Le grand rabbin de Rome critique le Vatican
Directeur des archives historiques au secrétariat d’État du Vatican, Johan Ick a publié un texte présentant comme une évidence que le Vatican avait aidé des Juifs durant la Shoah
L’ouverture lundi 2 mars de l’ensemble des archives secrètes du Vatican sur le pontificat du pape Pie XII (1939-1958) – 81 ans après son élection – était réclamée depuis des décennies par les historiens et les organisations juives.
Une polémique a aussitôt éclaté, a rapporté le journal Courrier international, quand le grand rabbin de Rome a réagi à un article du journal du Saint-Siège, L’Osservatore Romano. Ecrit par Johan Ick, directeur des archives historiques de la section pour les rapports avec les États du secrétariat d’État du Vatican, l’article en question traitait du rôle de Pie XII dans la déportation des Juifs italiens.
Le responsable du Vatican écrivait notamment que les archives contiennent “170 dossiers présentant les histoires de 4 000 personnes qui ont demandé de l’aide au Saint-Siège [durant la Seconde Guerre mondiale]. Il y a parmi ces noms une majorité de catholiques d’ascendance juive, mais aussi de nombreux noms de Juifs”.
L’auteur indique que “les archives vont permettre de comprendre la quantité et la qualité des efforts fournis [par le Vatican] pour répondre aux prières des persécutés et des personnes dont la vie était en danger”.
Le cardinal Eugenio Pacelli, futur Pie XII, a été nommé secrétaire d’État (numéro deux du Vatican) en 1930. En 1933, il signa un concordat avec l’Allemagne d’Hitler sur les relations entre les autorités allemandes et l’Église. Voix morale susceptible d’avoir été écoutée par les catholiques allemands, il est vilipendé par de nombreux historiens pour n’avoir jamais condamné explicitement l’extermination en cours des Juifs par le régime nazi.

Suite au texte de Johan Ick, Riccardo Di Segni, grand rabbin de Rome, a ainsi déclaré dans des propos rapportés par Il Fatto Quotidiano : « Ces révélations sensationnalistes, à partir de dossiers prêts à l’emploi et de conclusions hâtives, sont très suspectes. Mais de toute évidence, ces ‘révélations’ risquent de se retourner contre ceux qui veulent blanchir [Pie XII] à tout prix. Il est clair qu’il n’y a eu aucune volonté d’arrêter le train du 16 octobre [1943, qui déporta plus de 1 023 Juifs du ghetto de Rome vers Auschwitz] et que le Vatican ne venait en aide qu’aux [personnes d’origine juive] baptisés. »
“Après avoir dit qu’il faudrait des années d’études [pour analyser ces documents], on publie de telles choses dès le premier jour ? De grâce, laissez travailler les historiens !”, a conclu le rabbin.
Pie XII, originaire de la noblesse romaine, est en effet également dénoncé pour avoir gardé le silence lorsque le 16 octobre 1943 plus d’un millier de personnes de la communauté juive de Rome, furent raflés dans leur quartier (l’ex-ghetto) à proximité du Vatican.
Après cette rafle, les témoignages confirment que des Juifs furent cachés dans de nombreuses institutions catholiques, mais aucun document écrit ne prouve que Pie XII avait fait cette recommandation, pointent ses critiques.
Beaucoup d’historiens concluent que ce pape réprouvait l’antisémitisme hitlérien, mais qu’il était aussi le pur produit d’un enseignement catholique traditionnellement anti-judaïque jusqu’à la prise de conscience du Concile Vatican II (1962-1965). Les Juifs n’étaient donc pas la priorité de ce pape, préoccupé avant tout par le sort des catholiques et farouchement opposé au communisme.
L’Église catholique a toujours fait valoir que Pie XII avait contribué au sauvetage de plusieurs milliers de Juifs en les faisant cacher dans des institutions religieuses de Rome sous l’occupation allemande. Elle estime aussi que la prudence verbale du pape a évité des représailles envers les catholiques en Europe.
Le processus de béatification de Pie XII a été ouvert en octobre 1967. Benoît XVI l’a proclamé « vénérable » fin 2009, première étape vers une béatification à condition qu’un miracle soit reconnu, une décision qui avait créé un tollé chez les organisations juives.
En 2010, Benoît XVI affirma que le pape Pie XII avait été « l’un des grands justes, qui a sauvé des Juifs plus que personne ». « Il a personnellement souffert énormément, nous le savons. Il savait qu’il devait parler et pourtant la situation le lui interdisait », avait-il noté.
En 2014, le pape François a dit avoir « un peu d’urticaire existentiel » face aux attaques contre Pie XII, « un grand défenseur des Juifs », en critiquant l’attitude des grandes puissances alliées qui auraient pu bombarder les voies ferrées conduisant aux camps.
Les archives les plus sensibles concernant la Seconde Guerre mondiale ont déjà été en grande partie publiées précédemment par le Vatican. Des révélations spectaculaires suite à la publication de ces dernières archives seraient donc surprenantes. Mais les chercheurs auront pour la première fois un accès direct à tous les documents de la période de la Shoah et chercheront les pièces manquantes du puzzle.
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