Le pèlerinage de Meron, le désastre auquel tout le monde s’attendait
Le site n'a jamais été correctement équipé pour accueillir la foule, et le drame a eu lieu dans un étroit couloir. Comment a-t-on laissé se produire une tragédie si prévisible ?
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Les foules de pèlerins ultra-orthodoxes qui convergent chaque année à Lag B’Omer au Mont Meron, autour du lieu de sépulture du rabbin mystique du 2e siècle Rabbi Shimon bar Yochai, avaient été mises en garde cette année.
Israël a mené une campagne de vaccination incroyable contre la COVID-19, mais comme l’a expliqué mercredi la responsable de la Santé publique, la docteure Sharon Alroy-Preis, « le danger de la contagion » lors des rassemblements de masse reste présent.
Plus de cinq millions d’Israéliens ont été vaccinés – près de 60 % – mais cela laisse encore vulnérables quatre millions de personnes – et principalement les moins de 16 ans, parce qu’ils ne sont pas éligibles au vaccin. Et avec l’arrivée du très préoccupant variant indien, Alroy-Preis et les autorités sanitaires craignaient que cet évènement public, caractérisé par la promiscuité, qui représente déjà, en temps normal, un défi de taille, ne donne lieu à un nouveau pic de contaminations à la COVID-19.
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Dans une interview télévisée cinglante, Alroy-Preis a protesté contre le fait qu’un cadre négocié « par toutes les parties » pour imposer des « directives spéciales » au mont Meron et à tous les événements de Lag B’Omer – dès lors que les cérémonies autour des feux de joie sont devenues une norme nationale – n’avait pas été imposé « parce que personne ne voulait prendre la responsabilité de le faire appliquer ».
Il s’est finalement avéré que les craintes exprimées par Alroy-Preis et les autorités sanitaires concernant les attroupements au mont Meron étaient dramatiquement prémonitoires. Des dizaines de milliers de pèlerins ultra-orthodoxes, principalement des hommes, y compris de très jeunes enfants, ont afflué dès le début de la soirée pour une nuit de festivités sur le site montagneux situé en Galilée du nord. Les effectifs ont de loin dépassé les attentes de la police, qui étaient préparées à la venue de 10 000 personnes, et les 5 000 policiers déployés pour assurer la sécurité de cet évènement ont rapidement été dépassés.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, vers une heure du matin, un grand nombre de participants ont pris la direction d’un escalier, bardé de panneaux en métal, vers la sortie. Et c’est là que le drame s’est produit. La foule était agitée, le sol était glissant et des policiers ont apparemment bloqué la sortie de l’étroite passage pendant un certain temps.
« Il y a une passerelle avec un plancher en aluminium, puis un escalier, et enfin une barrière », a décrit Eli Pollack, le chef du service de secours d’urgence United Hatzalah. « C’était un piège mortel. »
La cohue s’est intensifiée, des personnes sont tombées et ont été piégées, et la bousculade s’est produite. « Les gens n’ont pas réalisé ce qui se passait jusqu’à ce qu’il soit trop tard », a expliqué le journaliste ultra-orthodoxe Yaakov Eichler à la Douzième chaîne d’information israélienne quelques heures plus tard.
Et quand ils ont fini par comprendre, au moins 45 personnes avaient perdu la vie, et des dizaines d’autres étaient blessées, très grièvement pour certaines.
Cette tragédie fait écho à de trop nombreuses catastrophes de ce type survenues dans des enceintes sportives, et peut-être, aux 96 décès survenus au stade de football de Hillsborough, à Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, en 1989. Là-bas, l’incompétence fatale des forces de l’ordre a été à l’origine d’une série d’événements au cours desquels de plus en plus de supporters ont été dirigés par une passerelle inclinée vers une tribune surpeuplée, et ont été écrasés à mort tandis que le match se poursuivait de l’autre côté de la clôture métallique qui les enfermait. Ici, de plus en plus de participants s’entassaient sur une passerelle inclinée et glissante, avec une sortie apparemment temporairement bloquée par la police et aucun autre moyen de s’échapper.
À la différence des chefs de la police britannique mis en cause, dont certains n’ont été traduits en justice que des décennies plus tard, après d’innombrables campagnes menées par les familles des victimes de Hillsborough, ici, le chef du commandement nord de la police, Shimon Lavi, a assumé la « responsabilité globale » dans les heures qui ont suivi la tragédie. Lavi a également souligné les « efforts compliqués » déployés pour faire la lumière sur ce qui a si mal tourné, et a insisté sur le fait que ses agents ont sauvé des vies alors que l’horreur se déroulait sous leurs yeux, en se frayant un chemin à travers la foule paniquée pour secourir des personnes prises au piège.
Il est clair que la responsabilité n’est pas uniquement celle du chef de la police locale. Comme l’a fait remarquer le journaliste Eichler, le pèlerinage annuel au mont Meron était « absolument » une catastrophe à venir. C’est même, a-t-il dit, « un miracle que cela ne se produise pas chaque année ». Une autre journaliste a dit que cette année le miracle ne s’était pas produit justement.
Cette année, bien que la participation ait été beaucoup, beaucoup plus importante que ne l’anticipaient les autorités, elle a été nettement inférieure à celle des années précédentes. Environ 100 000 cette année contre 400 000 les autres années.
Sur le plan technique, on affirme désormais que l’étroitesse de la passerelle était connue pour être un goulot d’étranglement. Mais le problème plus large de l’événement, a déclaré Eichler, est que la responsabilité globale du site a longtemps été contestée entre les autorités religieuses et les autorités de l’État, – paralysant la mise en place d’infrastructures nécessaires pour accueillir les foules sur le deuxième site après le mur Occidental en termes de popularité et de fréquentation. Le contrôleur de l’État israélien avait averti déjà en 2008 que le mont Meron « n’est pas préparé de manière appropriée pour les événements de masse », a relevé vendredi la Douzième chaîne.
En outre, selon un certain nombre de journalistes spécialisés dans la communauté ultra-orthodoxe, le manque de contrôle s’est également traduit par des pressions exercées par toutes sortes d’autres parties, avec toutes sortes d’intérêts – non seulement religieux mais aussi commerciaux – pour s’assurer que l’événement ait lieu, et ce, avec un grand nombre de participants.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui s’est rendu sur les lieux de la tragédie vendredi en fin de matinée, a promis « une enquête approfondie ».
Si elle est menée, cette enquête devra remonter toute la chaîne de commandement de la police, une hiérarchie qui a été entravée pendant plus de deux ans par l’absence d’un commissaire de police jusqu’à la nomination de Kobi Shabtai en janvier.
Elle devra également se pencher sur les paroles et les actes des ministres du gouvernement, des membres de la Knesset et des dirigeants communautaires concernés – peu d’entre eux ont soutenu les appels à la suspension des rassemblements en raison du COVID et lancés par les autorités sanitaires.
Malheureusement, même lorsque le bilan des victimes de la bousculade sera définitif, on ne prendra pas encore toute la mesure de la catastrophe du Mont Meron. C’est la propagation du virus qui a inquiété les responsables de la santé comme Alroy-Preis, et il faudra plusieurs jours avant de savoir si ces craintes se sont confirmées.
En d’autres termes, ce qui est d’ores et déjà décrit comme la pire catastrophe jamais connue par Israël en temps de paix n’en est peut-être qu’à ses débuts.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel