Isaac Amit accuse le gouvernement Netanyahu de saper l’indépendance de la justice
Le président de la Cour suprême critique vivement le ministre de la Justice, Yariv Levin qui répond en qualifiant la Cour de "dictature"
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Dans un discours ferme et combatif, le président par intérim de la Cour suprême, Isaac Amit, a critiqué vivement le gouvernement et le ministre de la Justice, Yariv Levin, pour ce qu’il a qualifié de tentatives visant à saper l’indépendance du pouvoir judiciaire, dans un discours public à l’Association israélienne pour le droit public.
Ses propos font suite à la décision de la Haute Cour ordonnant à Levin d’organiser un vote dans un délai d’un mois pour nommer un nouveau président de la Cour suprême. Cette décision intervient après que Levin a retardé l’application d’une ordonnance précédente, moins contraignante, ayant le même objectif.
En réponse, Levin a qualifié la Cour de « dictature » et n’a pas précisé s’il comptait se conformer à cette ordonnance, appelant plutôt à la relance du programme du gouvernement visant à réduire l’influence du pouvoir judiciaire, ravivant ainsi les craintes d’une crise constitutionnelle majeure.
« Ces jours-ci, nous assistons précisément à des tentatives visant à affaiblir le pouvoir judiciaire, au point de s’inquiéter réellement de l’érosion de son indépendance institutionnelle et des fondements de la séparation des pouvoirs », a affirmé Amit.
Le président par intérim du pouvoir judiciaire a souligné plusieurs points préoccupants : le programme de refonte judiciaire de Levin, qui permettrait au gouvernement de contrôler le pouvoir judiciaire ; les appels de ministres et de députés à ignorer les arrêts de la Cour suprême ; les efforts du gouvernement pour imposer son contrôle sur la nomination du médiateur de l’État pour les juges ; le refus de Levin de rencontrer Amit et son prédécesseur pendant plus de six mois ; les tentatives de Levin de réduire le nombre de juges par le biais du budget de l’État ; ainsi que la lenteur de Levin dans le processus de nomination d’un nouveau président de la Cour suprême.
« C’est la première fois dans l’histoire du pays que le pouvoir exécutif s’immisce de manière aussi flagrante dans la gestion interne du pouvoir judiciaire et l’allocation de ses ressources », a dénoncé Amit.

« Ne vous laissez pas tromper par la terminologie technique : porter atteinte à la force institutionnelle du pouvoir judiciaire, c’est porter atteinte à son autorité et, surtout, à sa responsabilité envers l’ensemble de la population », a-t-il poursuivi, ajoutant : « L’autorité judiciaire restera forte face aux tentatives d’affaiblissement de sa résilience institutionnelle. »
« Les juges de la Cour suprême s’approprient les pouvoirs du gouvernement et de la Knesset, piétinent le choix du peuple, rejettent à plusieurs reprises les votes de millions de citoyens israéliens et se transforment en dirigeants dictatoriaux, intervenant et déterminant tout, en lieu de ce que le peuple choisit », a fulminé Levin en réponse aux juges.
Le ministre de la Justice, qui a dirigé le programme de réforme judiciaire extrêmement controversé de 2023, déclare également que la Cour « nous a tous poussés au point » où une décision était nécessaire pour savoir s’il fallait ou non « restaurer la démocratie » en « défendant les autorités de la Knesset et du gouvernement », une allusion à la relance des réformes controversées qu’il a avancées et qui permettraient au gouvernement de prendre le contrôle du pouvoir judiciaire.
« Les citoyens israéliens ont le droit de vivre dans un pays démocratique doté d’un système judiciaire, et non d’être les serviteurs d’une poignée de maîtres qui pensent que la Cour est suprême sur le pays et ses citoyens », a insisté Levin.
En réponse aux affirmations du ministre de la Justice, le chef de l’opposition Yair Lapid a déclaré que c’est Levin lui-même « qui a essayé de transformer Israël en un État non démocratique avec son coup d’État illégal ».
Levin, qui était « l’un des principaux responsables du désastre du 7 octobre, enfreint à nouveau la loi et déshonore le ministère de la Justice », a tweeté Lapid.

« Au lieu de remettre l’État d’Israël sur les rails, il intensifie le chaos et la crise constitutionnelle », poursuit-il, ajoutant que depuis plus d’un an, la Cour n’a pas de président parce que « Levin a décidé de saboter le travail du pouvoir judiciaire » – quelque chose qui « doit cesser immédiatement ».
Suite aux propos du ministre de la Justice, Yariv Levin, disant les juges de la Cour suprême israélienne étaient devenus de « vrais dictateurs », le chef du parti Kakhol lavant, Benny Gantz, et le chef des Démocrates, Yair Golan, s’en sont chacun pris au député du Likud.
« Aucun ministre de la Justice n’a fait autant de dégâts en si peu de temps », a tweeté Gantz.
Levin fait comme si Israël était revenu à sa routine d’avant-guerre, comme si les otages étaient revenus et que l’économie était florissante : il reprend son projet de refonte judiciaire, a déclaré Golan.
« Le pays est en sang et Levin remet son rêve de coup d’État sur la table – sa campagne vengeresse destinée à détruire le système judiciaire », a-t-il écrit sur X en ajoutant que Levin n’avait ni le droit ni le soutien de la population de faire une telle campagne.
« Si vous essayez, nous serons là : à la Knesset, en salle d’audience, dans la rue. Nous avons un pays à sauver et nous n’abandonnerons pas. »
Le ministre des Communications Shlomo Karhi a, pour sa part, demandé à Levin de « présenter la loi modifiant la composition du panel de sélection en deuxième et troisième lecture ».
Cela fait maintenant un an que Levin refuse de nommer le nouveau président de la Cour suprême, faute de voix suffisantes au sein du comité de sélection pour s’assurer de pouvoir nommer un juge conservateur radical– et non le président par intérim de la Cour suprême, Isaac Amit, en lice pour le poste conformément au système actuellement en vigueur.
Karhi a critiqué « l’arrogance » d’Amit et dit qu’il « ne sera pas président de la Cour Suprême » et que la décision prise aujourd’hui était « illégale, invalide et ne devait sous aucun prétexte être suivie d’effets ».

« Je demande au ministre de la Justice de faire passer la loi modifiant la composition du comité de sélection judiciaire en deuxième et troisième lecture », a-t-il conclu
En septembre, le Times of Israel avait indiqué que Levin envisageait de relancer le projet de loi modifiant la composition du Comité de sélection judiciaire, partie la plus controversée de son projet de refonte judiciaire, afin d’assurer au gouvernement un contrôle presque total sur l’ensemble des nominations judiciaires en Israël, à commencer celle du président de la Cour suprême.
Ce projet de loi avait plongé le pays dans le chaos, au moment de l’adopter en mars 2023, et le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait fini par y renoncer temporairement.
En octobre dernier, le président de la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, Simcha Rothman, l’un des architectes de la refonde judiciaire, avait déclaré au Times of Israel que ledit projet deviendrait une loi « à la seconde où il y aurait une volonté politique, au sein de la coalition, pour l’adopter ».