La Knesset entame le débat avant les votes finaux sur le projet de loi du « caractère raisonnable »
La coalition devrait adopter le premier projet de loi sur la refonte judiciaire en dépit des menaces des réservistes, des manifestations et des inquiétudes des États-Unis
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.
La Knesset a entamé le processus de vote final dimanche pour adopter un projet de loi qui mettrait fin au réexamen judiciaire du « caractère raisonnable » des décisions du cabinet et des ministres, ce qui constituerait la première victoire législative majeure pour la coalition parlementaire radicale qui vise à réduire les contrôles sur le pouvoir exécutif.
En s’appuyant sur sa courte majorité à la Knesset, la coalition devrait faire passer le projet de loi en dépit des fortes objections politiques et sociétales, et malgré les annonces de plus en plus nombreuses des principaux réservistes de l’armée qui annoncent qu’ils ne se présenteront plus au service volontaire, ainsi que les préoccupations diplomatiques, professionnelles, sociales, économiques et sécuritaires soulevées par les principaux responsables israéliens et les alliés internationaux.
Avancé selon un calendrier précipité qui n’a consacré que neuf sessions de commission à la préparation du texte de base d’un amendement substantiel à l’une des Lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël, le projet de loi devrait surmonter de nombreuses obstructions et devenir une loi lundi ou mardi, conformément à l’objectif de la coalition de faire avancer son programme de réforme judiciaire avant les congés parlementaires du 30 juillet.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a été opéré tôt dimanche matin et s’est vu implanter un stimulateur cardiaque avec succès , une semaine après avoir été hospitalisé pour une déshydratation et avoir été équipé d’un dispositif de surveillance cardiaque. Le Bureau du Premier ministre a déclaré qu’il devrait sortir de l’hôpital dimanche, à temps pour le débat à la Knesset.
Le débat en plénière de dimanche sur le projet de loi avant sa lecture finale intervient un jour après que la « Marche sur Jérusalem » a rassemblé des dizaines de milliers de participants alors qu’elle atteignait la capitale, rejoignant ainsi des centaines de milliers d’autres personnes qui protestaient à Tel Aviv et dans tout le pays contre le projet de loi. Entre-temps, chaque jour, des milliers de réservistes supplémentaires se sont ajoutés à la liste de ceux qui déclarent qu’ils ne se présenteront plus au travail.
En un seul paragraphe, le projet de loi modifie la Loi fondamentale : Le pouvoir judiciaire pour empêcher les tribunaux d’évaluer le « caractère raisonnable » des décisions administratives prises par le cabinet ou ses ministres. Le « caractère raisonnable » est un critère établi par les tribunaux qui exercent un contrôle sur les décisions qu’ils considèrent comme imprudentes, contraires à l’éthique ou que partiellement étudiées. En vertu de la législation actuelle, ils pourraient continuer à utiliser ce critère pour les bureaucrates ou les mairies, mais pas pour les titulaires de fonctions plus élevées.
Les partisans de ce projet de loi estiment qu’il n’est pas normal qu’un collège de juges non-élus exerce son jugement sur des questions discrétionnaires ou politiques qui sont souvent intégrées dans des décisions administratives. Ses détracteurs estiment, au contraire, que la suppression générale de ce contrôle réduira la nécessité pour le gouvernement de suivre des procédures appropriées lorsqu’il prend des décisions dès le départ. De plus, en supprimant la protection des nominations, elle peut ouvrir la voie à la suppression de l’indépendance des gardiens de la démocratie.
La mesure est présentée comme la première étape d’un changement plus substantiel du système judiciaire, les dirigeants de la coalition affirmant que la prochaine étape consistera à accroître l’influence politique sur la sélection des juges. Les dirigeants de la coalition cherchent également à doter la Knesset d’un mécanisme lui permettant de passer outre aux invalidations de lois par les tribunaux, un pouvoir controversé que Netanyahu a récemment déclaré aux médias américains qu’il n’exercerait pas, avant de se heurter à une vive réaction de la part de ses partenaires politiques ultra-orthodoxes.
Le président américain Joe Biden s’est largement prononcé contre l’ambition de la coalition d’adopter une réforme judiciaire plus large et a exhorté Netanyahu à ralentir le processus et à parvenir à un large consensus avant d’adopter des changements constitutionnels significatifs.
Biden a même pris la rare initiative d’envoyer un message par l’intermédiaire de Thomas L. Friedman, chroniqueur au New York Times, mardi. Il a déclaré à Friedman que les valeurs démocratiques partagées étaient à la base de l’étroite alliance bilatérale entre Israël et les États-Unis et que l’affaiblissement de la démocratie israélienne risquait de menacer cette relation de manière irrémédiable.
Les multiples mises en garde du président américain font suite à un appel téléphonique à Netanyahu, lundi, au cours duquel Biden a encore exprimé son inquiétude quant à la réforme, et à une réunion, mardi, avec le président Isaac Herzog, qui se trouvait à Washington pour s’adresser à une session conjointe du Congrès.
Israël n’est pas doté d’une constitution et les Lois fondamentales sont facilement modifiables. Le gouvernement contrôlant le pouvoir législatif, la Cour suprême est le principal organe de contrôle du pouvoir exécutif dans le pays.
Un certain nombre d’universitaires conservateurs, qui soutiennent par ailleurs la limitation de l’application de la clause du « caractère raisonnable » aux questions politiques, affirment que le projet de loi va trop loin et supprime un frein essentiel sur les hauts responsables politiques.
D’autres détracteurs du projet de loi, notamment des hommes politiques de l’opposition et des dirigeants du mouvement de protestation contre la refonte, qui dure depuis 29 semaines, ont déclaré que la coalition faisait pression pour éliminer la notion du « caractère raisonnable » afin de servir des objectifs politiques spécifiques.
Nourrissant cette critique, la coalition a amendé le projet de loi à la mi-juillet pour déclarer explicitement que les tribunaux ne pourront pas toucher aux décisions relatives aux nominations ou aux décisions de s’abstenir d’exercer l’autorité, comme le fait de ne pas convoquer les commissions. Trois des objectifs politiques de la coalition seraient spécifiquement protégés par la formulation amendée du projet de loi : la réintégration d’un chef de parti de la coalition au sein du cabinet après que la Haute Cour de justice a rejeté sa nomination en la qualifiant de « déraisonnable à l’extrême« , la possibilité de mettre à exécution les menaces ministérielles de limogeage du procureur général et la possibilité pour le ministre de la Justice de ne pas convoquer la commission de sélection des juges jusqu’à ce que la coalition puisse en modifier la composition – seraient spécifiquement protégés par la formulation amendée du projet de loi.
Une semaine de manifestations précédant le débat de dimanche sur le projet de loi s’est concentrée sur ces questions, dans le cadre d’un argument plus large selon lequel le projet de loi fait partie d’une série de changements judiciaires prévus qui mineraient l’indépendance des gardiens et éroderaient les institutions démocratiques libérales d’Israël.
Des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues ces derniers jours, confrontés à un traitement plus brutal de la part des forces de police qui ont reçu l’ordre d’utiliser une main plus ferme contre les manifestants, près de huit mois après le début de la protestation menée par la société civile.
Samedi, la marche historique de quatre jours contre le remaniement a atteint Jérusalem, ce qui a donné lieu à des scènes saisissantes de la manifestation serpentant le long de la route principale menant à la capitale. Les manifestants ont installé un village de tentes à l’extérieur de la Knesset, et ont affirmé qu’ils y resteront jusqu’à nouvel ordre.
Des manifestations de grande ampleur sont prévues dans la ville dimanche, tandis qu’une importante manifestation pro-refonte devrait avoir lieu rue Kaplan à Tel Aviv, la même rue où se rassemblent régulièrement les manifestants anti-gouvernement.
Les divisions sociales émanant du débat national sur l’opportunité et la manière de rééquilibrer les pouvoirs entre les institutions publiques ont débordé sur l’armée israélienne, avec 10 000 réservistes qui se sont retirés du service volontaire car priver le système judiciaire de son pouvoir romprait le contrat social entre les citoyens et l’État en portant atteinte aux fondements de la démocratie.
Un ancien directeur de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet a soutenu leur geste, en déclarant jeudi qu’il était justifié de refuser de servir lorsque le gouvernement poursuit ce qui, selon lui, s’apparente à un coup d’État.
Des dizaines d’anciens hauts responsables des services de sécurité – y compris d’anciens chefs de Tsahal, de l’agence de renseignement du Mossad et du Shin Bet – ont envoyé samedi une lettre à Netanyahu pour lui demander d’interrompre le projet de loi sur la réforme du système judiciaire afin de permettre la reprise des négociations, tout en exprimant leur soutien aux réservistes qui ont menacé de cesser de s’engager en signe de protestation.
Le Premier ministre et d’autres politiciens de la coalition ont critiqué les réservistes pour avoir refusé le service volontaire et ont déclaré qu’il n’y avait pas d’excuse pour nuire aux forces de Tsahal. La semaine dernière, Netanyahu a rencontré son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et le chef d’état-major de Tsahal, Herzl Halevi, afin d’évaluer l’état de préparation de l’armée, au vu des protestations des réservistes.
Au début du mois, Israël a mené une opération de deux jours contre des terroristes palestiniens à Jénine, ville bastion du terrorisme en Cisjordanie, et se trouve actuellement dans une impasse avec le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah à la frontière nord.
Les dirigeants du Hezbollah et de l’Iran ont déclaré qu’ils percevaient la résilience nationale d’Israël comme affaiblie en ce moment, en raison du conflit interne déclenché par le débat judiciaire.