneté portugaise d’Abramovich ont été divulgués en ligne, avec des conséquences possibles pour des dizaines de milliers de personnes dans l’attente de réponse à leur demande.
Les documents publiés comprennent des témoignages de rabbins et d’autres personnalités sur les origines séfarades d’Abramovitch, requis en vertu d’une loi de naturalisation de 2013 promulguée par les autorités portugaises en réparation des persécutions subies par les Juifs séfarades sous l’Inquisition, au bénéfice de leurs descendants. L’Espagne avait promulgué une loi similaire, qui est presque arrivée à expiration.
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On ignore comment les documents, qui comprennent ce qui semble être une photocopie non expurgée du passeport israélien d’Abramovich, se sont retrouvés en ligne. On ne sait pas davantage si les documents sont un reflet fidèle de la demande de citoyenneté d’Abramovich.
Mais ce qui est clair, c’est que la demande présentée par Abramovich se prévaut de l’existence de racines séfarades, malgré un nom de famille à consonance ashkénaze, et que les documents divulgués ne plaident pas en faveur d’un examen détaillé des déclarations du demandeur.
D’éminents rabbins ont produit des témoignages à l’appui de la demande de l’homme d’affaires, qui a fait don de plusieurs millions à des organisations juives dans le monde entier. Les documents divulgués en ligne n’incluent ni arbre ni recherches généalogiques, pourtant généralement produits par les demandeurs de citoyenneté. Certains ont été déboutés de leur demande en dépit de ces justificatifs.
Abramovich’s Portuguese passport has, so far, led to the start of a government inquiry, the detention of a chief rabbi, and an amendment to Portugal’s citizenship law. But that’s not the only damage it has caused @nesialtaras Opinionhttps://t.co/EY9BUKnfWZ
— Haaretz.com (@haaretzcom) April 1, 2022
L’un des rabbins dont la lettre fait partie des documents divulgués a confirmé l’authenticité de sa déclaration à un journaliste portugais travaillant en collaboration avec JTA. JTA n’a pas été en mesure de confirmer immédiatement l’authenticité de tous les documents publiés.
La naturalisation d’Abramovich est devenue le symbole d’un possible contournement de la loi [portugaise] qui aurait permis à des dizaines de milliers de personnes de devenir citoyennes du Portugal, pays membre de l’Union européenne.
Le Portugal s’est déclaré prêt à durcir significativement la loi après avoir appris qu’Abramovich, dont la citoyenneté a été accordée en avril 2021, faisait l’objet de sanctions internationales contre les oligarques en lien avec l’invasion russe de l’Ukraine.
Abramovich a gagné des milliards dans l’industrie pétrolière russe, tout en niant une quelconque appartenance au cercle intime du président, russe Vladimir Poutine.
Fin 2021, le ministère portugais de la Justice avait ouvert une enquête pénale liée à sa demande de naturalisation sur des soupçons de fraude et a procédé, plus tôt ce mois-ci, à l’arrestation de Daniel Litvak, le rabbin responsable de la certification. Ce dernier est frappé d’une interdiction de quitter le territoire pendant toute la durée de l’enquête.
Litvak est grand rabbin de Porto, l’une des deux communautés, avec Lisbonne, chargées par le gouvernement d’examiner les demandes. La communauté a déclaré facturer 250 euros par demande.
Avant la promulgation de la loi sur la citoyenneté, la communauté de Porto se plaignait de ne pas avoir suffisamment de fonds pour réparer le toit moisi de son unique synagogue. Aujourd’hui, la communauté possède un nouveau mikvé, le bain rituel, et un musée de la Shoah. Elle emploie un rabbin à plein temps et des agents de sécurité. Elle a même produit un long métrage pour retracer son histoire.
Suite à l’arrestation de Litvak, la communauté de Porto a annoncé qu’elle ne certifierait plus les demandes, « ne souhaitant plus coopérer avec l’État ».
La communauté a nié avoir commis de quelconques actes répréhensibles, sans pour autant accéder aux demandes de divulgation des documents relatifs à la demande.
Les documents divulgués semblent avoir été rassemblés pour constituer un dossier en défense, bien que l’on ne sache pas qui en est l’auteur. On y trouve des photos de la communauté juive de Porto et des articles de presse favorables à Abramovich, ainsi qu’un document non signé indiquant que sa demande « est conforme aux règles du judaïsme et de la loi portugaise ».
À moins que la communauté de Porto ou d’autres ne disposent de documents additionnels, il est peu probable que cette « fuite » assure à la loi de demeurer dans sa forme actuelle.
Contrairement à de nombreuses autres demandes – certaines d’entre elles, rejetées – le dossier divulgué ne contient ni arbre généalogique, ni tests génétiques ni aucune autre preuve solide et vérifiable des racines d’Abramovich dans la péninsule ibérique.
A la place figure l’un des documents centraux du dossier, la déclaration en 108 mots d’Alexander Boroda, président de la Fédération des communautés juives de Russie, principale organisation Habad-Loubavitch et de loin la plus grande organisation juive de ce pays.
Boroda « peut certifier que Roman Abramovich est descendant de Juifs séfarades, que le lien affectif a été conservé avec le Portugal, qu’il est membre de la communauté séfarade, d’ascendance portugaise, juif portugais séfarade », peut-on lire dans la déclaration.
Sous le point « justification », Boroda s’est contenté d’écrire : « Cette certification est basée sur ma connaissance des témoignages de Roman Abramovich et d’une interview que j’ai personnellement menée. Je confirme que Roman Abramovich respecte les rituels séfarades : mode de vie, traditions et coutumes alimentaires. »
Boroda a confirmé l’authenticité de sa déclaration à Ana Filipa Nunes, journaliste portugaise qui l’a interviewé à ce sujet pour la chaîne de télévision SIC et a rendu compte du dossier en collaboration avec JTA.
Le Centre éducatif séfarade, organisation basée à Jérusalem chargée de la promotion de la culture séfarade, a produit un communiqué beaucoup plus long dont le principal argument est qu’Abramovich est séfarade parce que son nom de famille signifie « fils d’Abraham ». Beaucoup de Juifs séfarades auraient porté ce nom, Ben Avraham en hébreu, explique ce document.
Le rabbin Yonah Leib Lebel, adepte du mouvement hassidique Breslev, a également fait une déclaration, affirmant qu’Abramovitch avait des ancêtres dans la communauté juive séfarade de Hambourg. Le nom de famille du grand-père paternel d’Abramovitch était Leibovich, ce qui signifie fils de Leib, une version yiddish de Leon. Leon était un nom répandu dans la péninsule ibérique, précise la déclaration.
La lettre de Lebel indique également que des descendants d’Abramovitch ont vécu dans la ville polonaise de Poznan, où vivait autrefois un fondateur de Habad nommé Portugaler. « Dès cette époque, la famille y était liée », écrit Lebel, faisant référence à Chabad.
Le dossier, qui compte de nombreux articles de presse attestant de l’attachement d’Abramovich au judaïsme séfarade, comporte également la photocopie d’un passeport israélien d’Abramovich valide jusqu’en 2023. Abramovich avait obtenu la citoyenneté israélienne en 2018 en vertu de la Loi du retour.
La lettre d’accompagnement du dossier, qui ne comporte pas de signature, insiste sur le traumatisme vécu par les Juifs de Porto suite au scandale autour de la candidature d’Abramovich.
« Cette nouvelle a concentré de nombreuses attaques contre la communauté juive et a été ressentie comme une nouvelle expulsion », est-il écrit, sans préciser en quoi consistaient ces « attaques ».
Cela aurait conduit la communauté juive du Portugal et celle de Porto « à craindre, non seulement une nouvelle ‘affaire Dreyfus’, », référence à un procès antisémite retentissant dans la France de 1896, « mais aussi un attentat terroriste d’extrême droite, au motif qu’elle [la communauté] « vendrait le pays ». Cela s’est passé à Halle en Allemagne ! » peut-on lire, en référence à l’agression meurtrière d’un néo-nazi contre une synagogue en 2019.
La communauté juive de Porto n’a pas immédiatement répondu à une question de JTA sur l’origine du dossier ou sur le point de savoir si elle souhaitait en commenter le contenu. Aucune agression physique contre des Juifs n’a été signalée dans la ville ces dernières semaines.
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