Irak : les chiites, grands gagnants de la chute de Saddam Hussein
Les chiites, majoritaires en Irak, ont imposé leur tempo sur la scène politique grâce à un équilibre politique souvent contesté, mais jamais renversé
Ils sont les grands gagnants de la chute du dictateur sunnite Saddam Hussein il y a 20 ans : les chiites, majoritaires en Irak, ont imposé leur tempo sur la scène politique grâce à un équilibre politique souvent contesté, mais jamais renversé.
Finie la mise à l’écart du chiisme, telle que la pratiquait Saddam Hussein. Aujourd’hui en Irak, pays multiconfessionnel et multiethnique, la communauté chiite domine, sous l’étroite surveillance de l’influent allié iranien.
Rien n’illustre mieux cette lame de fond que l’espace public, où la dévotion à l’imam Hussein s’affiche à coups de drapeaux à l’effigie de cette figure fondatrice de l’islam chiite.
Lors des grandes commémorations de l’Achoura et de l’Arbaïn, les pèlerins convergent par millions vers les villes saintes de Najaf et Kerbala. Plus rien à voir avec les célébrations semi-clandestines auxquelles les chiites étaient cantonnés sous Saddam Hussein.
« Les chiites sont-ils les grands gagnants de l’ordre post-2003 ? Ils le sont dans la mesure où ils sont la plus grande communauté du pays. Ils ont donc la plus grande représentation au sein du gouvernement », résume la politologue Marsin Alshamary.
Après la chute de Saddam Hussein, les autorités intérimaires installées par Washington s’attachent à construire avec leurs alliés un nouvel ordre politique. Est instauré un fragile équilibre prévoyant un strict partage des postes, principalement entre chiites, sunnites et Kurdes, et des quotas pour certaines minorités.
« Il fallait s’attendre à ce que les principaux interlocuteurs irakiens des États-Unis soient les mieux placés pour bénéficier d’un changement de régime », commente Fanar Haddad, spécialiste de l’Irak à l’université de Copenhague, rappelant que « l’opposition en exil » contre Saddam Hussein rassemblait principalement des mouvements chiites et kurdes.
« Elite consolidée »
Deux décennies plus tard, ce pouvoir n’a guère évolué.
Les mêmes noms continuent à dominer la « maison chiite », surnom donné au sérail par les observateurs : Nouri al-Maliki, Ammar al-Hakim, Hadi al-Ameri… la liste est longue. Il s’agit bien souvent d’anciens opposants exilés, issus de partis conservateurs et islamistes, longtemps réfugiés en Iran voisin ou en Europe pour fuir la répression sanglante de Saddam Hussein.
« L’élite politique s’est consolidée », confirme Mme Alshamary, chercheuse à la Middle East Initiative de l’université de Harvard.
A l’origine, ces responsables tiraient leur légitimité de leur charge de député, de Premier ministre ou de ministre. Ça n’est plus le cas aujourd’hui.
« Ces 20 dernières années, ils sont passés de responsables publics à simples chefs de partis, qui détiennent encore le pouvoir même s’ils n’ont techniquement aucune position officielle », poursuit Marsin Alshamary.
Et de nouveaux acteurs sont entrés en scène, dont certains parrainés par Téhéran, comme le Hachd al-Chaabi. Ces ex-paramilitaires sont désormais intégrés aux forces régulières et représentés au Parlement et au gouvernement.
« Aucun événement n’a autant servi les intérêts iraniens que l’invasion de l’Irak en 2003 », résume Fanar Haddad.
Le partage du pouvoir reste le même : les barons doivent s’accorder, mais cela ne se fait qu’au prix de tractations ardues et de blocages interminables.
« Les fondamentaux du système demeurent largement inchangés », confirme M. Haddad. « Le marché conclu par l’élite en 2003-2005 continue de gouverner la vie politique ».
« Changement générationnel »
Et les dissensions qui lézardent la « maison chiite » débouchent parfois sur des épisodes d’une violence inouïe. Les dernières élections législatives de 2021 ont ainsi entraîné une poussée de fièvre entre le camp pro-Iran et le turbulent Moqtada Sadr, culminant en août 2022 avec une journée de combats meurtriers au coeur de Bagdad.
Cette élite, souvent accusée d’être déconnectée de la base, est aujourd’hui contestée par la rue. Comme l’illustre l’inédit soulèvement anti-pouvoir d’octobre 2019, qui dénonçait pêle-mêle corruption endémique, infrastructures en déliquescence et mainmise de l’Iran.
Ces manifestations ont principalement secoué la capitale Bagdad et le sud du pays, majoritairement chiite, pauvre et sous-développé, malgré d’immenses richesses pétrolières.
Marsin Alshamary pointe du doigt un « changement générationnel » et une rupture avec le vote « sur une base identitaire » dont profitaient les partis chiites depuis 2005. « Aujourd’hui, si vous demandez à l’Irakien chiite moyen s’il s’inquiète de ce que l’Etat ne soit pas dominé par les chiites, c’est probablement le cadet de ses soucis », explique-t-elle.
« La plupart des Irakiens nés après 2003 (…) ont grandi dans un État où ils sont surtout confrontés à l’inégalité croissante des revenus et à la corruption. Et c’est contre cela qu’ils se battent. »