Le travail des bénévoles porte ses fruits mais les cultivateurs regrettent les professionnels
Alors que des milliers d'ouvriers étrangers sont partis et malgré l'aide des volontaires, les récoltes de la saison sont difficiles et certains agriculteurs désespèrent
C’est un jeudi matin et Meir Bachar donne des directives aux bénévoles qui sont venus, ce jour-là, récolter les avocats.
« Le périmètre est énorme », dit-il, étendant son bras pour désigner une surface de 180 hectares de vergers, dans le nord d’Ashkelon – constitués en majorité d’avocatiers et d’une section de citronniers.
Il y a de nombreux avocats à cueillir mais Bachar est réaliste face à son équipe formée d’environ 35 novices. Ils accorderont quatre, voire cinq heures de leur temps, ce qui signifie qu’ils pourront procéder à la récolte de quatre à six rangées d’arbres dans la journée.
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Bachar administre ces vergers pour deux communautés, le moshav Kfar Hanagid et le moshav Gealya, et tous les fruits sont commercialisés via la marque Mehadrin, l’un des plus grands producteurs et exportateurs de citrons, avocats, dattes et autres fruits et légumes du pays.
Bachar s’adresse à un groupe d’Israéliens qui, dans leur majorité, sont d’un certain âge et qui, depuis le massacre commis le 7 octobre par le Hamas – 32 ouvriers thaïlandais qui travaillaient dans l’agriculture avaient été tués lors de l’assaut meurtrier des terroristes et 23 avaient été kidnappés et pris en otage dans la bande de Gaza – font du bénévolat pour tenter de répondre aux besoins des cultivateurs.
Après l’attaque terroriste, des milliers d’ouvriers agricoles thaïlandais avaient été rapatriés par leur gouvernement, désireux de fuir une tragédie et une situation qui ne les concernait pas.
Le directeur-général du ministère de l’Agriculture Oren Lavi, a évoqué la pire crise de la main-d’œuvre dans le secteur de l’agriculture de toute l’Histoire d’Israël. Il manquerait ainsi environ 40 000 travailleurs qualifiés.
Jusqu’au 7 octobre, Bachar avait sous ses ordres une équipe de 15 ouvriers agricoles thaïlandais. Il n’en reste qu’un seul aujourd’hui.
« Ils sont tous partis et maintenant, ils veulent revenir mais c’est compliqué d’organiser leur retour », indique-t-il, expliquant brièvement la limitation des visas à cinq ans mise en place par le pays pour les ressortissants étrangers qui viennent travailler dans l’agriculture. « La loi ne permet pas qu’ils reviennent et si les civils sont incroyablement serviables et qu’ils se sont rapidement mobilisés pour nous venir en aide, les bureaux du gouvernement sont bloqués. »
Comme de nombreux cultivateurs israéliens, Bachar cherche actuellement des solutions. Il travaillait, dans le passé, avec des ouvriers gazaouis – « mais je ne peux pas les reprendre maintenant et je ne veux pas d’eux, d’ailleurs », dit-il. Certaines informations ont laissé entendre que certains des renseignements obtenus par le Hamas qui ont permis au 7 octobre d’avoir lieu avaient été recueillis auprès des résidents gazaouis qui venaient travailler sur le sol israélien.
Bachar a aussi travaillé avec des Palestiniens venant de Cisjordanie, mais ils ne sont pas disponibles actuellement en raison de la guerre en cours.
Il ne reste donc que les bénévoles israéliens – ils sont une trentaine ou une quarantaine à venir par jour – et ce sera le cas jusqu’à ce que de nouveaux ouvriers agricoles en provenance de l’étranger puissent rejoindre son exploitation, probablement originaires du Sri Lanka, de Thaïlande ou d’Afrique.
Les bénévoles sont une aide, bien sûr, s’exclame Bachar – ce que tous les autres agriculteurs ayant bénéficié d’un soutien des volontaires ont reconnu au cours des douze dernières semaines.
Il y a un groupe, sur Facebook, qui s’appelle Tzav 8 pour l’agriculture – un jeu de mots qui s’inspire de l’ordre de mobilisation des réservistes de l’armée. Sur la page, des exploitants réclament de l’aide pour cueillir des tomates dans la région frontière de Gaza, des oranges à proximité de Gedera ou des fraises à Kadima, ou à Gedera.
Des fiches Google proposent des listes d’agriculteurs, par région, avec des codes-couleurs qui précise quels sont ceux qui accepteront des bénévoles âgés de moins de 15 ans, quels exploitants offriront un repas (il y en a quelques-uns) ou la présence d’abris antiaériens contre les roquettes tirées depuis la bande de Gaza dans les exploitations (il y en a peu).
Ce sont les agriculteurs de la région frontalière de Gaza qui ont le plus besoin d’une aide au vu des destructions commises par les terroristes du Hamas, le 7 octobre, et de l’évacuation des résidents.
Et pourtant, ce sont presque toutes les exploitations d’Israël qui sont dans la même situation actuellement – qu’elles cultivent des kakis à Rishpon, des oranges aux abords de Sderot, des aubergines à proximité de Rehovot ou des fraises à Kadima.
La majorité des agriculteurs s’appuient sur les ouvriers thaïlandais, ainsi que sur quelques travailleurs venus de Gaza ou de Cisjordanie. Et si certains font également appel à Hashomer Hahadash, une organisation de jeunes Israéliens qui font régulièrement du bénévolat dans les exploitations, un grand nombre de ces volontaires est actuellement en train de faire son devoir de réserve militaire dans le nord ou dans le sud du pays.
Et pour de nombreux cultivateurs, la nécessité de se coordonner avec les bénévoles est une nouvelle tâche à laquelle ils doivent s’atteler – si certains sont sereins, d’autres le sont moins.
Yaara Kachlon, une céramiste reconnue qui a épousé Guy Kachlon, agriculteur, est dorénavant en charge du recrutement hebdomadaire de bénévoles pour l’exploitation de son mari au moshav Klahim, aux abords de Netivot.
« Habituellement, je ne me mêle pas beaucoup aux activités de l’exploitation », explique Kachlon, dont le studio se trouve dans la cour située à l’arrière de l’habitation du couple, à seulement quelques mètres de la station de conditionnement où vivent et où travaillent les employés de son mari.
Elle écrit maintenant, chaque semaine, des posts sur les réseaux sociaux établissant les besoins de l’exploitation, souvent avec une photo du chien de la famille gambadant dans les champs. Elle répond aux textos et aux appels téléphoniques des bénévoles qui s’enquièrent des horaires, de ce qu’ils doivent porter comme vêtement, de ce qu’ils doivent apporter, du temps qu’ils devront passer à travailler… Elle a même préparé le petit-déjeuner pour les volontaires, un petit-déjeuner servi dans ses poteries d’un blanc crème raffiné, à deux occasions.
Son mari cultive des choux-fleurs, des courgettes – avec, selon la saison, des pastèques, des melons ou des oignons. Le fils aîné du couple est sur le front, à Gaza, et leurs deux autres enfants – ils ont un fils de 18 ans et deux filles, des jumelles âgées de 16 ans – donnent un coup de main. Il accepte néanmoins avec reconnaissance l’aide des bénévoles, comme ces deux familles et amis venus planter des choux-fleurs, il y a deux semaines.
Il a fallu 12 volontaires pour planter pendant quatre heures trois longues rangées de jeunes plants minuscules de choux-fleurs dans la terre humide, avec de longs bâtons de bambou. Kachlon et son fils ont été patients mais ils ont hâte de rencontrer leurs nouveaux ouvriers africains, qui arriveront le samedi suivant, à temps pour récolter les choux-fleurs lorsqu’ils auront atteint la maturité, dans environ 90 jours.
La semaine suivante, Yaara Kachlon déclare que les sept nouveaux travailleurs « sont très agréables et très amicaux ; l’apprentissage est un peu lent mais il y a des progrès ».
La saison des semis et de la récolte est une course contre la montre, note Bachar. « Si nous ne cueillons pas les avocats dès maintenant, alors je n’aurais rien l’année prochaine – ni fleurs, ni pollinisation ».
Il explique comment cueillir des avocats aux volontaires – distribuant à chacun une sacoche et un cueille-fruit spécial pour récolter les avocats : une longue barre en métal avec des crochets à son bout pour attraper l’avocat qui appartient à l’espèce Haas, à la peau dure et granuleuse, et pour le retirer de l’arbre.
Les bénévoles sont bien déterminés à cueillir tous les fruits, grimpant aux échelles et s’accrochant aux branches pour atteindre ceux qui se trouvent en haut de l’arbre avant de redescendre pour remplir leurs sacoches.
Lorsque le seul ouvrier Thaï s’aventure dans la rangée, il arrive avec une barre assortie d’une faux à son extrémité qui parvient à faire descendre des branches toutes entières, ce qui facilite le travail de récolte. Il n’a plus qu’à rassembler les avocats et à les placer dans la benne communautaire.
Les avocats Haas sont les plus présents sur le marché israélien et ils sont pollinisés dans les vergers de Bachar par les avocats appartenant à l’espèce Ettinger, dont la peau est moins épaisse, qui sont aussi plus longs et qui ont été développés par l’agronome israélien Akiva Ettinger.
Bachar ne tente même pas de vendre les Ettinger, et il dit aux bénévoles de ramener avec eux ceux qu’ils pourraient trouver.
Au mois de mars, Bacher installera des ruches en comptant sur les abeilles pour collecter les gamètes mâles du pollen sur les avocatiers Ettinger et pour les emmener jusqu’aux avocatiers Haas, fertilisant ainsi les fleurs qui deviendront à terme des fruits.
Malgré les pressions qu’il ressent dans ce moment important de récolte des avocats, il dit parvenir à relativiser les choses – et ressentir de la gratitude.
« Mes enfants sont actuellement à Gaza et il y a des problèmes plus importants », déclare-t-il. « En plus, vous êtes ici, avec nous ».
C’est la réaction qu’ont eu presque tous les agriculteurs avec lesquels nous avons fait du bénévolat au cours des neuf dernières semaines.
Mais le combat reste toutefois très dur pour un grand nombre.
« Les bénévoles nous aident pour environ 10 % de la récolte », dit Itzik Imira, qui cultive des aubergines et des courgettes sur plus de dix hectares dans son exploitation du moshav Yatzitz, près de Mazkeret Batya. Il s’attend à ce que seulement environ 25 % des légumes qu’il a plantés soient ramassés.
« J’ai fermé les robinets d’eau. Je n’arrose plus les courgettes parce que je vais être dans l’incapacité de les récolter », déplore-t-il.
Il ajoute qu’il ne sèmera rien sans avoir la garantie qu’il y aura une main-d’œuvre suffisante à disposition pour la récolte.
Imira a grandi dans son moshav – où il ne reste dorénavant que quatre fermiers. Ses parents cultivaient des pommes de terre. Aujourd’hui, cette culture particulière est faite dans le sud, dans les communautés frontalières de Gaza.
Il emploie habituellement douze ouvriers thaïlandais. « Ils sont partis du jour au lendemain », raconte-t-il. « Ils ont pris leurs bagages et ils sont rentrés chez eux ».
En ce moment, il a la chance d’avoir quelques mains expertes, adroites, qui cueillent les aubergines, les cherchant et les attrapant avec habileté, gagnant un temps précieux.
Des agriculteurs comme Imira employaient, dans le passé, des Palestiniens qui venaient travailler dans les champs – mais ça a été moins le cas depuis la guerre du Golfe, en 1990, quand le gouvernement a pris la décision stratégique de réduire la dépendance d’Israël face à la main-d’œuvre palestinienne. Il embauchait encore deux ouvriers originaires de Hébron, mais ces Palestiniens n’ont pas vu venir depuis le début de la guerre.
Et quand Imira prendra sa retraite, déclare-t-il, cela signera la fin de l’exploitation familiale.
« Mes enfants ? », dit-il en riant. « Ils sont dans les hautes-technologies ».
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