La violence domestique exacerbée par la guerre ; la politique des armes s’assouplit
Depuis que la Knesset a facilité l'obtention d'un permis de port d'arme le mois dernier, les groupes d'aide sociale enregistrent une augmentation des problèmes liés aux armes à feu
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.
La violence domestique demeure un problème majeur malgré la guerre qui oppose Israël au groupe terroriste palestinien du Hamas, et des organisations de femmes avertissent que le stress des combats et l’assouplissement des critères d’éligibilité pour l’obtention d’un permis de port d’arme visant à mettre les armes à feu entre les mains des civils ne peuvent qu’exacerber la violence qui a touché plus de 13 200 personnes en 2022, dont 69 % sont des femmes, selon les chiffres recensés par le ministère des Affaires sociales.
Dans la semaine qui a suivi le massacre du Hamas du 7 octobre, quelque 41 000 nouvelles demandes de permis de port d’arme ont été déposées, selon les données présentées à la commission de la Sécurité nationale de la Knesset.
Alors que le ministère des Affaires sociales a enregistré une baisse des demandes d’aide attribuée à l’incertitude et à l’instabilité en temps de guerre, d’autres organisations ont déclaré qu’elles avaient dû augmenter leur offre de services pour répondre à la demande accrue en temps de guerre, dans des chiffres publiés avant la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, parrainée par les Nations unies, qui a eu lieu samedi.
Selon le directeur des services d’assistance téléphonique de Naamat, l’une des principales organisations israéliennes parmi les deux douzaines qui fournissent des services aux victimes de violences conjugales, les appels passés depuis près de sept semaines, depuis que le Hamas a pris d’assaut Israël et déclenché la guerre actuelle à Gaza, ont augmenté de 45 %.
Environ 70 % des quelque 200 appels que Naamat reçoit chaque mois sont liés aux violences domestiques, a déclaré Gali Brin, en utilisant une définition élargie qui va de l’abus verbal, de la violence économique et de la manipulation jusqu’à la violence physique.
L’une des nouvelles préoccupations des interlocuteurs est la crainte que leur partenaire puisse désormais se procurer une arme, soit en rejoignant une organisation de sécurité communautaire nouvellement créée, soit en demandant une licence d’arme à feu selon des critères assouplis le 15 octobre dernier.
« C’est un type d’appel que nous n’avions pas avant la guerre », a déclaré Brin. Elle a ajouté que, bien qu’elle n’ait reçu qu’une poignée d’appels de femmes préoccupées par le fait que leurs partenaires violents non déclarés obtiennent des armes à feu, « le fait que les femmes commencent à le craindre et que cela augmente » indique une tendance inquiétante.
Le ministère des Affaires sociales a publié lundi des chiffres indiquant qu’il avait reçu 18 sollicitations au cours des semaines qui ont suivi l’assouplissement des critères d’octroi des permis de port d’arme, afin de procéder à une évaluation du danger lié aux permis de port d’arme, contre 6 au cours de l’année 2022.
Ces inquiétudes ont été relayées par d’autres organisations qui gèrent des lignes téléphoniques d’urgence et des refuges pour les personnes battues -femmes, hommes et leurs enfants – en Israël.
Mardi, des groupes de femmes ont déclaré lors d’une réunion de la commission de surveillance de la Knesset qu’il était urgent de revoir la nouvelle réglementation sur les licences d’armes à feu afin de prévenir les féminicides. La réunion s’est terminée abruptement après que le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui a poussé à l’assouplissement de la réglementation, a exclu le chef du Département des licences d’armes à feu de son ministère de la réunion de la commission de Contrôle de l’Etat, suite à un différend mêlant le président de la commission, Mickey Levy.
L’assouplissement de la réglementation n’est pas la première chose que les associations de femmes reprochent à Ben Gvir, qui, au début de l’année, avait retardé, puis finalement assoupli, la législation visant à autoriser la surveillance électronique des auteurs de violences conjugales et familiales.
Approuvée à la mi-octobre par la commission de la Sécurité nationale de la Knesset, les nouvelles réglementations sur les armes à feu allègent les critères requis pour l’obtention d’une arme à feu; Dorénavant, les hommes de plus de 21 ans peuvent obtenir un permis s’ils ont servi en tant que combattants pendant un an ou s’ils ont effectué deux ans de service militaire. Les femmes pourront obtenir un permis si elles effectuent une année de service militaire et si elles vivent ou travaillent dans une zone qualifiée de dangereuse.
La réglementation précédente exigeait un service militaire complet ou un service national de deux ans pour tous les candidats citoyens, ou l’obligation d’attendre l’âge de 27 ans pour déposer une demande.
La politique israélienne en matière de permis de port d’armes est historiquement stricte et vise à rendre les armes disponibles pour la communauté et l’autodéfense, plutôt que comme un droit civil. Le ministère de la Justice a recommandé de limiter les nouvelles conditions d’éligibilité à une ordonnance d’urgence d’un an, mais la commission les a adoptées en tant que changements permanents.
Citant des rapports de travailleurs sociaux, le ministère des Affaires sociales a déclaré lundi que des femmes ont exprimé leur inquiétude sur le fait que « leurs partenaires avaient utilisé [une demande de permis de port d’arme] comme menace à leur encontre, et les avaient informées qu’ils avaient l’intention d’acheter des armes ».
Brin, de Naamat, a déclaré que « beaucoup d’entre elles sont des familles qui ne sont pas connues des organismes de protection sociale », ce qui fait partie d’un phénomène qu’elle a qualifié de « maltraitance silencieuse ».
Par conséquent, « lorsque ce [violent] partenaire va demander un permis de port d’arme, il n’y aura pas de dispositif d’alerte identifié dans le réseau pour l’en empêcher », a-t-elle signalé. De ce fait, l’accessibilité accrue aux armes à feu « augmente le risque de violence conjugale de 5 à 8 % ».
À la fin du mois de novembre 2023, 20 femmes ont été assassinées par leur partenaire ou des membres de leur famille, a déclaré Shalva Weil, directrice de l’Observatoire israélien du féminicide à l’Université hébraïque de Jérusalem. Ce chiffre, a-t-elle ajouté, est comparable à celui des années précédentes.
Tout en reconnaissant que certaines organisations féministes craignent que l’assouplissement de la législation sur les armes à feu ne se retourne contre les femmes, Weil a déclaré que le féminicide, qui est « l’aboutissement ultime de la violence conjugale », n’a pas augmenté au cours de la guerre.
Deux femmes ont été tuées par des membres de leur famille depuis le début de la guerre, toutes deux par des couteaux de cuisine, a-t-elle ajouté, soulignant la persistance du fléau de la maltraitance au-delà de la question des armes à feu.
Pourtant, a déclaré Brin, « la violence conjugale continue » pendant la guerre.
« Quiconque a subi des violences conjugales avant la guerre est toujours confronté à ce problème, en plus de toutes les difficultés liées à la guerre, telle que l’anxiété », a-t-elle ajouté.
Le ministère des Affaires sociales a indiqué que, par exemple, les travailleurs sociaux placés dans les hôtels accueillant les quelque 100 000 civils israéliens évacués des communautés de la ligne de front, ont observé « 13 incidents inhabituels de violence conjugale » au cours des cinq premières semaines de la guerre.
Contrairement à Naamat, le ministère des Affaires sociales a déclaré que sa propre ligne d’assistance téléphonique indépendante avait enregistré une baisse de 30 % des appels pour violence conjugale depuis le début de la guerre, en recevant 342 au cours des cinq premières semaines de la guerre. Le ministère a déclaré qu’il s’attendait à un pic immédiatement après la guerre.
« De nos jours, la détérioration du sentiment de sécurité, l’incertitude économique et l’inquiétude pour les enfants poussent de nombreuses personnes qui se trouvent dans un cycle de violence à reporter le traitement du problème », a déclaré Eti Kisos, qui dirige les services sociaux pour le ministère des Affaires sociales.
La violence au sein de la famille ou entre partenaires intimes touche les femmes de manière disproportionnée. Sur les 16 000 crimes violents, sexuels ou fondés sur des menaces commis contre des femmes en 2021, 52 % ont été perpétrés par un membre de la famille ou un partenaire, selon les données des dossiers de police recueillies par la Knesset.
Les femmes représentent 80 % des victimes de violence conjugale, selon ces données.