Le magnat indien Adani ébranlé par la chute du cours de ses actions
Au lendemain de l'achat du port de Haïfa, le milliardaire a annulé son projet d'offre d'actions à la suite d'un rapport faisant état de fraudes massives
Le milliardaire indien Gautam Adani a annulé la vente d’actions de son entreprise phare pour un montant de 2,5 milliards de dollars mercredi soir, après une semaine tumultueuse au cours de laquelle son conglomérat a perdu des dizaines de milliards de dollars en valeur boursière suite à des accusations de fraude de la part d’une société américaine de vente à découvert.
Invoquant la volatilité du marché et une situation sans précédent, le groupe Adani a déclaré dans un communiqué qu’il avait décidé de ne pas poursuivre la vente de ses actions – qui était déjà épuisée depuis mardi – et qu’il allait restituer le produit de l’opération.
L’entreprise a annoncé cette décision un jour après qu’Adani a visité le port de Haïfa qu’il a récemment acheté, promettant de continuer à investir en Israël malgré sa situation financière difficile.
Les actions liées à Adani ont plongé ces derniers jours après que Hindenburg Research, une société de recherche financière qui a l’habitude de faire chuter le cours des actions de ses cibles, a accusé le groupe de manipulation boursière « éhontée » et de fraude comptable, entre autres abus financiers.
« La plus grande escroquerie de l’histoire des entreprises ». Publié il y a une semaine, le long exposé d’Hindenburg contre le groupe Adani a fait fondre de plus de 60 milliards de dollars la capitalisation des sept sociétés cotées du conglomérat.
À la fermeture des marchés mercredi, Adani Enterprises avait perdu 28 % de sa valeur. La vente a été un revirement radical par rapport à la veille, lorsque la vente de ses actions avait attiré près de 51 millions d’offres, dépassant les 45,5 millions offertes au public.
Les actions de six autres sociétés cotées d’Adani ont également chuté de 2 à 19 %. Adani Ports and Special Economic Zone, qui a acheté le port de Haïfa avec son partenaire local Gadot Group pour environ 1,2 milliard de dollars, a chuté de près de 18 %.
« Le marché a été sans précédent et le cours de nos actions a fluctué au cours de la journée. Compte tenu de ces circonstances extraordinaires, le conseil d’administration de la société a estimé que poursuivre l’émission ne serait pas moralement correct », a déclaré Adani dans ses premières remarques depuis la controverse.
Il a ajouté que le groupe avait agi pour protéger ses investisseurs et les mettre à l’abri de toute perte financière.
La vente d’actions et son succès ont été considérés comme un test crucial de la confiance des investisseurs dans Adani. Les pertes boursières de mercredi ont coûté à Adani son titre d’homme le plus riche d’Asie et d’Inde, sa fortune s’étant effondrée à 72 milliards de dollars, selon Bloomberg. Avant la publication du rapport de Hindenburg, sa valeur nette d’environ 120 milliards de dollars faisait de lui le troisième homme le plus riche du monde.
Hindenburg, qui a déclaré parier contre le groupe Adani, l’a accusé de « monter la plus grande escroquerie de l’Histoire des entreprises ». Elle a déclaré qu’elle jugeait que les sept principales sociétés cotées en bourse d’Adani avaient une « baisse de 85 %, sur une base purement fondamentale, en raison de valorisations extrêmement élevées ».
La société de recherche financière a déclaré que son rapport faisait suite à une enquête de deux ans. La plupart des allégations concernaient les niveaux d’endettement du groupe, les activités des cadres supérieurs, l’utilisation de sociétés écrans offshore pour faire monter artificiellement le prix des actions et les enquêtes antérieures sur la fraude. Elle a énuméré 88 questions auxquelles le groupe doit répondre.
Dimanche, le groupe Adani a rejeté les allégations de Hindenburg et a publié un rapport de 413 pages qui rejette ses questions, affirmant qu’aucune n’était « basée sur des faits indépendants ou journalistiques ». La réponse d’Adani comprend des documents et des tableaux de données et affirme que le groupe a fait toutes les déclarations réglementaires nécessaires et a respecté les lois locales.
Hindenburg a répondu en disant qu’Adani n’avait répondu qu’à 26 de ses 88 questions et n’avait pas abordé un grand nombre des problèmes qu’il avait soulevés.
Dans sa déclaration mercredi, Adani a déclaré que la décision d’abandonner l’offre d’actions n’aurait « aucun impact sur nos opérations existantes et nos plans futurs », ajoutant que le bilan du groupe était « très sain » avec des flux de trésorerie importants et des actifs sûrs. « Une fois que le marché se sera stabilisé, nous réexaminerons notre stratégie de marché des capitaux », a-t-il ajouté.
Adani a fait fortune dans l’exploitation du charbon, alors que l’Inde, avide d’énergie, a connu une croissance rapide après la libéralisation de son économie dans les années 1990. La valeur marchande de ses entreprises a explosé ces dernières années. Les sociétés d’Adani exploitent des aéroports dans les grandes villes, construisent des routes, produisent de l’électricité, fabriquent des équipements de défense, développent des drones agricoles, vendent de l’huile de cuisson et gèrent un média.
Apparaissant aux côtés du Premier ministre Benjamin Netanyahu mardi, Adani a déclaré que son groupe allait réorganiser le port et stimuler l’économie de Haïfa, tout en refaisant littéralement la ville.
« Je vous promets que dans les années à venir, nous allons transformer la ligne d’horizon que nous voyons autour de nous », a déclaré Adani. « Le Haïfa de demain – sera très différent du Haïfa que vous voyez aujourd’hui… Notre intention est de faire le bon ensemble d’investissements qui ne rendront pas seulement le partenariat Adani Gadot fier, mais qui rendront tout Israël fier. »
Privileged to meet with @IsraeliPM @netanyahu on this momentous day as the Port of Haifa is handed over to the Adani Group. The Abraham Accord will be a game changer for the Mediterranean sea logistics. Adani Gadot set to transform Haifa Port into a landmark for all to admire. pic.twitter.com/Cml2t8j1Iv
— Gautam Adani (@gautam_adani) January 31, 2023
Hindenburg, baptisé en référence au dirigeable allemand qui s’écrasa dans le New Jersey en 1937, n’en est pas à son coup d’essai. Fondée en 2017 par le trentenaire Nathan Anderson, cette petite entité de moins de dix personnes a déjà poussé plusieurs entreprises à admettre des erreurs comptables ou des déclarations erronées.
Son principal succès a eu pour victime le constructeur de camions électriques Nikola, accusé, en juin 2020, d’avoir menti sur l’état d’avancement de sa technologie. L’entreprise a accepté de verser 125 millions de dollars au gendarme américain des marchés, la SEC, et, en octobre dernier, son fondateur, Trevor Milton, a été reconnu coupable pénalement d’avoir trompé les actionnaires de sa société.
Lors d’un rare entretien au New York Times, Nathan Anderson, qui n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP, clamait son désir d’avoir « un impact sur le monde réel », au-delà de la finance. « Si le seul effet était de faire varier les cours de Bourse, ce serait bien moins satisfaisant. »
Après plusieurs emplois dans la finance, ce diplômé de l’université de Connecticut, un temps ambulancier en Israël, a créé Hindenburg pour assouvir sa passion : « débusquer des escroqueries ».
Il cite, parmi ses modèles, Harry Markopolos, qui alerta sur les agissements de Bernard Madoff dès 2000, soit huit ans avant la chute de l’auteur de la plus grande arnaque financière de tous les temps.
Hindenburg parie sur la baisse des cours d’Adani via le mécanisme de la vente à découvert (short selling). Il emprunte des actions, les vend, puis attend que la valeur des titres baisse pour les racheter, moins cher, avant de les transférer au prêteur et empocher la différence.
Parmi les activistes « short sellers » les plus célèbres figure également Jim Chanos, qui contribua à mettre au jour le scandale Enron et pousser le courtier en énergie à la faillite, en 2001.
Malgré ces exemples, les vendeurs à découvert conservent une mauvaise réputation, liée au caractère spéculatif de leur démarche, qui repose sur la fragilisation d’une entreprise, lésant, au passage, les actionnaires, notamment des petits porteurs.
Selon plusieurs médias américains, le ministère américain de la Justice a lancé, début 2022, une vaste enquête sur plusieurs acteurs de ce secteur, dont le fonds Muddy Waters, soupçonnés d’avoir utilisé des méthodes illégales pour faire descendre le cours de plusieurs actions.
Sur les réseaux sociaux, depuis la publication de l’étude sur Adani, les messages pleuvent, accusant Hindenburg de mensonges, d’opportunisme ou de fraude.
« Je sais que les vendeurs à découvert ont souvent mauvaise presse, mais une action surévaluée n’est bonne pour personne », fait valoir James Angel, professeur à l’université Georgetown. « Il y a souvent des tentatives d’interdiction de la vente à découvert », rappelle-t-il, « mais elles sont toujours abandonnées, parce qu’on réalise qu’elles font plus de mal que de bien. »