En s’opposant au nucléaire iranien, Trump change la donne pour les États-Unis dans la région
Téhéran a fait une erreur d'appréciation vis-à-vis d'Israël et de Washington et il lui reste peu d'options. La position américaine en sort grandie avec les pays du Moyen-Orient

Avec le bombardement américain des éléments de son programme nucléaire, c’est le pire cauchemar de l’Iran qui est devenu réalité. Et c’est Téhéran lui-même qui est à l’origine du surprenant renversement de situation qui a eu lieu le 7 octobre 2023.
Dans le sillage de l’accord nucléaire JCPOA de 2015, l’Iran a fait en sorte de gagner en influence régionale à grand renfort de dizaines de milliards de dollars libérés par la levée des sanctions, qui lui ont servi à financer son réseau de mandataires en Irak, en Syrie et au Liban.
Le JCPOA a donc permis à l’Iran de disposer d’argent mais aussi d’une importante marge de manœuvre : il ne lui pas imposé de démanteler son programme nucléaire, n’a pas touché à ses missiles balistiques ni au soutien du terrorisme, et il comportait des restrictions clés arrivant à expiration à l’été 2025.
Il en a donc profité pour installer des armées très performantes aux frontières d’Israël et fournir aux acteurs les plus éloignés – telles les milices chiites en Irak ou encore les Houthis du Yémen – de nouvelles capacités leur permettant de menacer eux aussi l’État juif.
L’un de ces mandataires, le Hamas, a déclenché une catastrophe en chaine qui s’est muée en avalanche pour la République islamique.
En prenant d’assaut les défenses israéliennes au niveau de la frontière de Gaza, le 7 octobre 2023, en massacrant 1 200 personnes et en faisant 251 otages lors de la journée la plus meurtrière pour le peuple juif depuis la Shoah, l’organisation terroriste a sorti Israël d’un sommeil stratégique de plusieurs dizaines d’années. D’une politique désastreuse d’endiguement stratégique, Israël est passé à une offensive stratégique contre le réseau iranien.
Il a réduit le Hamas à une coquille vide.
Le mandataire le plus puissant de l’Iran, le Hezbollah, a été tellement affaibli par les bombardements israéliens qu’il a accepté un cessez-le-feu humiliant et unilatéral, et il n’a pas levé le petit doigt lorsqu’Israël s’en est pris directement à l’Iran.
Quelques heures après les bombardements américains en Iran de ce dimanche, le porte-parole du Hezbollah a fait savoir à Newsweek que l’organisation ne riposterait ni contre Israël ni contre les États-Unis.
Des dizaines d’années durant, Téhéran a investi des milliards de dollars pour armer et former l’organisation afin d’en faire une formidable force de combat dotée d’un très important arsenal de missiles de nature à faire réfléchir Israël à deux fois avant de tenter quoi que ce soit contre le programme nucléaire iranien. Ce plan s’est avéré un échec colossal.

Quelques jours après la reddition du Hezbollah, les rebelles sunnites de Syrie ont profité des succès d’Israël pour descendre d’Idlib vers le sud et mettre un terme à un demi-siècle de règne de la famille Assad en Syrie et au pont terrestre entre l’Iran et le Hezbollah.
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Malgré leur position difficile et en faisant traîner les négociations avec Washington, les autorités iraniennes pensaient pouvoir éviter qu’Israël ou les États-Unis ne mènent des frappes directes sur leur programme nucléaire.
Sous l’administration Biden, la probabilité d’une opération américaine était hors champ, surtout si peu de temps avant une campagne électorale présidentielle difficile. Le guide suprême Ali Khamenei et son entourage pensaient également avoir compris le président américain Donald Trump, un président qui avait promis de ne pas se mêler des affaires du Moyen-Orient et avait une grande confiance dans sa capacité à parvenir à des accords par la voie diplomatique.

Tant qu’ils pourraient maintenir les pourparlers nucléaires à Oman, Israël n’oserait pas attaquer et saper les efforts diplomatiques de Trump.
L’Iran a fait une erreur d’appréciation
Les principaux décideurs iraniens ont fait une erreur de jugement qu’ils ont, pour la plupart, payée de leur vie.
Au premier jour de l’opération Rising Lion, les avions israéliens ont balayé les défenses aériennes de l’Iran et le Mossad révélé agir depuis le sol iranien, au nez et à la barbe du régime. Les renseignements israéliens ont témoigné d’une éviscération à tous les niveaux des structures militaires iraniennes, littéralement vidées de leur substance par des bombardements israéliens d’une grande précision sur des commandants supérieurs.
Khamenei et son régime ont beau menacer Israël de leurs imprécations apocalyptiques et de leurs messages cryptiques, personne ne les prend plus au sérieux. L’Iran ne semble plus avoir d’atout dans la manche, et ses tirs de missiles n’ont aucun effet perceptible sur les actions militaires israéliennes ou la résilience de sa population, malgré une vingtaine de morts et d’importants dégâts dans des secteurs résidentiels et des infrastructures sensibles.

Trump a donné à Khamenei une ouverture pour mettre fin à la campagne israélienne par la voie diplomatique, bien que dans des conditions bien pires que celles que l’Iran aurait pu obtenir il y a des semaines. Bizarrement, le guide suprême de la République islamique a choisi de menacer les États-Unis en raison de leur implication potentielle dans les attaques.
On ignore ce qui a fait que les Iraniens, avec leur réputation de fins négociateurs, se sont à ce point trompés à propos de Trump. Il se peut qu’ils aient supposé qu’il ne ferait pas mentir les sondages disant que la population américaine était contre un intervention contre les sites nucléaires iraniens. Ou, comme c’est souvent le cas dans les environnements dans lesquels l’information est très contrôlée, il se pourrait tout simplement qu’ils aient fini par croire à leur propre propagande.
Quoi qu’il en soit, ils ont joué et perdu beaucoup. Tôt dimanche matin en Iran, des bombardiers lourds américains B-2 ont largué d’énormes bombes à charge pénétrante sur l’installation nucléaire souterraine de Fordo, en Iran, profondément enterrée sous la montagne, et des sous-marins ont frappé les sites de Natanz et d’Ispahan.

L’étendue des dégâts demeure incertaine.
« Les principales installations d’enrichissement nucléaire de l’Iran ont été complètement et totalement anéanties », a déclaré Trump, et le chef d’Etat-major de l’armée américaine a déclaré que les trois sites ciblés avaient subi des « dommages extrêmes ».
Selon un membre du Parlement iranien cité par les médias officiels iraniens, les dommages causés à l’installation de Fordo concernaient « uniquement ce qui se trouvait au niveau du sol et pouvaient être réparés ».
Une coopération sans précédent entre les États-Unis et Israël
L’estimation des dommages se fera ces prochains jours et l’on y verra alors plus clair. Mais au-delà des seuls dégâts, il y a d’autres raisons pour lesquelles l’Iran considère ce qui s’est passé dimanche matin comme un désastre.

Pour la première fois dans l’histoire des nombreuses opérations militaires israéliennes, les États-Unis ont décidé de participer activement à des opérations offensives.
« Jamais les États-Unis ne s’étaient avant cela lancés dans une opération militaire, non seulement aux côtés d’Israël, mais en souscrivant à ses objectifs de faire du Moyen-Orient et du monde dans son ensemble un endroit nettement, nettement plus sûr », a noté Michael Oren, ancien ambassadeur à Washington.
Trump n’a pas tari d’éloges à propos de Netanyahu et de Tsahal : « Je tiens à remercier et féliciter le Premier ministre Bibi Netanyahu. Nous avons travaillé en équipe comme aucune équipe ne l’a sans doute jamais fait, et nous avons fait un long chemin pour effacer cette horrible menace pour Israël. Je tiens à remercier l’armée israélienne pour le merveilleux travail qu’elle a accompli. »
Il y a cependant quelques inconvénients pour Israël. La position de négociation d’Israël est plus forte lorsqu’il défait lui-même ses adversaires, comme il l’a fait en 1967. Lorsqu’il se tourne vers les États-Unis pour obtenir son soutien, comme il l’a fait en 1973 avec l’opération cruciale de réapprovisionnement américain, il doit se plier aux exigences de Washington sur l’issue de la guerre et ses suites.
Mais dans le même temps, ces bombardements contre l’Iran semblent aussi de nature à renforcer la crédibilité et l’influence des États-Unis au Moyen-Orient, aux dépens des grandes puissances rivales, dont la Russie et la Chine. Lorsque l’allié des États-Unis, Israël, pillone l’Iran, qui est un partenaire de défense de la Russie, avec des systèmes d’armes américains, il y a des avantages à se ranger du côté de Washington.
La victoire remportée par Israël sur l’Égypte sur le champ de bataille, en 1973, avait amené Le Caire à faire le choix stratégique de passer de l’orbite soviétique à l’orbite américaine – décision qui a persisté plus d’un demi-siècle.

L’Iran n’a désormais plus vraiment le choix. Il peut continuer à défier et menacer Trump, en invitant à des frappes élargies, mais cela pourrait commencer à déstabiliser le régime.
Trump, qui a fait campagne avec un discours anti-guerre, semble apprécier que les États-Unis et Israël déchaînent leurs capacités aériennes et de renseignement contre un adversaire débordé. C’est certainement plus amusant que de faire venir Vladimir Poutine à la table des négociations sur l’Ukraine ou de faire face à des soulèvements intérieurs à cause des raids des services d’immigration ou de son Big Beautiful Bill.
Par ailleurs, s’il acceptait les exigences de Trump, l’Iran devrait renoncer à un programme nucléaire présenté comme relevant d’un droit souverain, ce qui témoignerait d’une profonde faiblesse de nature à encourager les opposants au régime à passer à l’action.
Si les opérations militaires se déroulent comme prévu, Israël en sortira sans doute auréolée du statut de puissance militaire incontestée dans la région, et les États-Unis, de protecteur que les dirigeants du Moyen-Orient s’empresseront de vouloir amadouer. Ce qui pourrait raviver les processus de normalisation mis à l’arrêt par la campagne militaire d’Israël à Gaza, suite au 7 octobre, surtout celui avec l’Arabie saoudite, qui commençait à se rapprocher de l’Iran et de la Chine ces dernières années.
D’autres pays désireux de se débarrasser de l’influence iranienne, à commencer par le Liban et la Syrie, pourraient vouloir eux aussi conclure de nouveaux accords avec Israël de façon à s’assurer qu’ils ne servent plus de théâtre aux attaques iraniennes envers Israël.
En ayant ainsi montré à Trump qu’il était un gagnant et un partenaire stratégique fiable, Netanyahu bénéficiera à n’en pas douter d’une période de grâce avec le président.
Mais Trump demeure obsédé par l’idée de conclure des accords hors de portée des autres dirigeants.
Après avoir innové en se tournant ainsi vers l’Iran, il pourrait être tenté de poursuivre sur sa lancée en revenant à sa vision de « l’accord du siècle » de création d’un État palestinien, sujet susceptible de resurgir plus tôt que Netanyahu ne le souhaiterait.
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