Les chefs de l’opposition critiquent la nouvelle proposition de réforme judiciaire
Pour Lapid, les changements dans le panel de sélection des juges est ce qui a été envisagé "depuis le premier jour" ; "Il n'y a pas de compromis ici", estime Michaeli
Les leaders de l’opposition s’en sont pris lundi à la coalition après que cette dernière a annoncé, aux premières heures de la matinée, une nouvelle ébauche de son projet de réforme de la justice en Israël. Cette ébauche comprend, entre autres, l’avancée au cours des deux prochaines semaines d’une version modifiée de sa législation visant à changer complètement la manière dont les juges seront sélectionnés, tout en reportant le vote d’autres textes de loi qui avaient été proposés, avec pour objectif d’ouvrir la voie à des négociations.
Les opposants au plan de réforme ont fermement rejeté l’idée que la nouvelle proposition qui a été faite par la coalition dans son projet de refonte du système judiciaire était un accord de compromis ou un assouplissement du projet original.
Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a ainsi évoqué « un cadre posé en vue d’une prise de contrôle hostile du système de la justice », laissant entendre qu’il autorisera le gouvernement à désigner ses partenaires politiques sur les bancs des magistrats – « ce qu’il avait prévu depuis le premier jour ».
Merav Michaeli, la dirigeante d’Avoda, a indiqué que « la mainmise sur la Commission de sélection judiciaire, c’est la destruction de la démocratie – nous ne pouvons pas nous laisser leurrer par cette nouvelle ruse du Likud ». Elle a ajouté « qu’il n’y a ni compromis, ni assouplissement dans ces propositions. Ils ne font que poursuivre l’objectif qui est le leur depuis le début – ils tentent de renverser les fondations de la démocratie. Nous ne pouvons pas arrêter les manifestations. Nous ne pouvons pas autoriser cette prise de contrôle hostile ».
Dans le plan qui a été présenté par les chefs de la coalition, cette nuit, dans la foulée d’une proposition faite par Simcha Rtohman, député du parti Hatzionout HaDatit, toute nouvelle majorité arrivant au pouvoir aurait la maîtrise complète de la nomination des deux premiers juges à la Cour suprême désignés au cours de son mandat, mais il lui faudrait le soutien d’au moins un député de l’opposition et d’un magistrat du panel pour procéder à des nominations supplémentaires au sein de la plus haute instance judiciaire du pays.
Certains critiques ont fait remarquer que selon ce schéma, la coalition aurait la mainmise sur suffisamment de juges de la Haute-cour pour neutraliser, dans les faits, tout réexamen judiciaire – une fois que la coalition aura adopté la législation nécessitant un jugement unanime des magistrats en place pour invalider éventuellement des lois adoptées à la Knesset, comme elle prévoit de le faire.
L’Institut israélien de la Démocratie, un think-tank non partisan, a lui aussi rejeté la nouvelle initiative prise par la coalition en évoquant « une tentative flagrante de la part du gouvernement de Netanyahu de contrôler la Commission de sélection judiciaire et de transformer la Cour suprême en nouvelle branche politique du gouvernement – ce qui est l’opposé exact du principe de séparation des pouvoirs. »
Les responsables du mouvement de protestation en cours ont également rejeté l’annonce faite par la coalition : « Ce n’est pas un assouplissement mais c’est une déclaration de guerre de la part du gouvernement aux citoyens d’Israël et à la démocratie du pays », ont-ils estimé, jurant de continuer à manifester avec notamment « une Journée de paralysie » qui devrait bloquer le pays jeudi prochain.
« Cette nouvelle ébauche ne prouve qu’une seule chose, c’est que [le Premier ministre Benjamin] Netanyahu ne s’inquiète que de ses intérêts personnels », a commenté pour sa part au micro de la Radio militaire le député Zeev Elkin, un ancien du Likud qui appartient dorénavant au parti HaMahane HaMamlahti, lundi matin. « Ils veulent renoncer à toutes les parties idéologiques qui distinguaient la réforme judiciaire, dans le seul but que Netanyahu puisse nommer un président de la Cour suprême qu’il apprécie ».
L’annonce faite par les leaders de la coalition, lundi en tout début de matinée, a aussi fait savoir que toutes les autres législations actuellement avancées dans le cadre de la réforme du système israélien la justice seraient suspendues jusqu’au lendemain du congé parlementaire de Pessah et qu’elles ne seront représentées qu’au commencement de la session estivale. Mais les observateurs ont souligné que des projets de loi doivent encore être votés dans les quinze prochains jours : des textes qui empêcheraient Netanyahu d’être écarté du pouvoir, qui lui permettraient d’utiliser des donations pour financer sa défense dans le cadre de son procès pour corruption et qui ouvriraient la porte au retour au cabinet d’Aryeh Deri, le chef du Shas, qui a été obligé de renoncer à ses deux portefeuilles ministériels suite à une décision de la Haute-cour.
« Trois mois de manifestations et le gouvernement n’en a tiré aucune leçon », a écrit sur Twitter l’ancien ministre de la Justice Gideon Saar, élu sous l’étiquette HaMahane HaMamlahti, qui a tourné en dérision la coalition pour sa tentative de faire approuver des lois qui protègeront Netanyahu et Deri. « Des lois de corruption et de destruction. Une seule réponse : il faut intensifier les manifestations ! »
Karine Elharrar, députée de Yesh Atid, a déclaré que « la coalition nous a présenté un ‘assouplissement’ mais en réalité, elle a malencontreusement vendu la mèche sur la nature de ses intentions. Tout ce qui la préoccupe, c’est de contrôler la sélection des juges, c’est leurs lois de corruption. Nous n’avons pas d’autre choix que de renforcer le mouvement de protestation ».
Pour sa part, Tally Gotliv, députée du Likud, a critiqué son propre parti pour les changements proposés en écrivant sur Twitter : « Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? Vous avez voté à droite, la droite l’a emporté et vous avez aujourd’hui la gauche ». Devant les caméras de la chaîne publique Kan, Gotliv a suggéré que le nouveau plan « n’est pas un compromis, ce n’est pas non plus un assouplissement : c’est une reddition en rase campagne devant la gauche », mais elle a précisé néanmoins qu’elle voterait en faveur du projet de la coalition.
Miki Zohar, le ministre de la Culture du Likud, s’est est pris à l’opposition pour sa réaction mais il a aussi critiqué la conduite de la majorité, déclarant à la Radio militaire que « l’opposition a pris la décision de nous boycotter et, en fin de compte, nous avons fait un compromis nous-mêmes sans en obtenir une reconnaissance minimale de la part des citoyens ».
Pour sa part, Danny Danon, député du Likud, a écrit sur Twitter que « ce n’est pas ainsi qu’il faut faire une réforme ».
Dans un communiqué émis jeudi matin, les leaders de la coalition avaient vivement recommandé à l’opposition d’utiliser le temps qui reste avant que la Knesset ne se réunisse à nouveau, après Pessah, pour « des négociations », disant qu’ils « tendaient la main » à ceux qui « s’inquiètent réellement de l’unité ».
Cela fait des semaines que les dirigeants de l’opposition et de la coalition s’accusent mutuellement de ne pas vouloir se lancer dans des pourparlers. Sous la pression et en proie à des critiques publiques féroces, la coalition a, au cours des derniers jours, réfléchi unilatéralement à la manière de changer son enveloppe de réformes radicales du système judiciaire alors qu’elle prépare ses législations actuelles en vue de leur adoption finale devant le parlement, dans moins de deux semaines.
Des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues, au cours des deux derniers mois, pour faire part de leur opposition à cette refonte du système judiciaire. Des chefs d’entreprise, des économistes lauréats du Prix Nobel et d’éminents responsables de la sécurité ont rejeté ces réformes, certains réservistes de l’armée ont cessé de faire leur devoir et même certains des alliés les plus proches de l’État juif – avec parmi eux, les États-Unis – ont poussé Netanyahu à ralentir le rythme de la campagne-coup de poing menée à la Knesset.
La proposition faite par Rothman a été la première tentative publique et unilatérale visant à répondre aux manifestants, à ses propres politiciens et aux experts qui ont demandé des changements en réponse au contenu des réformes ou aux clivages sociétaux qu’elles ont entraînées.
La semaine dernière, les leaders de la coalition avaient rapidement rejeté une autre proposition de réforme soumise par le président Isaac Herzog qui refusait au gouvernement deux de ses changements les plus chers : la prise de contrôle de la nomination des juges et la création d’une clause qui aurait permis au gouvernement de passer outre les jugements rendus par la Haute-cour.
Herzog avait averti qu’Israël risquait « une réelle guerre civile » et il avait supplié le gouvernement d’abandonner les réformes envisagées.
Jeremy Sharon et Carrie Keller-Lynn ont contribué à la rédaction de cet article.