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Opinion

Les Israéliens devraient-ils plus s’inquiéter du virus ou de la démocratie ?

Les mesures pour combattre le virus sont supervisées par Netanyahu, efficace… et profondément inquiétant, confondant lui-même les intérêts nationaux, politiques et personnels

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Des citoyens agitent des drapeaux israéliens, lors d'une manifestation devant le Parlement israélien à Jérusalem, le jeudi 19 mars 2020, accusant le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu d'exploiter la crise du coronavirus pour consolider son pouvoir et saper les fondements démocratiques d'Israël. (Crédit : AP / Eyal Warshavsky)
Des citoyens agitent des drapeaux israéliens, lors d'une manifestation devant le Parlement israélien à Jérusalem, le jeudi 19 mars 2020, accusant le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu d'exploiter la crise du coronavirus pour consolider son pouvoir et saper les fondements démocratiques d'Israël. (Crédit : AP / Eyal Warshavsky)

Ce vendredi, les Israéliens ne sont pas censés quitter leur domicile, sauf pour des raisons vitales – l’achat de nourriture, l’obtention de soins médicaux, ou pour des mariages et des funérailles ne dépassant pas les 10 personnes. Oh, ou encore pour participer à des manifestations.

L’inclusion de la clause « vous pouvez toujours sortir et protester » sur la liste des exceptions du ministère de la Santé aux ordonnances d’urgence de confinement symbolise parfaitement l’entrelacement lamentable de la lutte (efficace) d’Israël contre la pandémie de coronavirus avec celle de la (misérable) réalité politique et démocratique d’Israël.

Ayant quasiment scellé ses frontières et martelé progressivement que le virus était très contagieux, se transmettait par des gouttelettes de salive et de mucus, et pouvait être dévastateur pour les personnes âgées et les malades, Israël a, à ce jour, empêché le nombre de citoyens gravement malades d’augmenter de façon exponentielle.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu doit largement être crédité pour cela. Comme il le rappelle à la nation presque tous les soirs, il a placé Israël parmi les pays qui ont pris les devants dès le début, avec une série de mesures restreignant progressivement les mouvements et les interactions personnelles – ceci afin de tenter de contrecarrer la propagation de la maladie.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu arrive pour un discours à son bureau de Jérusalem, le samedi 14 mars 2020. (Crédit : Gali Tibbon / Pool via AP)

Mais Netanyahu a également, jour après jour – directement et via ses partisans – confondu la lutte essentielle contre cette pandémie meurtrière avec ses propres intérêts politiques et personnels. En plus de ses explications autour des dangers posés par cet ennemi viral invisible, ses supplications à l’opinion d’agir de manière responsable afin de le vaincre et ses détails au sujet des dernières mesures préventives, il a également dénoncé les efforts ostensiblement antidémocratiques visant à le remplacer lui en tant que Premier ministre, et a tenté de discréditer ses opposants politiques. (Son rival Benny Gantz a été chargé lundi par le président Reuven Rivlin d’essayer de former le prochain gouvernement d’Israël, après l’élection du 2 mars, la troisième du pays en moins d’un an, qui n’a pas permis à Netanyahu comme à Gantz de bénéficier d’une voie claire pour la formation d’une majorité.)

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite) dirige une réunion des factions du Likud à l’ouverture de la 22e Knesset, le 3 octobre 2019. Le ministre de la Justice, Amir Ohana, et l’un de ses enfants sont à ses côtés. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Dimanche matin, avant l’aube, le ministre de la Justice par intérim ultra-loyaliste de Netanyahu, Amir Ohana (Likud), a ordonné la fermeture de la plupart des tribunaux israéliens, entraînant le report de l’ouverture du procès de Netanyahu pour corruption, qui avait été fixée à mardi.

Mercredi, son ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan (Likud), a annoncé qu’Israël utilisait désormais une technologie numérique extrêmement intrusive afin de pister les mouvements des Israéliens diagnostiqués positifs – et potentiellement n’importe qui en Israël – afin d’informer les personnes qui s’étaient retrouvées involontairement à proximité d’un porteur du virus pendant 10 minutes ou plus qu’elles devaient immédiatement se placer en quarantaine. Un sous-comité de la Knesset qui supervise les activités de sécurité clandestines d’Israël avait débattu du cadre approprié concernant l’utilisation d’une telle surveillance, mais n’avait pas finalisé ses travaux lorsque le suivi numérique a été poussé et approuvé par le cabinet.

Des groupes de défense des droits humains et des militants politiques, profondément préoccupés par les éventuels abus de ces capacités de surveillance – sans parler du risque que ces données ne tombent dans les mains de mauvaises personnes – ont immédiatement interpellé la Cour suprême, qui a décidé jeudi que cette surveillance, potentiellement vitale, devrait cesser si un contrôle parlementaire approprié n’était pas mis en place d’ici mardi prochain. (À rajouter aux inquiétudes concernant la capacité du gouvernement Netanyahu à garantir la sécurité de nos données : il y a quelques semaines à peine, lors d’une fuite massive du Likud, tous les détails d’identification de l’électorat ont été rendus publics. En outre, au début du mois, des responsables du Likud ont expliqué qu’ils avaient augmenté leur nombre d’électeurs lors des élections du 2 mars en utilisant une application de données électorales, Elector, dont la légitimité restait douteuse, afin de « pêcher » leurs partisans et les encourager à aller voter.)

Le président de la Knesset, Yuli Edelstein (à droite), et le président Reuven Rivlin lors de la prestation de serment de la 23e Knesset, le 16 mars 2020. (Crédit : Mark Heyman et Haim Zach/GPO)

Mercredi également, le président de la Knesset, jusqu’alors très respecté, Yuli Edelstein (Likud), a pris la décision stupéfiante de fermer le Parlement, alors que les députés alliés de Netanyahu et ceux fidèles au dirigeant de Kakhol lavan, Benny Gantz, s’opposent au sujet de la composition de la commission des Arrangements, un organe clé dans l’établissement de l’agenda de la Knesset. Edelstein a soulevé une série de prétextes suite à sa décision extraordinaire – il a évoqué l’impossibilité de faire quoi que ce soit quand les députés se comportent de façon trop obstinée, son désir de voir Israël dirigé par un gouvernement d’unité et la réglementation sur le virus, interdisant les rassemblements de plus de 10 personnes.

La décision d’Edelstein – qui a également, de façon non accidentelle, retardé un scrutin imminent dans lequel il risquait de ne pas être réélu président – a provoqué une nouvelle série de pétitions à l’adresse de la Cour suprême. Fait sans précédent : cela a également conduit le président israélien Reuven Rivlin a appelé Edelstein, l’avertissant qu’il nuisait à la démocratie israélienne. Il lui a demandé de permettre la réouverture du Parlement, avant de publier le contenu de leur conversation.

« Une Knesset hors service nuit à la capacité de l’État d’Israël de fonctionner correctement et de manière responsable en cas d’urgence », a déclaré Rivlin à Edelstein, dans cette claque présidentielle poliment formulée. Edelstein, qui, jusqu’à cette semaine, rêvait de devenir lui-même un jour président, promet désormais de rétablir les activités parlementaires lundi.

Quand un convoi de manifestants s’est rendu jeudi de Tel Aviv à Jérusalem afin de protester contre ce semblable assaut cumulatif contre la démocratie israélienne sous le couvert de la lutte anti-virus, ils ont été interceptés par la police pour avoir prétendument enfreint les règles sur les rassemblements publics – ce qu’ils ne formaient pas.

Des gens brandissent des drapeaux israéliens lors d’une manifestation devant le Parlement israélien à Jérusalem, le jeudi 19 mars 2020, accusant le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu d’exploiter la crise du coronavirus pour consolider son pouvoir et saper les fondements démocratiques d’Israël. (Crédit : AP / Eyal Warshavsky)

Nous sommes entrés dans des temps mauvais, fous et incertains – pour nous tous, les humains. Pour stopper un virus que les scientifiques reconnaissent ne pas encore comprendre pleinement, toute l’interaction humaine est en cours de refonte. Nous vous déconseillons de vous enlacer, de vous embrasser et de vous serrer la main. Les voyages internationaux ont cessé. Le chômage augmente. Les économies s’effondrent.

Dans de nombreuses régions du monde, il est désormais interdit de sortir à des fins considérées comme non essentielles, comme si l’interaction sociale était autre chose qu’essentielle.

Les événements et les rassemblements culturels, de divertissement et sportifs – nombre des choses que nous attendons avec impatience et qui nous occupent le plus en dehors du travail – ont été annulés. Les événements quotidiens, souvent les pièces maîtresses de notre vie, de la naissance aux mariages en passant par les funérailles, ne doivent désormais se dérouler que dans des cadres réduits et limités. Les conséquences psychologiques de tout cela ne méritent pas réflexion.

Et en l’occurrence, ici en Israël, ce quotidien qui ne cesse d’évoluer, de façon rapide et radicale, fait face à une crise politique – crise dans laquelle notre guerre contre le coronavirus est dirigée, et de la bonne façon, nous estimons, par un politicien controversé. Netanyahu est un dirigeant qui a toujours été source de divisions, et qui, selon la hiérarchie juridique de l’État, pourrait être corrompu, après avoir mené une lutte contre les principales institutions de notre démocratie au cours des deux dernières années, alors qu’il s’opposait aux enquêteurs de la police et aux procureurs de l’État. Netanyahu est également un chef de file dont certaines des mesures (raisonnables) pour contrer la propagation de la maladie (la fermeture de la plupart des fonctions judiciaires, par exemple, n’est pas propre à Israël) se retrouvent à servir étroitement ses intérêts.

Lorsque ses ministres et alliés soigneusement sélectionnés renvoient la plupart de nos juges chez eux, lorsqu’ils introduisent la surveillance de tous nos téléphones et lorsqu’ils suspendent les activités du Parlement, qui est censé assurer au moins une certaine surveillance de son gouvernement, Israël se retrouve face à deux crises : celle contre le coronavirus, et celle de la démocratie.

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