Liberman manque de crédibilité militaire, mais compense par ses opinions
Si le leader de Yisrael Beytenu prend la tête du ministère de la Défense, le poste passerait d'un lieutenant général à un caporal
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Le ministère de la Défense est prêt à passer des mains d’un ancien lieutenant général à celle d’un ancien caporal – du rang le plus élevé possible dans les Forces de défense israéliennes au deuxième le plus bas, juste au-dessus du bidasse.
Le ministre actuel de la Défense, Moshe Yaalon, a commandé l’unité de commando d’élite de Tsahal Sayeret Matkal, y compris lors d’un raid en 1988, en Tunisie, pour assassiner le co-fondateur du Fatah, Khalil al-Wazir. Il est finalement devenu chef de l’état-major général au milieu de la deuxième Intifada avant de poursuivre une carrière politique.
Face à lui, celui qui va apparemment devenir ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a eu une carrière militaire médiocre et courte dans le corps d’artillerie. Ses seules confrontations physiques semblent être deux bagarres à l’Université hébraïque avec les membres d’un groupe d’étudiants arabes, d’après une interview de 2009 avec Liberman réalisée par le site d’informations israélien NRG.
Bien sûr, Liberman ne serait pas le premier ministre de la Défense à ne pas avoir eu une carrière militaire à rallonge. Moshe Arens, Shimon Peres, Pinhas Lavon – aucun d’entre eux n’étaient des militaires. Cependant, la dernière guerre dirigée par un ministre de la Défense n’ayant pas eu une longue carrière dans l’armée – la deuxième guerre du Liban en 2006, sous Amir Peretz – est considérée comme une catastrophe, et pour cela Peretz a reçu beaucoup de critiques.
Mais en dépit de son manque d’expérience militaire formelle, Liberman a souvent et bruyamment exprimé son opinion sur les questions de défense, bien que certaines de ces positions aient changé au fil du temps.
L’ancien ministre des Affaires étrangères a été franc sur le besoin de mettre en place la peine de mort dans les affaires de terrorisme, dans la mesure où il en a fait une condition pour qu’il rejoigne la coalition.
Pour obtenir les six sièges du parti Yisrael Beytenu de Liberman, le Premier ministre devait être prêt à « offrir [le ministère de la Défense], la peine de mort et la réforme des retraites », a déclaré Liberman lors d’une conférence de presse mercredi matin.
En février 2015, avant les dernières élections, Liberman a dit qu’une telle législation serait « un signal que nous allons changer de cap ».
L’immigrant né en Moldavie a une approche dure presque à tous les niveaux sur les questions de défense.
En décembre, il a proposé qu’Israël donne au leader du Hamas Ismail Haniyeh 48 heures pour rendre les corps de deux soldats de Tsahal, Shaul Oron et Hadar Goldin, actuellement détenus à Gaza, et si cela n’était pas respecté, qu’on l’assassine.
Liberman a encouragé les réponses « disproportionnées » aux actes d’agression commis par le groupe terroriste basé au Liban, le Hezbollah, en dépit de la crainte d’un grand nombre dans l’armée qu’une telle stratégie pourrait aggraver la situation dans le Nord, en véritable guerre – et que cela constitue également un potentiel crime de guerre.
Sur le thème de la bande de Gaza, au cours des années Liberman a soutenu un certain nombre de solutions, passant de l’une à l’autre, y compris une prise de contrôle complète de la bande, la remise de l’enclave côtière à l’ONU, et l’assouplissement des restrictions économiques sur les habitants de Gaza pour les dissuader de rejoindre le Hamas.
« Nous devons y aller franchement. Il n’y a pas d’alternative », a déclaré Liberman en juillet 2014, à l’apogée de la guerre de Gaza. « Un résultat final de l’opération verrait Tsahal contrôler Gaza ».
« Nous devons envisager de rendre le contrôle de Gaza à l’ONU »
Avigdor Liberman
Moins de trois semaines plus tard, cependant, celui qui était alors ministre des Affaires étrangères a changé d’avis pour préférer l’armée israélienne à l’Organisation des Nations unies dans le contrôle de l’enclave côtière.
« Ici aussi, nous devons envisager de rendre le contrôle de Gaza à l’ONU », a déclaré Liberman.
Le mois dernier, Liberman a adopté une approche bien plus légère, préconisant l’encouragement économique pour l’enclave côtière afin de dissuader la population de rejoindre le Hamas.
« Une vie meilleure pour les habitants de Gaza les rendrait moins susceptibles d’adhérer à une organisation terroriste comme le Hamas, et le Hamas le sait », a déclaré Liberman.
« Que ferais-je si j’avais la responsabilité de cette question ? » a-t-il demandé rhétoriquement. « J’ouvrirais une chaîne de télévision, une station de radio et un site Web dans la bande pour faire connaître à la population [de Gaza] la vérité sur le Hamas ».
« Il est préférable d’avoir un soldat qui a fait une erreur et a survécu qu’un soldat qui a hésité et s’est fait tuer par un terroriste »
Avigdor Liberman
Plus récemment, le ministre potentiel de la Défense semblait s’en prendre au chef d’état-major de Tsahal Gadi Eisenkot dans l’affaire de Hébron, où un soldat a été filmé en train d’abattre un terroriste palestinien près de 15 minutes après qu’il ait été soumis et désarmé.
« L’attaque contre ce soldat est hypocrite et injustifiée », a-t-il dit peu après l’incident, en réponse à la condamnation du soldat par Eisenkot et Yaalon.
« Il est préférable d’avoir un soldat qui a fait une erreur et a survécu qu’un soldat qui a hésité et s’est fait tuer par le terroriste », a-t-il ajouté.
L’epreuve du Feu
Liberman arriverait au ministère avec quelques rancoeurs, puisqu’il aurait été en conflit avec l’agence de renseignements du Mossad lors de son premier mandat en tant que ministre des Affaires étrangères de 2009 à 2012.
En 2011, Haaretz a rapporté que Liberman avait ordonné à son ministère des Affaires étrangères et à ses ambassades de boycotter le Mossad. Comme l’agence de renseignements refusait de partager des informations avec son ministère, Liberman a demandé à ses employés qu’ils cessent de partager des informations avec l’agence.
Dans la courte période qui s’est écoulée depuis que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé qu’il offrirait la position du ministère de la Défense à Liberman, la décision a déjà été attaquée.
Les membres du parti du Likud de Netanyahu ont qualifié l’éviction de Yaalon de « laide » et ont remis en question la nécessité d’ « humilier » un membre du parti loyal et travailleur, a rapporté Ynet.
Bien qu’ils n’aient pas attaqué la proposition purement et simplement, les présidents des conseils régionaux du sud d’Israël ont publié une déclaration mercredi soir appelant les politiques de sécurité de Yaalon à rester en vigueur, peu importe qui deviendrait finalement ministre de la Défense.
A 00h01, jeudi, le journal Haaretz a publié un éditorial cinglant contre la décision, la qualifiant de « imprudente » et a alerté sur les dégâts que Liberman pourrait causer au pays.
L’analyste militaire vétéran, Ron Ben Yishai, a dans la même ligne démoli la proposition du ministère de la Défense à Liberman, disant qu’il mettrait en danger la sécurité du pays en faveur d’une victoire politique de piètre qualité.
Membre du Likud de la Knesset et ancien ministre, Benny Begin, l’a qualifiée de « délirante » et a dit que cette décision montrait « un manque de responsabilité envers l’establishment de la défense et les citoyens d’Israël ».
Bien que Liberman ait une formation militaire rudimentaire, à partir de maintenant, l’épreuve du feu qui l’attend sûrement s’il prend le ministère de la Défense devrait lui donner une certaine expérience du combat dans le monde réel si nécessaire.