Le nouvel espace de prière pluraliste bâtira-t-il des ponts entre Israël et la diaspora ?
Des dirigeants juifs libéraux quasi euphoriques louent la décision 'hautement symbolique' du gouvernement - tout en adoptant une approche 'nous y croirons quand nous le verrons'

Dans l’ambiance de la victoire suite à la décision de dimanche du gouvernemnt israélien de créer une nouvelle esplanade pluraliste intégrée au mur Occidental, le chef du mouvement du judaïsme réformé, le rabbin Rick Jacobs a décrit un scénario dans lequel une famille de Nahariya fait un pèlerinage à Jérusalem.
Tout naturellement, l’un de ses arrêts dans la capitale sera le mur Occidental dans la Vieille Ville, a noté Jacobs. Aujourd’hui, les hommes et les femmes de la famille sont obligés d’être séparés au site juif le plus sacré du monde – indépendamment de leurs pratiques liturgiques.
Mais après la ratification de la décision de dimanche, Jacobs prévoit, que dans un avenir pas trop lointain, cette famille israélienne – et des millions de Juifs non-orthodoxes du monde entier – pourra bientôt décider où, et plus important encore, comment, vivre sa propre expérience personnelle juive.
« Ils vont se rendre sur le site et voir qu’il y a un endroit pour les hommes, un pour les femmes, et maintenant une alternative. Il y a maintenant un choix », a déclaré Jacobs.
« De toute évidence, il y a plus d’une façon authentique d’être juif et l’Etat d’Israël a été construit sur ce postulat, mais n’a pas toujours été à la hauteur », selon Jacobs.
« Aujourd’hui, on entend dans nos communautés … dans le Kansas et dans l’Oregon, que l’Etat d’Israël sait qu’ils existent. Symboliquement c’est quelque chose qui modifie ce que nous pensons de nous-mêmes, et ce que nous pensons de l’Etat ».

Tous les dirigeants juifs américains qui ont parlé avec le Times of Israel ont déclaré dimanche qu’il était clair que vu le fossé croissant entre les Juifs de la Diaspora et Israël, il y avait beaucoup plus en jeu pour parvenir à ce compromis sur le fractionnement de la prière au mur Occidental.
Apres quatre ans de gestation, la décision de dimanche vient dans le sillage des déclarations conciliantes du Premier ministre Benjamin Netanyahu à l’assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord au mois de novembre, dans lesquelles il avait souligné son intention de réparer les ponts avec la diaspora juive après un été semé de rhétorique incendiaire autour de l’accord nucléaire iranien.
La décision a été accompagnée par d’intenses négociations. Dirigées par le président de l’Agence juive, Natan Sharansky et du secrétaire sortant du Cabinet israélien Avichai Mandelblit, les autres acteurs clés incluaient des représentants des mouvements réformés et masorti d’Israël et d’Amérique du Nord, la Fondation du Patrimoine du mur Occidental, laquelle est responsable des questions archéologiques et le groupe militant des Femmes du mur.

Sharansky, qui a été vivement salué par les acteurs comme une force visionnaire pour atteindre le compromis historique, a dit que la question du Kotel était symbolique de préoccupations beaucoup plus profondes.
« Je crois personnellement … que le plus grand défi pour le peuple juif … notre plus grand problème interne est de savoir comment ne pas devenir deux peuples distincts », a déclaré Sharansky dimanche lors d’une conférence de presse à Los Angeles, où il a participé à l’ouverture d’un nouveau chapitre de Limmud FSU.
Le mur Occidental, a déclaré Sharansky, n’est que « l’exemple le plus visible du problème. »
« Pourquoi le Kotel est-il un grand problème ? C’est le site religieux numéro un, et le site national numéro un. Il n’y a aucun endroit dans le monde qui est en même temps le premier site religieux, le lieu le plus proche de Dieu, et le premier site national qui symbolise toute notre histoire, depuis le roi David jusqu’à la guerre des Six jours », a déclaré Sharansky.

Pour Sharansky, une nouvelle patrie juive vivant côte-à-côte avec une Diaspora juive est « une expérience absolument unique. »
« Alors comment construire cette nation des Juifs – Israël ? Et comment la maintenir comme une seule nation, entre les Juifs qui vivent dans la diaspora et les Israéliens ? » a demandé Sharansky.

Un mur pour un, ou pour plusieurs peuples?
Le mur Occidental, en dessous d’un mur de soutènement du mont du Temple datant de l’époque romaine, est le site le plus sacré où les Juifs peuvent prier. Derrière lui se trouve le mont du Temple, le site le plus sacré du judaïsme et le troisième lieu saint de l’islam.
Illustrant les quartiers compliqués proches de la Vieille Ville, le nouveau complexe pluraliste sera séparé de l’esplanade actuelle par la rampe menant à la Porte des Maghrébins, la seule entrée pour les non-Musulmans au mont du Temple.
Pour ceux qui préfèrent la prière orthodoxe traditionnelle, l’option actuelle offrant la séparation entre les sexes par une me’hitza est toujours proposée.
Bien que le rabbin du mur Occidental Shmuel Rabinovitch ait dit qu’il avait reçu la décision de dimanche « avec un coeur lourd » car il s’oppose à la prière égalitaire, il a eu aussi « un soupir de soulagement » puisque les Femmes du mur ne prieraient plus dans la section traditionnelle des femmes.
Comme dans le cas de Rabinovitch, pour la majorité du judaïsme mondial, la décision va bien au-delà des simples aspects pratiques de où et comment prier.
Pour les Femmes du mur, cela a été aussi une lutte de 27 ans pour sa reconnaissance.
« En approuvant ce plan, l’Etat reconnaît la pleine égalité des femmes au Kotel et l’impératif de la liberté de choix dans le judaïsme en Israël. La création d’une troisième section du Kotel établit un précédent dans le statut des femmes en Israël: des femmes comme administratrices d’un site sacré, des femmes leaders, des femmes assez influentes pour ne pas être ignorées ou réduites au silence », a écrit le mouvement des Femmes du mur dans un communiqué.

Des membres de l’équipe de négociation ont déclaré dimanche au Times of Israel qu’il y avait plusieurs points sur lesquels un compromis semblait proche.
La commission chargée de trouver une solution a été officiellement nommée en mai 2013. Toutefois, suite au changement au bureau du Premier ministre que le négociateur en chef Mandelblit a quitté vendredi pour devenir le procureur général, un nouvel effort a été entrepris en janvier pour atteindre le compromis.
Lors de la réunion du cabinet de dimanche, Netanyahu a publiquement fait l’éloge de Mandelblit, et a décrit le plan « comme un compromis sur cette question délicate dans un endroit qui est censé unir le peuple juif. »
« Tout en sachant que cela est une question délicate, je pense qu’il s’agit d’une solution juste et créative. Les problèmes les plus complexes exigent habituellement de telles solutions et je vous félicite pour ce que vous avez soumis au cabinet », a déclaré Netanyahu.
‘C’était un bon compromis dans lequel personne n’a reçu tout ce qu’il voulait’
« C’était un bon compromis dans lequel personne n’a reçu tout ce qu’il voulait, » a dit en riant le rabbin Steven Wernick, le directeur de l’United Synagogue of Conservative Judaism.
« On peut pour le moment dire que nous avons pris des mesures historiques à l’égard de la question du pluralisme religieux en Israël, en particulier au Kotel, ce qui ouvre la possibilité d’aller plus loin. C’est une étape hautement symbolique, c’est là où est la victoire. »
A l’assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord au mois de novembre, Netanyahu avait dit aux dirigeants de la diaspora, « Vous êtes les partenaires d’Israël, vous êtes mes partenaires dans la construction d’un avenir juif … Il n’y a qu’un seul peuple juif. Il n’y a qu’un seul Etat juif. Et maintenant, plus que jamais, nous devons travailler ensemble pour unir le peuple juif et sécuriser l’Etat juif ».

Wernick a salué dimanche l’engagement de Netanyahu à cette vision en poussant le compromis pour le nouvel espace.
« Ce n’est pas un secret que ces dernières années ont connu une division entre la Diaspora et Israël », a déclaré Wernick. Selon Wernick, environ 90 % des Juifs nord-américains se définissent comme non-orthodoxes et les deux mouvances avec le plus grand engagement dans la vie juive, sont les réformés et les masorti.
Cependant, quand ils viennent en Israël et au mur Occidental en particulier, ils « se sentent comme des citoyens de seconde classe, ils se sentent harcelés par les Juifs haredi [ultra-orthodoxes]», a ajouté Wernick. Il a souligné qu’avec l’augmentation du nombre de femmes rabbins et des femmes engagées dans des offices égalitaires, « cela constitue est un vrai problème. »
« Mais le fait que nous avons été en mesure de le faire et que le gouvernement a été notre partenaire pour y parvenir – il s’agit d’une victoire pour le Klal Israel [l’ensemble du peuple juif], » a déclaré Wernick.
Mais cela se concrétisera-t-il ?
Le plan prévoit un budget de 35 millions de shekels (quelque 8 millions d’euros) entre 2016 et 2017. Selon la décision du gouvernement, 5 millions de shekels viendront du bureau du Premier ministre, 5 millions de shekels du ministère de la diaspora (en 2017) et 5 millions de shekels du ministère des Finances.
L’Agence juive a promis 10 millions de shekels et le ministère des Finances dispose de 30 jours pour trouver les 10 millions de shekels restant pour 2016.

Quant à savoir d’où ces fonds supplémentaires peuvent provenir, le chef des Fédérations juives d’Amérique du Nord Jerry Silverman a fourni une réponse évasive.
Silverman a commencé notre conversation en disant qu’il « vivait le rêve », mais lorsque le Times of Israel lui a demandé d’où viendront les fonds, il a répondu qu’il attendait que le gouvernement les trouve. Cependant, s’il en manquait, « la Fédération a pris l’engagement que tout serait entrepris pour que la résolution prenne vie pour l’ensemble de la communauté juive. »
‘C’est un moment historique où l’Etat juif est vraiment pour tout le peuple juif – Que tous les Juifs aient un espace pour prier’
Et Silverman a ajouté avec un ton presque euphorique, « C’est un moment historique où l’Etat juif est vraiment pour tout le peuple juif – Que tous les Juifs aient un espace pour prier ».
Dans un entretien téléphonique quelques heures seulement après que la décision ait été annoncée, la femme-rabbin Julie Schonfeld, vice-présidente de l’Assemblée rabbinique du mouvement masorti, s’est montrée beaucoup plus prudente en affirmant que le projet était une « étape importante … mais le véritable test est que nous devons veiller à ce qu’il soit construit. Nous devons veiller à ce qu’il soit construit », a-t-elle répété.
« Nous ne voyons aucune raison pour laquelle la construction ne commence pas immédiatement », a déclaré Schonfeld, ajoutant que la décision exige « une somme d’argent modeste pour un plan modeste. »
A supposer qu’il soit construit, Schonfeld estime qu’il s’agit d’un premier pas positif pour les Juifs du monde entier.

« Mais il y a beaucoup d’autres injustices importantes dont les Juifs non-orthodoxes continuent de souffrir dans l’État d’Israël et nous devons les régler », a déclaré Schonfeld. « Cette mesure significative nous inspirera pour faire avancer ces sujets et expliquer aux Juifs d’Israël qu’il y a plusieurs options, » dit-elle, citant la liberté du mariage, et d’autres préoccupations, dont la conversion, l’enterrement et le financement de l’Etat pour toutes les courants.
Pour les Femmes du mur également, une graine de doute sur la réalité de la future esplanade modère son enthousiasme.
« Si et quand cette transition sera realisée, la nouvelle section fera place à un grand changement : les femmes iront prier au Kotel, comme égales, comme des participantes actives et des leaders dans les prières, les cérémonies et bien sûr dans la lecture de la Torah», a déclaré l’organisation.
Will Orthodox women have a place to pray in the pluralist section at the Southern Plaza?In negotiations, Women of the…
Posted by Women of the Wall Nashot HaKotel on Tuesday, February 2, 2016
Comme d’autres dirigeants, Schonfeld du mouvement masorti a dit qu’elle se « félicite » de la décision adoptée. Maintenant, elle attend sa mise en œuvre rapide.
« Des choses ont été promises – un site physique plus robuste, un organe autonome et des budgets ont été promis – maintenant, nous attendons de voir que ces promesses soient tenues », a déclaré Schonfeld.
JTA et l’AFP ont contribué à cet article.
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