La Nuit de la Philosophie à Tel Aviv, un succès renouvelé
Après le succès de la première édition en 2015, l’Institut français de Tel Aviv, en partenariat avec l’Institut Goethe, organisait le jeudi 26 mai une Nuit de la Philosophie franco-allemande. Conférences, débats, projections de films : la ville a vibré toute la nuit
Des centaines de personnes sont rassemblées sur le boulevard Rothschild, devant l’Institut français de Tel Aviv, en ce jeudi soir. Des Français, des Israéliens, des Allemands aussi : ils sont tous là pour assister aux multiples conférences et autres événements philosophiques qui se dérouleront de 19 heures à plus de 3 heures du matin. L’ambassadeur de France en Israël, SE Patrick Maisonnave, est présent, ainsi que l’ambassadeur d’Allemagne, le Dr. Clemens von Goetze.
Dans son discours d’introduction, Patrick Maisonnave se montre volontairement politique, rappelant les longues années d’inimité entre la France et l’Allemagne, un passé désormais surmonté : aujourd’hui, la France et l’Allemagne sont « deux peuples, deux Etats, tournés ensembles, conjointement, vers la paix, la démocratie, vers les droits de l’homme ».
Puis, sans nommer le conflit israélo-palestinien, l’ambassadeur souhaite que cette amitié « inspire d’autres peuples, à d’autres époques, ici et maintenant, et vous savez bien entendu à qui je pense en disant ces mots ». Certains dans le public grimacent légèrement à cette allusion à peine voilée : « non, on ne sait pas à qui tu penses », murmure un spectateur à ses voisins.
L’ambassadeur d’Allemagne prend alors la parole en français, remerciant son homologue, l’équipe organisatrice, et souhaitant à tous une longue et belle nuit.
Raphaël Zagury-Orly, commissaire de cette Nuit et philosophe israélien, conclut en hébreu par les mêmes propos, et lance le premier événement : une lecture en hébreu d’un discours d’Albert Camus par Gila Almagor, la « reine du cinéma et du théâtre israéliens », accompagnée au violoncelle par Sonia Wieder-Altherton, musicienne française. La lecture, d’une quinzaine de minutes, est particulièrement émouvante, et renforcée par les différents styles interprétés par la violoncelliste.
Sociologie et politique, au cœur des conférences de la soirée
A la fin du concert, les spectateurs se dispersent dans les différents lieux où se dérouleront les conférences : l’institut français, avec son auditorium, son toit-terrasse et sa médiathèque, reste l’épicentre de la Nuit, mais certains se dirigent aussi vers l’hôtel Lily & Bloom, situé dans la rue Lilienblum, le centre Suzanne Dellal à Neve Tsedek ou la galerie Chelouche. Pour des raisons pratiques, les dix lieux réquisitionnés par la Nuit de la Philosophie sont à quelques minutes à pied de l’institut français.
Dans l’auditorium de l’Institut français, la courte conférence de Patrick Savidan, président de l’Observatoire des Inégalités, sur « Repenser l’égalité des chances » attire la foule.
La soixantaine de fauteuils sont occupés, et pendant vingt minutes, le sociologue propose de nouvelles façons de considérer cet acquis social. « L’égalité des chances telle que nous la concevons ne marche nulle part », pose-t-il en introduction.
Selon lui, il est impossible d’avoir la même ligne de départ pour tout le monde, car il faudrait pour cela « détruire la famille ». Dans le public, cette idée fait chuchoter : l’organisation de type kibboutz, où la famille perd son importance face à la communauté, serait-elle la solution ?
Malheureusement, impossible d’échanger avec l’intervenant : les conférences sont chronométrées et, à 21 heures, les spectateurs sont priés de quitter l’auditorium avant d’y revenir pour la conférence suivante, à 21h10. Une injonction peu observée, alors que la moitié de la salle reste occupée. Les conversations se font dans le couloir, et des connaissances se retrouvent parfois.
Pour Roger et Pierre, deux retraités français installés à Tel Aviv depuis quelques années, les événements de l’Institut français sont l’occasion de voir du monde et des amis. « Nous somme des habitués, on était déjà venus à la Nuit de la Philosophie l’année dernière », explique Roger. « On n’a pas vraiment de liste de conférences à suivre, ça dépend de notre humeur. Mais c’est dommage qu’on ne puisse pas poser de questions », continue-t-il.
Les deux amis reprennent place dans la salle pour assister à une nouvelle conférence, elle aussi éminemment actuelle et politique : « Le Pouvoir, entre secret, mensonge et vérité », un dialogue entre les philosophes françaises Myriam Revault d’Allones et Monique Canto-Sperber.
Les deux femmes exposent des problèmes intéressants, suscitant l’intérêt du public qui, là non plus, n’a pas accès au micro pour poser des questions. « La vérité et la politique ne font pas bon ménage », rappellent-elles, car le secret peut être nécessaire au pouvoir.
Le sujet des lanceurs d’alerte, comme Edward Snowden ou l’histoire plus récente des Panama Papers, est également abordé : la transparence serait désormais une « idéologie », mais gare à l’excès ! Car « trop de bruit fait que plus rien n’est audible ».
Les organisateurs de la soirée, notamment l’ambassadeur Patrick Maisonnave et Raphaël Zagury-Orly, passent une tête dans la salle pour observer le public et les deux intervenantes. « Il y a du monde, c’est bien ! », glissent-ils à un membre de l’Institut Français, reconnaissable à leur tee-shirt.
Une affluence record pour cette deuxième édition, avec plus de 5 000 participants : alors jamais deux sans trois !