La Knesset débat d’un projet de loi visant à taxer à 80 % les dons des gouvernements étrangers aux ONG
Ariel Kallner, du Likud, affirme que la loi « préservera » le caractère juif et démocratique d'Israël ; Tibi, député du Hadash-Ta'al, rétorque qu'elle vise à supprimer le vote des Arabes

Les députés israéliens ont commencé à étudier lundi la recevabilité d’un projet de nouvelles réglementations imposant des contraintes aux ONG de défense des droits humains basées en Israël et critiques du gouvernement.
Selon un communiqué d’organisations de la société civile israélienne visées par ce projet, débattu lors d’une séance préliminaire en commission diffusée par la télévision de la Knesset, l’idée est de taxer à 80 % les dons fait par des pays étrangers à des structures qui ne reçoivent pas de financement publics.
Par ailleurs, ces mêmes organisations ne pourraient plus saisir les tribunaux israéliens, ce qu’elles font régulièrement par exemple pour contester la constitutionnalité de politiques.
Les ONG concernées sont celles qui ne reçoivent pas de financement publics – ce qu’elles expliquent par leur dénonciation des actions du gouvernement, notamment dans les Territoires palestiniens.
Elles dépendent généralement de subsides étrangers pour fonctionner, notamment ceux de l’Union européenne qui dit partager leur volonté de protéger les droits humains et les valeurs démocratiques.
Le ministre des Finances, avec l’approbation de la commission des Finances de la Knesset, serait autorisé à exempter les organisations des nouvelles règles « dans des circonstances particulières ».
Dans son argumentation en faveur de la législation, qui a fait l’objet d’une lecture préliminaire en séance plénière de la Knesset en février, l’auteur du projet de loi, le député du Likud Ariel Kallner a fait valoir que les sanctions imposées aux résidents d’implantations violentes par l’administration Biden « résultaient d’ignobles accusations de meurtre rituel proférées par des organisations de délégitimation telles que Breaking the Silence et d’autres » – ajoutant qu’entre 2012 et 2024, « un peu plus de 1,3 milliard de shekels ont été versés par des pays étrangers à 83 organisations de gauche, dont certaines sont carrément antisionistes. »
« C’est une réalité psychotique qui fausse le discours », a-t-il déclaré, s’insurgeant contre « la guerre juridique financée par l’étranger contre l’État » par des groupes de défense des droits humains qui déposent des recours auprès de la Haute Cour de justice.
« La loi n’est pas contre la société civile, mais pour elle, contre sa distorsion », a affirmé Kallner. « La loi préservera un État juif, préservera la démocratie et bloquera les interventions étrangères illégales. »

Le président de la commission, Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit), a abondé dans ce sens, affirmant que des fonds étrangers finançaient l’opposition au programme de réforme judiciaire de la coalition, alors que « la procureure générale a interdit au ministre de la Justice d’utiliser l’argent de l’État pour produire de la diplomatie publique [en rapport avec] la réforme. »
Des groupes tels que B’Tselem, Breaking the Silence et le New Israel Fund sont depuis longtemps la cible de la droite israélienne et même du centre politique en raison de l’attention qu’ils portent aux violations présumées des droits humains commises par Israël à l’encontre des Palestiniens.
« Lorsqu’il s’agit du public arabe, il ne fait aucun doute qu’une partie de l’intention du législateur est d’empêcher les campagnes visant à encourager le vote dans la société arabe », a déclaré Ahmad Tibi, député de l’alliance radicale Hadash-Taal, à la commission.

Accusant le parti Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu de chercher à nuire à la représentation politique arabe, Tibi a déploré que la coalition travaille également à l’adoption d’un projet de loi « qui vise à faciliter la disqualification des listes arabes ».
Le mois dernier, les législateurs ont approuvé par 22 voix contre 0 la première lecture d’un projet de loi visant à disqualifier un candidat ou une liste de candidats aux élections municipales au motif qu’ils ont nié l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, ou qu’ils ont exprimé leur soutien au terrorisme ou à la lutte armée contre Israël.
« Si quelqu’un s’inquiète de l’ingérence étrangère, qu’il aille vérifier les lois passées pour voir où est allé l’argent des oligarques qui soutiennent les partis politiques au fil des ans, et ce qui s’est passé au bureau du Premier ministre », a déclaré le député de Yesh Atid, Yoav Segalovich, faisant allusion au scandale en cours du Qatargate.
Le Shin Bet et la police enquêtent actuellement sur des membres du cercle rapproché de Netanyahu au sujet de liens présumés entre eux et Doha dans le cadre de l’enquête. Ils sont soupçonnés de multiples délits liés à leur travail présumé pour une société de lobbying pro-Qatar, notamment de contact avec un agent étranger et d’une série d’accusations de corruption impliquant des lobbyistes et des hommes d’affaires.
« Si elle était adoptée, cette loi paralyserait de fait les organisations de défense des droits de l’Homme qui surveillent les actions du gouvernement », estime le communiqué de la coalition des ONG.
Elles appellent la communauté internationale à « s’opposer publiquement » à cette initiative parlementaire.
« Il s’agit d’une mesure très sévère, y compris à l’encontre des pays qui soutiennent largement ces ONG », renchérit Eszter Koranyi, de l’association Combattants pour la paix, qui gère des programmes d’échanges entre Israéliens et Palestiniens.
Ces dernières années, Israël a mis en place des réglementations stigmatisant des organisations de défense des droits humains, en particulier celles liées à l’étranger.
« Ce projet de loi représente une escalade dangereuse dans la campagne en cours visant à discréditer et à affaiblir financièrement les organisations de défense des droits humains en Israël », abonde Noa Sattath, de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI).
Si la commission doit encore se prononcer sur la recevabilité du projet, les ONG pensent que celui-ci pourrait aller rapidement au bout du processus législatif en quelques semaines seulement car selon elles, la majorité des 120 élus de la Knesset soutient l’idée.
« Nous sommes en train de dépasser la Hongrie » (dans les dérives autoritaires), affirme Avner Gvaryahu du Centre Ofek pour les politiques publiques, évoquant une « guillotine » pour la société civile.