Les leaders européens et arabes se pressent pour rencontrer le nouveau chef syrien ; Israël appelle à la prudence
Ahmed al-Sharaa espère convaincre le monde qu'il a abandonné son passé de jihadiste - mais le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar et d'autres responsables ont fait part de leurs doutes
Alors que le nouveau gouvernement syrien s’efforce de se créer une légitimité à l’international après avoir renversé le régime de Bachar al-Assad, les pays occidentaux semblent dorénavant prêts à accorder une chance au gouvernement dirigé par Ahmed al-Sharaa, le chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham.
De son côté, Israël veille à ce que ses alliés ne donnent pas carte blanche à un homme qui, dans le passé, avait été à la tête d’une organisation jihadiste brutale.
« Il est trop tôt pour croire pleinement à ce changement d’image », confie un responsable israélien au Times of Israel.
Vendredi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot et son homologue allemande, Annalena Baerbock, sont devenus les deux diplomates occidentaux de plus haut rang à avoir fait le déplacement au sein de la capitale syrienne depuis que les forces dirigées par les islamistes ont renversé le mois dernier le dirigeant de longue date de la Syrie, Assad.
Les deux diplomates ont averti Sharaa que le transfert du pouvoir devait se faire de manière pacifique et inclusive. « Ce qui exige un dialogue politique impliquant tous les groupes ethniques et religieux, les hommes et également les femmes », a commenté Baerbock.
Elle a également déclaré à Sharaa que l’Union européenne était prête à soutenir la transition en Syrie – tout en mettant en garde le nouveau dirigeant de facto du pays, lui disant que « l’Europe ne financera pas de nouvelles structures islamistes ».
Lors de sa visite, Barrot a rencontré des responsables chrétiens pour évoquer la question de la transition vers une Syrie démocratique.
De son côté, en Israël, le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a pris la tête d’une initiative visant à pousser le monde à faire preuve de méfiance à l’égard de Sharaa et des siens – tout en avertissant que les pays européens semblent bien déterminés à négliger tout potentiel aspect problématique que pourrait présenter le gouvernement, et ce dans le but de voir partir des pays européens les millions de réfugiés qui avaient fui les combats entraînés la guerre civile syrienne depuis 2011, atterrissant au sein de l’UE.
Le monde parle d’un « changement ordonné de gouvernance en Syrie », avait noté Saar lors d’une conférence, le mois dernier. « Mais ce n’est pas comme si le nouveau gouvernement qui contrôle aujourd’hui tout le territoire de la Syrie avait été démocratiquement élu ».
« Il s’agit d’un gang terroriste qui se trouvait auparavant à Idleb et qui a pris le contrôle de la capitale de Damas, et qui a également pris le contrôle d’autres régions. Le monde aimerait beaucoup pouvoir considérer ces gens comme un nouveau gouvernement stable, parce que les pays veulent renvoyer en Syrie les réfugiés qui se trouvent sur leur territoire. Mais ce n’est pas le cas », a-t-il affirmé.
Gideon Saar a affirmé que les minorités telles que les Alaouites, les Kurdes et les chrétiens étaient menacées par le nouveau gouvernement de Sharaa.
A LIRE : Syrie : Les Alaouites, au pouvoir sous Assad, craignent aujourd’hui pour leur avenir
« Il s’agit là d’un gouvernement islamiste qui va tenter d’exercer un contrôle unifié sur l’ensemble de la Syrie », a-t-il déclaré.
Le mois dernier, Sharren Haskel, une députée appartenant au parti de Saar, avait accusé Sharaa d’être « un loup déguisé en agneau ».
Lors d’une conférence de presse, Haskel avait montré un montage qui réunissait différentes photographies de Sharaa, révélant son passé de membre de diverses organisations jihadistes.
« Il est important de ne pas tomber dans le piège que représente cette tentative de blanchir les [groupes] jihadistes en Syrie. Nous savons qui ils sont et nous savons quelle est leur véritable nature, même s’ils changent de nom, et nous savons tout à fait bien à quel point ils sont dangereux pour l’Occident », s’est exclamé Haskel.
Sharaa – le dirigeant syrien de-facto – avait rejoint Al-Qaïda en Irak en 2003 et il avait été capturé par les troupes américaines. Après sa libération, il avait créé le Front jihadiste Al-Nusra, combattant Assad en Syrie.
Le département d’État américain avait inscrit Shaara sur sa liste noire des terroristes en 2013, plaçant sur sa tête une prime de dix millions de dollars quatre ans plus tard. Sharaa avait finalement rompu tous les liens entre son organisation et Al-Qaïda et, depuis 2017, il s’était efforcé de présenter son groupe, HTS, sous l’image d’un groupe modéré, dont les intérêts se concentraient sur la gouvernance et sur le renversement d’Assad.
Les États-Unis ont supprimé la prime qui pesait sur la tête de Shaara au mois de décembre, une initiative prise dans le cadre d’un geste de bonne volonté face aux nouveaux dirigeants syriens, avec lesquels les Américains espèrent entretenir de bonnes relations.
Depuis son arrivée au pouvoir au mois de décembre, Sharaa prône la coexistence religieuse et a promis de ne pas imposer un respect strict des principes fondamentaux de l’islam. Il a également troqué sa tenue militaire contre des costumes et il a abandonné son nom de guerre, Abu Muhammad al-Jolani.
Le ministre des Affaires étrangères israélien n’a pas été le seul responsable, au sein de l’État juif, à mettre en garde contre la métamorphose apparente de Shaara.
Lors d’une visite sur le mont Hermon, le ministre de la Défense, Israël Katz, a déclaré que les nouveaux hommes forts de la Syrie « prétendent nous montrer une image modérée, mais ils appartiennent aux sectes islamiques les plus extrêmes ».
Dans l’intervalle, les diplomates arabes se sont rués à Damas pour y rencontrer Sharaa. Après un entretien avec Shaara, à la fin du mois de décembre, le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a exprimé son soutien à « un gouvernement qui représente tous les courants en Syrie », vantant également les mérites de « l’élaboration d’une nouvelle constitution », selon une chaîne de télévision publique en Jordanie.
« Nous sommes d’accord pour soutenir le peuple syrien dans la reconstruction de son État », a-t-il précisé, ajoutant que « les pays arabes sont d’accord pour soutenir, à ce stade, la Syrie, sans aucune ingérence extérieure ».
De hauts-responsables de l’Arabie saoudite et du Qatar se sont également rendus à Damas pour s’y entretenir avec Sharaa.
L’Ukraine s’est, elle aussi, empressée de renouer des liens avec la Syrie dans le sillage de la chute d’Assad, qui s’était étroitement allié à la Russie. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andrii Sybiha, a rencontré Sharaa la semaine dernière, et le président Volodymyr Zelensky a envoyé 500 tonnes de céréales en Syrie, déclarant que Kiev pouvait contribuer à stabiliser le pays.
Si les dirigeants de HTS avaient célébré le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, les nouveaux leaders syriens ont depuis souligné qu’ils ne sont pas intéressés par un combat contre Israël.
Sharaa a déclaré que son nouveau régime était « attaché à l’accord de 1974 » et que « nous sommes prêts au retour des [observateurs] de l’ONU », faisant référence aux forces de maintien de la paix qui occupaient la zone démilitarisée aux côtés des troupes syriennes.
« Nous ne voulons pas de conflit, que ce soit avec Israël ou avec qui que ce soit d’autre, et nous ne laisserons pas la Syrie servir de base pour des attaques. Le peuple syrien a besoin d’une pause, les frappes doivent cesser et Israël doit se replier sur ses positions antérieures », a dit Sharaa au Times of London, au début du mois.
Le nouveau gouverneur de Damas a également souligné que le gouvernement qui vient de s’installer était désireux d’entretenir des relations cordiales avec Israël. « Nous n’avons aucune crainte à l’égard d’Israël et nous n’avons aucun problème avec problème avec Israël », a expliqué Maher Marwan, le mois dernier, à NPR. « Le peuple veut la coexistence. Il veut la paix. Il ne veut pas le conflit ».
« Et nous ne voulons pas nous mêler de quoi que ce soit qui puisse menacer la sécurité d’Israël ou la sécurité de tout autre pays », a-t-il ajouté. « Nous voulons la paix et nous ne pouvons pas nous permettre de devenir un adversaire d’Israël ou un adversaire de qui que ce soit d’autre ».
Israël a également fait part de son souhait d’entretenir des « liens appropriés » avec le nouveau régime, comme l’avait déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu au début du mois de décembre. Mais « si ce régime permet à l’Iran de se réimplanter en Syrie, s’il permet le transfert d’armes iraniennes ou de toute autre armement au Hezbollah, ou s’il nous attaque, nous répondrons avec force et nous lui ferons payer un lourd tribut », a averti le chef de gouvernement.
L’AFP a contribué à cette analyse.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel