Jérusalem est en feu, avec un risque de propagation à Gaza et en Cisjordanie
La police israélienne n'a pas réussi à contenir la violence dans la capitale - la pire depuis au moins quatre ans - et les dirigeants politiques du pays sont aux abonnés absents
Pour se faire une idée de la puissance inégalée de la ville de Jérusalem, il suffisait de jeter un coup d’œil à la jonction de Latrun, samedi après-midi, pour voir des dizaines de jeunes musulmans, hommes et femmes, portant des tapis de prière, marcher en direction du mont du Temple après que la police les a fait descendre des bus en direction de la capitale de peur qu’ils ne prennent part à des manifestations violentes sur le lieu saint.
Ces pèlerins, pour la plupart originaires de villes arabes du nord d’Israël, sont arrivés dans la Vieille Ville pour les prières du soir après une marche de plus de 30 kilomètres.
Depuis des semaines, la puissance émotionnelle, religieuse et nationaliste brute de Jérusalem est hors de contrôle, sous l’effet d’une convergence mortelle d’événements interconnectés et disparates, qui se déroulent tous pendant le mois sacré musulman du ramadan, au cours duquel les tensions sont souvent exacerbées.
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L’armée israélienne, le service de sécurité Shin Bet et la police israélienne se sont efforcés de contenir la violence et n’ont bénéficié que d’une aide limitée de la part de l’échelon politique. Les législateurs israéliens ne coopèrent pas entre eux alors que les différents partis tentent de former une coalition gouvernementale.
Le point chaud de Sheikh Jarrah
Le moteur de cette agitation actuelle est une affaire judiciaire très controversée concernant le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, où un certain nombre de familles arabes risquent d’être expulsées de force de maisons qu’elles occupent illégalement depuis des décennies. Des nationalistes israéliens de droite ont fait valoir avec succès que les propriétés appartenaient à des Juifs avant que la Jordanie ne conquière la région et n’y réinstalle les occupants actuels, et ont invoqué une loi de 1970 qui permet, à toutes fins utiles, aux seuls Israéliens juifs de réclamer des biens qui leur ont été retirés pendant la guerre d’indépendance de 1948.
Alors que le gouvernement israélien a tenté de présenter cette affaire comme un « litige immobilier entre deux parties privées », l’expulsion imminente de ces familles a été considérée comme emblématique d’un mouvement en Israël visant à déplacer les Israéliens juifs vers des zones traditionnellement habitées par des Arabes.
L’expulsion imminente a suscité l’inquiétude de l’administration Biden et attiré les critiques de ses alliés européens, ainsi que des nouveaux amis d’Israël dans le golfe Persique, les Émirats arabes unis et Bahreïn.
Une audience de la Cour suprême sur cette affaire est prévue pour lundi, bien que le ministère de la Justice s’efforce de convaincre la Cour de reporter l’affaire à une période moins tendue.
Lundi, Israël commémorera également Yom Yeroushalayim, anniversaire de la prise par l’armée israélienne de la Vieille Ville et de Jérusalem-Est sur la Jordanie lors de la guerre défensive des Six Jours en 1967. Cette fête nationale et religieuse est traditionnellement marquée par une Marche des drapeaux dans la Vieille Ville, y compris dans le quartier musulman, qui a été le théâtre par le passé de manifestations flagrantes de racisme anti-arabe et anti-musulman de la part de militants israéliens de droite.
Des responsables de la sécurité israélienne auraient averti le cabinet que la Marche des drapeaux pourrait exacerber la situation déjà tendue.
Tout ceci intervient alors que l’Autorité palestinienne a annoncé le mois dernier qu’elle reportait pour une durée indéterminée les élections palestiniennes – les premières depuis une quinzaine d’années -, une décision qu’elle a imputée à Israël qui refuse d’autoriser la tenue de bureaux de vote à Jérusalem-Est. (Bien qu’il se soit opposé par le passé à toute activité de l’AP à Jérusalem-Est, Israël n’a pas officiellement pris de décision à ce sujet ; le fait de pointer du doigt a généralement été considéré comme une excuse pour éviter des élections que le président de l’AP Mahmoud Abbas aurait perdues au profit de son rival, le groupe terroriste Hamas).
Les pires violences depuis des années
Le week-end dernier a été marqué par certaines des pires émeutes dans la capitale depuis l’été 2017, lorsqu’Israël a installé un certain nombre de mesures de sécurité impopulaires à l’extérieur du mont du Temple, à la suite d’une attaque terroriste meurtrière juste à côté du lieu saint, au cours de laquelle deux policiers ont été abattus.
Vendredi soir, un affrontement majeur a eu lieu entre la police et les Palestiniens et les Arabes israéliens sur le mont du Temple lui-même, ce qui est extrêmement rare. Les pierres et autres objets que les émeutiers ont lancés sur les policiers avaient apparemment été dissimulés sur le site à l’avance, en prévision de ces violences.
Dans la nuit de samedi à dimanche, que les musulmans appellent Laylat al-Qadr, l’un des jours les plus sacrés de l’islam, les émeutes ont repris à Sheikh Jarrah et sur le mont du Temple. En effet, peu après minuit samedi, le complexe du mur Occidental a été évacué alors que des émeutiers arabes sur le mont du Temple jetaient des pierres et lançaient des feux d’artifice sur les fidèles juifs en contrebas.
Une centaine de personnes ont été soignées par le Croissant-Rouge palestinien dans la nuit de samedi à dimanche matin, dont 10 dans la Vieille Ville et 90 à Sheikh Jarrah. Dix-sept policiers ont également été blessés lors des affrontements.
Cette agitation s’est également propagée à l’extérieur de la capitale, avec des dizaines de tirs de roquettes depuis la bande de Gaza le mois dernier et le retour d’engins incendiaires et explosifs transportés par ballons depuis l’enclave, ainsi que de multiples attaques et tentatives d’attaques contre des civils et des forces de sécurité israéliennes, dont une fusillade mortelle en voiture dimanche au cours de laquelle un étudiant de 19 ans, Yehuda Guetta, a été mortellement blessé et a succombé à ses blessures trois jours plus tard.
La semaine dernière, Mohammed Deif, l’insaisissable chef de la branche armée du Hamas, a averti qu’Israël paierait un « lourd tribut » si les expulsions de Sheikh Jarrah se poursuivaient – ce que les forces de sécurité israéliennes ne prennent pas pour une menace en l’air.
En effet, les services de sécurité israéliens craignent de plus en plus que la colère et la violence émanant de la capitale ne s’étendent dans les prochains jours. L’armée israélienne a fait appel à des renforts en Cisjordanie afin d’assurer une protection supplémentaire aux civils israéliens sur les sites habituels d’attaques terroristes, notamment les carrefours et les arrêts de bus. Tsahal a également déployé des batteries de défense antimissile Dôme de fer supplémentaires en cas de nouveaux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza.
Défaillances de la police
Jusqu’à présent, la police israélienne n’a pas réussi à endiguer la violence à Jérusalem et a même été accusée de l’attiser, en recourant à des mesures inutilement agressives et dénuées de tact pendant une période particulièrement sensible.
On l’a vu très clairement le mois dernier, vers le début du Ramadan, après des manifestations à Jérusalem-Est lorsque la police a installé des barricades bloquant les marches autour de la Porte de Damas, une zone régulièrement fréquentée par les pèlerins et les habitants des quartiers environnants. Cela a déclenché des protestations bien plus violentes autour du site, jusqu’à ce que la police finisse par capituler et retire les barrières, ce qui n’a pas mis fin à la violence, mais l’a atténuée.
Les barrages routiers mis en place par la police pendant plusieurs heures samedi après-midi pour empêcher les jeunes Israéliens musulmans de se rendre dans la Vieille Ville ont également échoué, n’empêchant pas les émeutes sur le mont du Temple et suscitant de nouvelles protestations et dénonciations.
La police n’a pas non plus réussi à contenir les militants israéliens d’extrême droite, qui organisent régulièrement des contre-manifestations, parfois violentes, autour de Sheikh Jarrah et ailleurs dans la capitale. Le législateur nationaliste d’extrême droite Itamar Ben Gvir a installé ce qu’il a déclaré être un « bureau parlementaire » à Sheikh Jarrah afin d’obliger la police à déployer des troupes supplémentaires dans la zone et de forcer le gouvernement à s’impliquer plus directement.
La police n’a officiellement montré aucune volonté de limiter de manière significative la marche des drapeaux des Juifs dans la Vieille Ville, ce qui laisse présager de nouveaux affrontements et de nouvelles violences. Toutefois, des informations ont suggéré dimanche que des discussions étaient en cours à ce sujet.
Des politiciens préoccupés
Les responsables politiques israéliens, quant à eux, se sont montrés très peu impliqués.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui avait appelé au calme et assuré les Israéliens musulmans que leur liberté de culte serait maintenue pendant le début du Ramadan lorsque les troubles ont commencé – alors que, faut-il le noter, il courtisait activement le parti islamiste Raam pour son gouvernement – est resté largement silencieux sur la question ces derniers jours. « Nous agissons de manière responsable pour assurer la loi et l’ordre à Jérusalem tout en maintenant la liberté de culte sur les lieux saints », a-t-il déclaré dans un communiqué samedi.
Le ministre de la Défense, Benny Gantz, a rencontré des hauts responsables de Tsahal, de la police et du Shin Bet au sujet des tensions croissantes avec les Palestiniens et les Arabes israéliens, mais il a largement approuvé les plans opérationnels existants plutôt que de publier de nouvelles directives. En sa qualité de ministre de la Justice, M. Gantz tente de retarder la décision de la Cour suprême de justice concernant Sheikh Jarrah afin d’essayer de désamorcer, au moins partiellement, l’incendie qui fait actuellement rage dans la capitale.
Le ministre de la Sécurité publique, Amir Ohana, qui est responsable de la police, a pour la plupart fait de même, recevant des évaluations de la situation et approuvant les mesures.
Le ministre des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, a quitté le pays pour se rendre en Corée du Sud afin de signer des accords commerciaux bilatéraux, au lieu de s’efforcer d’obtenir l’aide de la Jordanie, qui joue un rôle clé dans la gestion du mont du Temple, pour tenter de calmer la situation.
En l’absence d’un gouvernement opérationnel capable de prendre des décisions difficiles et impopulaires, il semble que les services de sécurité du pays soient largement laissés à eux-mêmes pour empêcher la poudrière de Jérusalem d’exploser.
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