Le chef de la diplomatie polonaise confirme les tensions avec les Etats-Unis
Suite à la loi sur la Shoah, la Maison Blanche aurait refusé d'accueillir des leaders polonais et retiendrait des financements destinés à des projets militaires conjoints

VARSOVIE, Pologne – Le ministre des Affaires étrangères polonais a reconnu vendredi l’existence d’un document interne de son ministère qui révélerait des tensions survenues dans les relations entre les Etats-Unis et la Pologne, mais il a démenti les allégations des médias polonais selon lesquelles Washington imposerait des « sanctions ».
Ces tensions ont émergé en raison d’une nouvelle législation polonaise qui criminalise l’attribution des crimes commis pendant la Shoah par l’Allemagne nazie à la Pologne. Les Etats-Unis craignent que cette législation ne contrevienne à la liberté d’expression.
Un portail d’information polonais, Onet.pl, a fait savoir la semaine dernière qu’il avait accédé à un document disant que Varsovie avait été informé par l’administration américaine que des responsables polonais ne pourraient rencontrer le président ou le vice-président américains jusqu’à ce que le problème soit résolu.
Le ministre des Affaires étrangères Jacek Czaputowicz a largement confirmé cette information vendredi, même s’il a affirmé que le message américain considérait plutôt « que ce serait une bonne chose si les rencontres au plus haut niveau pouvaient avoir lieu dans une atmosphère où ces questions auraient été résolues ».

Il a souligné qu’il n’y avait pas de mention d’éventuelles sanctions et il a démenti que le positionnement américain impliquerait le « gel » des liens diplomatiques, comme l’avaient affirmé certaines informations. Les propos de Czaputowicz semblent être confirmés par un certain nombre de rencontres qui ont été organisées ces dernières semaines entre responsables américains et Polonais à Washington comme à Varsovie.
« Il n’y a rien là-dedans qui puisse faire naître l’inquiétude », a-t-il déclaré au sujet du document.
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Il a également ajouté que les procureurs enquêtent actuellement sur cette fuite du document auprès des médias « qui n’aurait jamais dû être disponible pour les journalistes ».
Le président polonais a signé cette législation le mois dernier mais l’a envoyée au tribunal constitutionnel pour examen. Un grand nombre de personnes espèrent que la cour permettra de sortir d’une impasse qui paraît avoir créé la pire tension connue entre les Etats-Unis et la Pologne depuis très longtemps, et qui a également entraîné un conflit avec Israël.
« Les Etats-Unis ont des inquiétudes qui, je l’espère, seront résolues par le tribunal constitutionnel », a dit Czaputowicz.
Les personnels de l’ambassade américaine à Varsovie ont également menacé de suspendre les financements à certains projets militaires conjoints entre les Etats-Unis et la Pologne, selon Onet.
Cette information avait été initialement démentie mardi par des responsables du gouvernement polonais.
Cette crise présumée des relations entre les Etats-Unis et la Pologne serait due à l’adoption, le mois dernier, d’une loi qui prévoit des sanctions judiciaires pour les individus ou les organisations qui calomnieraient la Pologne ou l’Etat polonais en leur attribuant la responsabilité des crimes nazis commis pendant la Shoah. La Pologne a été occupée en 1939 par l’Allemagne nazie qui y avait installé certains de ses camps de la mort les plus tristement célèbres, notamment Auschwitz.
Cette législation a également entraîné une crise des relations entre Israël et la Pologne. Les deux pays ont engagé des pourparlers continus sur la question.
Parmi les critiques de la loi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu qui l’a qualifiée de « sans fondement ». Yad Vashem, le musée de la Shoah en Israël, a averti qu’elle nuirait au débat et à la recherche sur le génocide. Et des politiciens israéliens, notamment le député de l’opposition Yair Lapid, ont affirmé qu’elle permettait de blanchir ce qu’ils ont qualifié de complicité polonaise durant l’Holocauste – des accusations que de nombreux Polonais trouvent offensantes et qui ont été rejetées par le gouvernement.
L’ambassade américaine en Pologne a averti le mois dernier qu’elle était « inquiète des répercussions » de l’adoption du texte par le Sénat polonais pour les les relations bilatérales.
A la fin du mois dernier, le président polonais avait dit au cours d’une interview qu’il y avait eu des « auteurs juifs » pendant l’Holocauste aux côtés d’auteurs polonais, ukrainiens et allemands.

Dénoncés comme étant une forme de négationnisme ou de révisionnisme en Pologne et à l’étranger, ces propos avaient entraîné une réaction inhabituellement dure de Netanyahu, qui avait qualifié l’affirmation de Morawiecki de « scandaleuse ».
Jonny Daniels, fondateur du groupe de commémoration From the Depths en Pologne, avait appelé le bannissement présumé mis en place par la Maison Blanche « une réponse très forte ». Il avait suggéré que les relations américano-polonaises s’amélioreraient à l’issue des discussions entre Israël et la Pologne portant sur la sortie de la crise causée par la loi.
« Je suis sûr qu’avec le dialogue, avec de bonne volonté des Polonais et du gouvernement israélien de résoudre cette crise, les choses reviendront bientôt à la normale », a-t-il dit.
La législation sur la complicité polonaise durant l’Holocauste, qui attend encore un réexamen judiciaire en Pologne, est entrée en vigueur jeudi dernier.
Avec à sa tête le vice-ministre polonais aux Affaires étrangères, une délégation de haut-niveau de Varsovie s’est rendue la semaine dernière en Israël pour évoquer des amendements possibles à la loi.
Telle qu’elle est rédigée actuellement, la loi rend passible de condamnation à la prison allant jusqu’à trois ans l’attribution des crimes commis par l’Allemagne nazie à l’état ou à la nation polonaise. Elle prévoit également des amendes pour quiconque évoquerait des camps de la mort nazis sous l’étiquette de « Polonais ».

Un paragraphe clé du projet de loi stipule : « Quiconque accuse, publiquement et contre les faits, la nation polonaise, ou l’État polonais, d’être responsable ou complice des crimes nazis commis par le Troisième Reich allemand… ou d’autres crimes contre la paix et l’humanité, ou des crimes de guerre, ou minimise de manière flagrante leurs auteurs, est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans ».