La pédiatre qui ne donnera jamais de bonbons à ses petits-enfants
HENRY, le programme sur l'obésité infantile pensé par Mary Rudolf, de l'université Bar-Ilan, a permis à de jeunes enfants de Leeds de perdre du poids ; en attendant ceux d'Israël

Mary Rudolf n’est pas une grand-mère qui gave son petit-fils de trois ans de chocolat pour s’attirer ses faveurs.
En effet, la pédiatre de 68 ans, qui est également experte en obésité infantile, indique avec douceur et fermeté : « Je fais ce que je prêche. Si quelqu’un lui donne du chocolat, cela ne va pas me rendre folle, mais je n’en achète jamais personnellement ».
Le Times of Israel a interviewé cette immigrante venue du Royaume-Uni à la voix douce, dans l’appartement de son fils situé dans le quartier de Ramat Aviv, à Tel Aviv, où elle s’occupe de ses deux petits-enfants – des jumeaux – en cette matinée chaude et ensoleillée de juillet. Pendant le reste de la semaine, cette grand-mère est à la tête du département de Santé publique de l’école de médecine Azrieli de l’université de Bar-Ilan à Safed, dans le nord d’Israël. L’université l’a invitée en 2011 à devenir membre-fondateur de l’école de médecine, ce qu’elle a accepté, quittant ainsi sa ville de Leeds.
Buvant un thé et mangeant des morceaux de pastèque découpés dans un bol, Mary Rudolf explique comment le programme qu’elle a développé – le programme HENRY – est parvenu à endiguer la tendance croissante de l’obésité infantile à Leeds, l’une des plus grandes villes de Grande-Bretagne. Adopté dans toute l’Angleterre depuis 11 ans, ce programme a été mis en œuvre dès 2009 dans la cité ouvrière – devenue depuis la toute première ville du Royaume-Uni à enregistrer une baisse de l’obésité infantile.

Le succès de HENRY a été mesuré dans une étude menée par Mary Rudolf et par la professeure Susan Jebb de l’université d’Oxford et publié dans la revue Pediatric Obesity au mois d’avril.
L’étude a montré qu’en l’espace de neuf ans, le nombre d’enfants obèses âgés de 4 et 5 ans avait baissé de 6,5 % avec une trajectoire descendante continue. Des villes similaires au Royaume-Uni ont pour leur part observé une hausse des chiffres de l’obésité. Après la présentation des conclusions, lors d’une conférence organisée à Londres au mois de mai, l’information de cette réussite a fait la Une des journaux locaux.
« Les bonnes nouvelles n’arrivent pas souvent, et là, c’en était une », se félicite Mary Rudolf, esquissant un petit sourire. « Il est possible de réduire l’obésité, et Leeds l’a fait ».
L’excitation a été telle que Mary Rudolf, en visite à Londres au début du mois, y a présenté ses conclusions lors d’un forum réunissant tous les partis siégeant au Parlement britannique. Un documentaire pour la télévision nationale est également en projet.

HENRY, c’est qui, c’est quoi ?
L’acronyme HENRY désigne en anglais Health, Exercise, Nutrition for the Really Young (Santé, exercice et nutrition pour les très jeunes). Mais c’était également le prénom du père de Mary Rudolf, comptable à Londres.
Elle a commencé à s’intéresser à l’obésité infantile alors qu’elle était pédiatre à Leeds. Aux côtés d’un collègue, elle a décidé d’aborder le sujet de l’obésité dans les écoles et a contribué à la mise en place de cliniques communautaires pour tenter d’éradiquer ce problème croissant.
Ces cliniques, explique-t-elle, « ont fait des choses formidables pour l’état émotionnel des enfants mais il a été très, très dur de traiter l’obésité ».
Elle a donc songé à cibler les tout petits « de zéro à cinq ans », pensant que c’était un meilleur moyen d’endiguer l’épidémie, et elle a mis sur pied HENRY en 2007 avec Candida Hunt, une éducatrice en parentalité.
Le facteur numéro 1 pour stopper l’obésité : la parentalité
Le programme « présente un certain nombre de caractéristiques importantes », dit-elle en se basant sur la recherche qu’elle a menée pour déterminer les facteurs pertinents à prendre en compte chez les tout-petits. Elle en a identifié cinq.
« Il ne s’agit pas seulement d’un régime », note-t-elle.
Premier facteur : l’éducation. Puis viennent le mode d’alimentation, les aliments consommés, l’activité physique et le bien-être émotionnel.
« Parmi tous ces éléments, je pense que l’éducation est le plus important », clame la pédiatre.

La majorité des parents veulent que leurs enfants grandissent en bonne santé et tentent de leur apporter ce qu’il y a de meilleur. Toutefois, le quotidien présente son lot de difficultés, en particulier chez les familles touchées par la pauvreté.
« L’éducation idéale, c’est quand les parents peuvent fixer des limites à leurs enfants tout en se montrant chaleureux et sensibles », explique-t-elle, évoquant les recherches réalisées sur le sujet.
« Les parents qui suivent ce mode d’éducation empreint d’autorité sont moins susceptibles d’avoir des enfants obèses », affirme-t-elle. Mais avoir de l’autorité est aussi « une bonne chose en tout. C’est bon pour le développement, bon pour le comportement ».
Le problème, continue-t-elle, c’est que « les parents ne sont pas très bons quand il s’agit de poser des limites. Ils veulent être les amis de leurs enfants. Ils veulent se montrer chaleureux et aimants la plupart du temps, mais ils ne savent pas comment leur fixer des limites ».
Ils doivent donc eux aussi apprendre à se montrer durs lorsque nécessaire.
« Des parents qui veulent trop contrôler la situation n’agissent pas de la meilleure façon. Et ces parents qui sont très affectueux et aimants peuvent être trop indulgents. Le style idéal est donc d’être un peu des deux », assure Mary Rudolf.
Au-delà des conseils généraux sur la parentalité, la manière dont les enfants mangent est fondamentale – et pas seulement les aliments qu’ils consomment. HENRY insiste sur l’importance de manger ensemble, « de s’asseoir et d’avoir des horaires de repas, plutôt que de manger constamment tout au long de la journée », explique-t-elle.
A cet âge, l’activité physique consiste surtout à ne pas laisser l’enfant dans un siège de voiture ou une chaise haute toute la journée, indique-t-elle. « Les enfants sont naturellement actifs si vous leur donnez l’opportunité ». Pour compléter l’équation, il faut penser au bien-être à la fois des parents et de l’enfant : « Quand on se sent bien dans sa peau, tout le reste suit ».
C’est pourquoi le cœur du programme consiste à former les professionnels de santé à travailler efficacement avec les parents et leurs jeunes enfants et leur enseigner les cinq facteurs sur lesquels se concentrer.
Traditionnellement, mes diététiciens, le personnel infirmier et les médecins disent quoi faire aux parents, regrette Mary Rudolf, mais HENRY leur apprend à ‘travailler avec les parents », à les écouter et les laisser trouver des solutions. « Nous savons que c’est bien plus efficace » que leur faire la morale, promet-elle.

Au Royaume-Uni, plus de 20 000 professionnels de santé ont été formés à la méthode HENRY depuis 11 ans.
Certains d’entre eux sont des personnes qui travaillent en tête-à-tête avec ces familles, comme les diététiciens et le personnel infirmier. D’autres ont affaire avec 12-15 parents à la fois, les rencontrant deux heures chaque semaine pendant plus de huit semaines.
HENRY est une ONG, et les municipalités peuvent élire une commission qui sera chargée du programme, le plus souvent dans des centres présents dans des zones ou régions défavorisées. Tous les professionnels de santé de ces centres sont formés au programme HENRY, explique sa créatrice.
Presque universellement les gens pensent que leurs bébés doivent manger plus que ce dont ils ont besoin
En plus de ces sessions de formation, HENRY fournit également aux parents des kits d’outils, qui contiennent un tableau détaillant les portions de nourriture recommandés pour les enfants.
« Presque universellement les gens pensent que leurs bébés doivent manger plus que ce dont ils ont besoin », a constaté la pédiatre. « Trop souvent les bébés sont sur-nourris… et cela peut donner lieu à une obésité ».
« Nous établissons des recommandations, qui sont bien moins nombreuses que ce que pensent les gens », rassure-t-elle.
Les bébés naissent avec une « jauge naturelle, ils savent quand ils ont faim, ils savent quand ils sont repus », raison pour laquelle l’allaitement est si bénéfique, parce qu’ils arrêtent de s’alimenter lorsqu’ils le souhaitent, évitant ainsi à la mère de gaver son enfant », ajoute-t-elle.
En général, notre société exprime l’amour par la nourriture, d’après la pédiatre, et les enfants sont trop souvent récompensés par des bonbons ou du chocolat.
« Si on arrive à faire les bonnes choses dès le début… alors les aliments que l’on aime et que l’on mange lorsque l’on est enfant sont ceux que nous mangerons et apprécierons plus tard dans la vie ».

Une étude publiée dans Pediatric Obesity en 2013 a révélé que trois mois après la fin de la formation, non seulement les enfants mangeaient mieux et étaient plus actifs, mais le programme présentait aussi des effets positifs sur les parents — et les formateurs et leurs enfants également.
« Ils avaient une plus grande activité physique, plus d’assurance en tant que parents. C’était comme si le programme déclenchait tout. Ça faisait chaud au cœur de voir que cela marchait », se réjouit Mary Rudolf.
Cela a très bien marché à Leeds, car Janice Burberry, directrice de la santé publique au conseil municipal de Leeds, a décidé en 2009 que tous les professionnels de santé et de la petite enfance travaillant dans des crèches devaient suivre la formation HENRY, explique son instigatrice. Au total, 1 400 praticiens ont ainsi été formés. Sur une période de 10 ans, ce sont 600 groupes de parents et environ 6 000 parents qui en ont profité.
Ce qui était encore plus grisant avec l’expérience de Leeds, explique Mary Rudolf, c’est que le déclin de l’obésité s’est produit dans des familles aux revenus faibles, qu’HENRY cible tout particulièrement.
Adapter HENRY en Israël
Après son immigration en Israël en 2011, la pédiatre est contactée par le ministère de la Santé qui souhaite profiter du programme. Elle met alors sur pied une équipe de professionnels, formant « de façon intense » quatre femmes pendant trois semaines et fait traduire et adapter les contenus aux besoins culturels locaux et en hébreu.
Une version pilote du programme, appelé Efshari Bari LeMishpacha (« La santé familiale, c’est possible »), a ensuite été proposée pendant cinq ans dans neuf municipalités défavorisées comptant des populations juives, arabes et mixtes, notamment Jérusalem, Ramle, Yeruham et Baqa al-Gharbiya. HENRY est géré par le ministère de la Santé et Ashalim, un programme sous les auspices de l’organisation humanitaire Joint Distribution Committee – Israel (JDC) qui s’occupe des jeunes à risque.
« Tout le processus était accompagné d’une évaluation en profondeur de l’impact du plan par l’Université de Haïfa », indique Ronnie Hasson, l’une des quatre Israéliennes formées au programme et aujourd’hui membre de l’équipe locale.
Il est possible de réduire l’obésité, et Leeds l’a fait
« Les résultats [de l’évaluation] étaient très encourageants et démontraient les effets considérables sur la vie quotidienne », assure Ronnie Hasson.
Les gens cuisinaient plus chez eux, buvaient plus d’eau et mangeaient moins de sucrerie, poursuit-elle. Une hausse du bien-être émotionnel a également été observée.
Le fait, notamment chez les femmes, qu’il est important « de recharger ses batteries » a été bien internalisé, explique-t-elle.
Les prochaines étapes du programme en Israël n’ont pas encore été déterminées.
« Les versions pilotes nous ont permis de découvrir les défis et les bénéfices » du programme, dont le lancement dans le reste du pays dépend désormais du ministère de la Santé, explique Ronnie Hasson, ajoutant que les prestataires de santé, ou kupot holim, dont font partie pratiquement tous les Israéliens, seraient le meilleur cadre pour cela.
Toujours en activité
De son côté, Mary Rudolf doit prendre sa retraite en septembre. Elle se voit continuer d’apporter son aide pour HENRY comme elle le pourra et a l’intention de passer plus de temps avec ses petits-enfants — « un vrai privilège » — tout en s’occupant de ses étudiants doctorants qui travaillent sur des projets destinés à corriger les inégalités de santé dans la société et venir en aide aux populations défavorisées.

Mary Rudolf a également développé un programme à l’hôpital Ziv de Safed visant à éviter aux jeunes enfants de se blesser. Il s’agit notamment de proposer aux parents de jeunes enfants qui se rendent aux urgences d’envoyer chez eux un élève infirmier ou un étudiant en médecine. Les professionnels vont alors au domicile de la famille avec une trousse de secours et vérifient que la maison est aussi sûre que possible pour les jeunes enfants.
Mary Rudolf a développé un autre programme appelé Etgar — défi en hébreu. Il forme les étudiants en médecine à réaliser des visites de suivi chez les patients lorsque le personnel hospitalier estime nécessaire de vérifier qu’ils prennent bien leur traitement. Ils vérifient également comment ils vont et les mettent en contact avec les services sociaux lorsque nécessaire. Le programme est actuellement disponible dans quatre hôpitaux, à Nahariya, Safed, Poriya près de Tibériade et Nazareth.
« Jusqu’à ce jour, ils ont visité plus de 1 000 patients peut-être », se félicite-t-elle. « Nous espérons ainsi que cela évitera aux patients de revenir sans cesse à l’hôpital ».
Pour en revenir à l’obésité et au programme HENRY : comment Mary Rudolph a élevé ses enfants en termes d’alimentation ?
Il y a trente ans, répond-elle, sa jeune famille a vécu à Eilat pendant quatre ans puis à Haïfa pendant trois ans. Alors ses enfants ont profité d’une alimentation saine dans l’ensemble.
« À cette époque, il n’y avait que de la nourriture saine, vous savez », se souvient-elle. « Ce qu’on pouvait acheter dans la rue ? Des falafels. C’est sain, les falafels. Et les enfants passaient tout leur temps à jouer dehors ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel