Le Danemark inflexible face aux réfugiés, malgré l’émoi de l’opinion
Comme Londres, le Danemark a négocié un retrait sur la politique d'immigration, après avoir dit "non" au traité de Maastricht
Sous l’influence d’un parti anti-immigration, le gouvernement du Danemark reste très réticent à accueillir des réfugiés malgré les appels à la solidarité de son voisin allemand et une opinion publique émue.
Dans un récent éditorial, le quotidien libéral Politiken condamnait ainsi la position du gouvernement de Lars Løkke Rasmussen: « Le Danemark est devenu la Hongrie nordique, un pays de transit vers un autre État où les réfugiés sont les bienvenus ».
Les Danois, nourris à l’État-providence depuis l’entre-deux-guerres, jouissent d’un niveau de vie parmi les plus élevés de la planète, et seraient le peuple le plus heureux si l’on en croit plusieurs études. Ils se sont ouverts à la main-d’oeuvre étrangère dans les années 1960 et consentent, souvent avant les autres en Europe, à des coups de canif dans leurs avantages.
Mais la peur de voir les acquis se dissoudre dans la mondialisation, la convergence européenne et l’immigration expliquent le succès du Parti populaire danois (DF), formation qui, depuis une quinzaine d’années, donne le ton du débat politique national.
« Ne venez pas au Danemark! », a twitté la semaine dernière Martin Henriksen, responsable des questions d’intégration au DF, à l’adresse des migrants fuyant la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan.
La veille, le gouvernement avait acheté des espaces publicitaires dans quatre journaux au Liban pour avertir les candidats à l’émigration qu’il avait durci les conditions d’installation sur son territoire.
Les allocations sociales accordées aux nouveaux arrivants ont été réduites « jusqu’à 50% » et le rapprochement familial n’est pas autorisé durant la première année pour les détenteurs d’un permis de résidence temporaire, détaillait notamment le texte.
Le pays s’est vite fait une mauvaise réputation chez les réfugiés. « Ils nous détestent. Les Danois me détestent parce que je suis Syrien, je suis musulman », affirme Abdulrahman Alshehagi, Syrien de 26 ans, interrogé par l’AFP à son arrivée en Suède après un passage par le Danemark.
Le pays, qui s’est classé en 2014 au cinquième rang de l’Union européenne des demandes d’asile acceptées par rapport à sa population (5,6 millions d’habitants), estime ainsi qu’il verse déjà son écot à l’aide aux réfugiés.
Élan de solidarité populaire
Mais les images d’enfants noyés en Méditerranée et de réfugiés refusant de se faire enregistrer au Danemark, lui préférant la Suède plus généreuse, ont choqué dans le royaume.
Une manifestation réclamant plus d’ouverture a réuni plus de 30 000 personnes à Copenhague, et une page Facebook créée par des bénévoles offrant une aide aux réfugiés compte des milliers de membres. Parmi eux, de nombreux automobilistes se proposant de conduire les migrants en Suède au risque d’être poursuivis pour aide à l’immigration illégale.
Nynne, une femme de 44 ans habitant un quartier huppé de la capitale, ne s’est jamais senti une fibre militante, comme beaucoup de compatriotes pour qui le concept même de bénévolat reste étranger, alors que l’Etat est censé pourvoir aux besoins de tous. Elle a pourtant pris le volant pour aller récupérer trois Kurdes irakiens égarés dans la campagne. « Je voulais faire quelque chose », dit-elle simplement.
Ces réfugiés arrivés d’Allemagne en train ont pris la clé des champs après la décision de Copenhague de bloquer le trafic ferroviaire. Le gouvernement voulait aussi les obliger à déposer une demande d’asile dans le pays alors que la plupart d’entre eux ne jurent que par la Suède, soit parce qu’ils y ont de la famille, soit du fait de sa meilleure réputation en matière d’accueil.
Sur les 7 500 migrants passés par le Danemark depuis le 6 septembre, à peine un millier y est demeuré pour s’installer.
Comme Londres et Dublin, le Danemark a négocié une option de retrait sur la politique d’immigration, après avoir dit « non » au traité de Maastricht. Il compte la faire valoir pour refuser le mécanisme obligatoire de quotas de réfugiés au sein de l’UE, défendu par l’Allemagne et la France. Pourtant 78 % des Danois s’y déclarent favorables, selon un sondage de l’institut Voxmeter.
Pour Bjarke Møller, directeur du centre d’études europhile Europa, les partis politiques danois « sont comme des super-pétroliers qui suivent un cap et refusent d’en changer ».
Et alors que les internautes relayaient les photos tragiques du corps du petit Aylan Kurdi, échoué sur une plage turque, le journal conservateur Jyllands-Posten, qui avait publié les caricatures du prophète Mahomet en 2005, se demandait: « Quel degré de diversité religieuse et culturelle l’Europe peut-elle supporter? »