L’Autorité de l’Innovation s’inquiète des conséquences de la réforme judiciaire
L'agence gouvernementale prédit qu'avec l'incertitude qui règne aujourd'hui, les start-ups auront du mal à lever des capitaux, les forçant à stopper leurs activités ou à s'expatrier
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Le débat consacré au plan controversé du système israélien de la justice qui est avancé par le gouvernement crée un fort climat d’incertitude pour les investisseurs, amenant les entrepreneurs et les firmes du secteur des hautes technologies à se relocaliser à l’étranger, a indiqué une agence gouvernementale responsable de l’écosystème technologique local dans la journée de lundi.
Dans un rapport qui a été présenté au ministère de l’Innovation, des Sciences et des technologies, l’Autorité israélienne de l’Innovation a fait part de ses graves inquiétudes concernant le risque croissant encouru par les start-ups et par les différents fonds de se trouver dissociés du marché technologique mondial – un marché dont ils dépendent essentiellement pour lever des capitaux.
« L’instabilité induite par le projet de réforme du système de la justice entraîne une perception d’incertitude qui réduit la viabilité des investissements en Israël », ont écrit dans le rapport les chercheurs de l’Autorité de l’Innovation. « Il y a des inquiétudes substantielles et réelles sur la possibilité qu’Israël en vienne à se déconnecter, dans un proche avenir, des tendances mondiales des capitaux et que la part du pays dans le gâteau des investissements de capital-risque mondiaux ne se trouve diminuée ».
Cette entité gouvernementale qui accorde la majorité des subventions publiques aux start-ups qui débutent leurs activités – avec pour objectif de soutenir les technologies révolutionnaires – a mentionné « un écart négatif significatif » entre les rendements des actions technologiques commercialisées à la Bourse de Tel Aviv et au Nasdaq, ces dernières semaines.
Depuis le début de l’année 2023, l’indice technologique israélien n’a généré aucun retour, tandis que l’indice du Nasdaq s’est élevé d’environ 20 % pendant la même période, selon le rapport. Des études réalisées dans le passé ont démontré une corrélation entre la croissance du Nasdaq et le volume total des investissements en Israël, a noté le rapport.
« Un écart qui renforce la crainte de ce que nous nous trouvions au bord d’une situation où il pourrait y avoir une ‘scission’ entre le marché global et le marché israélien », ont écrit les chercheurs de l’Autorité. « Si tel est le cas, de nombreuses compagnies israéliennes du secteur des hautes-technologies auront beaucoup de difficulté à soulever des investissements et elles se trouveront dans l’obligation de fermer leurs portes ou de s’expatrier ».
Il y a déjà une tendance croissante au départ des start-ups israéliennes dans les autres pays, une tendance qui s’est amorcée au mois de février et qui s’est accélérée au mois de mars. Entre 50 % et 80 % des entreprises israéliennes établies en mars se sont enregistrées comme entreprises étrangères.
« Dans un délai très court, nous pourrions devoir connaître une situation où une majorité absolue des start-ups s’incorporeront par le biais d’une entreprise étrangère, probablement plus de 80 % », s’est inquiété l’Autorité dans son rapport.
« Ce phénomène pourrait avoir des conséquences énormes sur l’économie israélienne à moyen-terme et à long-terme ».
De nombreuses start-ups et autres firmes israéliennes s’enregistrent à l’étranger – en particulier pour des raisons techniques – mais les conclusions du rapport soulignent qu’elles ont dorénavant aussi l’intention d’enregistrer leurs futurs droits à la propriété intellectuelle dans leur pays d’adoption.
« En résultat, les compagnies qui ne sont pas situées en Israël verseront des taxes très inférieures – ce qui nuira gravement aux revenus de l’État », a encore dit le rapport.
L’industrie technologique – qui est reconnue comme le principal moteur de croissance du pays – génère environ 18 % du produit intérieur brut. Elle représente plus de 50 % des exportations et environ 30 % des charges sociales versées à l’État, selon l’Autorité de l’Innovation. Elle emploie aussi environ 11 % de la main-d’œuvre du pays.
La perspective de l’affaiblissement du système de la justice en Israël a nourri une incertitude qui menace dorénavant de saper l’image d’Israël en tant que pôle d’investissement stable pour les étrangers – des investissements dont dépend largement l’écosystème technologique local.
Suite à d’importantes manifestations et suite à des mouvements de protestation massifs qui se sont opposés au projet de réforme du système judiciaire avancé par le gouvernement – qui accorderait à ce dernier le contrôle total de la nomination des juges, notamment à la Haute-cour, et qui limiterait gravement la capacité de cette dernière à invalider des législations adoptées à la Knesset – l’avancée des lois incriminées devant la Knesset a été mise en pause pour permettre l’instauration d’un dialogue, pour tenter de trouver le compromis le plus large possible entre partisans et adversaires de ce remaniement radical.
« Nous sommes aujourd’hui au beau milieu d’une crise globale et il est trop tôt pour dire quand ou comment cette crise se terminera. En ajoutant à cela une crise locale, qui a entraîné une incertitude supplémentaire », déclare le directeur-général de l’Autorité de l’Innovation, Dror Bin. « Même si la crise légale et judiciaire est résolue, il va falloir attendre un certain temps pour trouver une solution et même après cela, il faudra un certain temps pour reconstruire la confiance avec les investisseurs, une fois encore ».
« Nous devons donc agir de manière efficace et prendre les mesures nécessaires pour relever les défis qui se présentent et pour faire face difficultés entraînées par l’incertitude », a vivement recommandé Bin.
Remerciant l’Autorité pour avoir livré « des données brutes et pour avoir mis en exergue la réalité de la situation », Mati Gill, directeur-général d’AION Labs, a indiqué que ces chiffres et ces tendances inquiétantes ne pouvaient pas être ignorés par le gouvernement. L’entreprise, dont le siège se trouve à Rehovot, est née d’une collaboration entre les géants pharmaceutiques Pfizer, AstraZeneca, Merck et Teva Pharmaceuticals en association avec AWS (Amazon) et l’Israel Biotech Fund.
L’environnement financier actuel, avec des taux d’intérêt forts et un ralentissement mondial de l’économie, a amené les actions du secteur technologique à connaître des jours difficiles pendant la deuxième moitié de l’année 2022, poussant à la baisse les valorisations des entreprises des secteurs privé et public. Cette crise du marché a entraîné le licenciement de milliers d’employés, un recul des financements et elle a créé un marché à la baisse pour les placements dans le secteur technologique.
« Les difficultés intérieures actuelles ne font que rajouter de l’huile sur le feu et s’il y a une chose que les investisseurs n’apprécient pas, c’est le manque de stabilité du système de la justice », fait remarquer Gill.
Au premier trimestre de cette année, les start-ups du secteur des hautes technologies en Israël ont levé la somme de 1,7 milliard de dollars – soit 70% de moins que les 5,8 milliards de dollars qui avaient été collectés lors des trois premiers mois de l’année 2022, selon un rapport établi par l’IVC Research Center et LeumiTech. C’est le chiffre le plus bas en quatre ans.
Les investissements privés avaient atteint un pic dans le secteur technologique en 2021 avec 26 milliards de dollars, contre 15 milliards environ en 2022.
« Ce déclin des investissements est, sans aucun doute, un phénomène global. Malgré cela, il y a certains facteurs qui sont uniquement israéliens et qui ne peuvent être dissociés de l’incertitude actuelle qui menace le marché israélien et de ses conséquences », a dit le rapport de l’Autorité israélienne de l’Innovation.
L’agence soutenue par le gouvernement a estimé que la levée de ce climat d’incertitude était l’initiative la plus importante que devait prendre le gouvernement, au vu des problématiques identifiées et des dégâts déjà subis.
« Il est préférable que le gouvernement agisse de manière aussi rapide et décisive que possible, de manière à apaiser les craintes des investisseurs et des entrepreneurs à court-terme et à moyen-terme et à créer une certitude et une stabilité à long-terme », a poursuivi le rapport.
En parallèle, l’Autorité israélienne de l’Innovation a fait un certain nombre de recommandations au gouvernement : Alléger l’environnement des régulations, donner des incitations pour encourager les investissements et l’enregistrement des propriétés intellectuelles en Israël… Elle a aussi fait part d’initiatives à prendre pour répondre aux besoins de financement croissants des start-ups israéliennes.
« Les conclusions de l’étude nécessitent un passage à l’action rapide de la part du gouvernement afin de venir à bout des tendances inquiétantes qu’elle met en exergue », a commenté le ministre de l’Innovation, des Sciences et des Technologies Ofir Akunis.