Maïmonide, un médecin moderne
A l’occasion du 880e anniversaire de la naissance de Maïmonide, Ariel Toledano publie une biographie intellectuelle et médicale du philosophe, talmudiste et médecin
Médecin spécialisé dans les maladies vasculaires, auteur d’une vingtaine d’ouvrages médicaux, Ariel Toledano enseigne aussi l’histoire de la médecine à l’Université René Descartes-Paris V.
A l’occasion du 880e anniversaire de la naissance de Maïmonide, il publie une passionnante biographie intellectuelle et médicale du philosophe, talmudiste et médecin dont il souligne l’étendue de la contribution scientifique et la modernité universelle de l’œuvre.
Times of Israel : A Tibériade, sur la tombe de Moïse Maïmonide, on peut lire : « Depuis Moïse jusqu’à Moïse, aucun autre Moïse ne s’est manifesté ». Pourquoi cette allusion au Deutéronome (chapitre 34, verset 10) ?
Ariel Toledano : L’épitaphe de Maïmonide est le reflet de son statut si particulier dans la Tradition juive.
Son travail de synthèse des 63 traités du Talmud, appelé le Mishné Torah, est une œuvre unique dans l’analyse des textes de la loi juive, à l’image du caractère unique du personnage de Moïse, le plus grand prophète de la Tradition juive.
Maïmonide lui-même, dans son Guide des égarés, considère que Moïse est l’incarnation de la perfection et du degré maximal de la connaissance. C’est d’ailleurs à travers cette notion qu’il développe sa théorie de la prophétie qui vise à exprimer que la loi est la résultante du degré le plus évolué de la connaissance.
« … Et les exilés de Jérusalem qui sont à Séfarad possèderont les villes du midi… » : dans son dernier roman, Retour à Séfarad (Gallimard), Pierre Assouline souligne que, selon Maïmonide, cette phrase s’est transmise de père en fils à travers la tradition orale…
Ariel Toledano : Absolument, c’est en se fondant sur une interprétation du mot Séfarad issu du texte biblique du prophète Ovadia que les juifs d’Espagne, parmi lesquels la famille de Maïmonide, se ressentaient comme les descendants directs de l’aristocratie juive de Jérusalem.
En s’arrachant de l’Andalousie natale, pourquoi Maïmonide a-t-il choisi pour destination le Maroc ?
Cette destination du Maroc pour fuir l’Andalousie sous domination almohade est totalement énigmatique car ce pays est alors aussi sous l’emprise des Almohades.
Il n’est pas très logique de voir la famille de Maïmonide contrainte d’errer en Espagne avant d’arriver au Maroc, lieu central de la dynastie almohade.
C’est en faisant ce constat que je développe la thèse selon laquelle Maïmonide est venu y parfaire sa formation médicale. Cette explication est corroborée par de nombreuses informations qu’il apporte dans ses traités médicaux sur des notions pratiques qui lui ont été enseignées au Maroc.
Pourquoi n’est-il pas resté en Terre Sainte où l’a également conduit son exode ?
Dans toutes ces destinations, Maïmonide recherche la quiétude mais il est surtout guidé par la passion de la connaissance et du savoir.
En 1165, en terre d’Israël, il y a peu d’écoles talmudiques et donc peu d’émulation intellectuelle.
Les grandes académies talmudiques se trouvent en effet en Diaspora, notamment à Bagdad. Le Maroc est aussi le symbole d’un judaïsme vivant, héritier de la tradition d’un éminent rabbin, Rabbi Isaac Al Fassi, appelé sous l’acronyme RIF, dont Maïmonide est un fervent admirateur.
Philosophe et médecin, Maïmonide n’est-il pas avant tout
talmudiste ?
Je pense qu’on ne peut dissocier ces trois facettes de sa personnalité. Il est certes une autorité rabbinique mais il est aussi un grand médecin et un philosophe de génie.
D’ailleurs, il établit lui-même des ponts entre ces trois déclinaisons du savoir. Le raisonnement philosophique lui permet d’aboutir à l’élaboration de la loi qui est la vérité par excellence.
Et pour Maïmonide, la vérité ne peut se transmettre qu’à travers des organes sains. Le lien est donc fait cette fois avec l’art médical qui permet à l’homme d’être en bonne santé pour s’adonner à l’étude de la loi avec ses objectifs rationnels et spirituels. Il n’y a pas de contradiction chez Maïmonide entre la foi et la raison, contrairement à la vision moderne qui a ôté toute vision transcendantale à la loi.
Le huitième chapitre de son Traité sur l’asthme se conclut sur la félicité véritable qui, selon lui, ne se trouve que dans la fidélité à Dieu et dans les notions liées à la foi. Est-ce ce qui peut expliquer la sévérité du jugement rendu par Spinoza à son égard ?
Maïmonide est dans la droite ligne de la position des rabbins du Talmud.
Il tient absolument à montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre les paroles prophétiques du texte biblique et la raison humaine. C’est à travers la théorie du langage qu’il aboutit à concilier la foi et la raison, théorie à laquelle n’adhère pas Spinoza.
La question que sous-tend votre livre n’est-elle pas liée à ce que représente, pour un médecin de notre époque, l’œuvre de
Maïmonide ?
L’éthique est au centre de l’œuvre médicale de Maïmonide. Cette notion est fondamentale aujourd’hui face aux progrès considérables de la médecine, notamment à travers l’intelligence artificielle qui nous amène à réfléchir sur le sens que l’on souhaite donner au monde de demain.
C’est d’ailleurs sur cette réflexion que se sont ouverts les Etats généraux de la bioéthique organisés par le Comité consultatif national d’éthique en ce début d’année 2018.
Dans quelle mesure sa connaissance des textes bibliques et talmudiques a-t-elle influencé, sinon façonné, sa conception de la médecine ?
Maïmonide n’a rédigé ses traités médicaux qu’après avoir fini la rédaction de son œuvre théologique, le Commentaire sur la Mishna et le Mishné Torah. Il dit aussi que l’étude de la médecine est l’une des meilleures activités religieuses, comme s’il voulait préciser qu’il s’agit d’un prolongement logique de son étude.
Pourquoi a-t-il toujours représenté pour vous « une source perpétuelle d’espérance » ?
Tout simplement parce que malgré les difficultés et les épreuves traversées tout au long de sa vie, Maïmonide n’a cessé de croire que le monde a été créé pour le bien.
Il cite le chapitre 3, verset 19, des Proverbes : « L’Eternel a fondé la terre avec sagesse » pour étayer son raisonnement.
N’est-il pas surprenant de lire que le pieux Maïmonide dissuada son disciple d’ouvrir une école talmudique à Alep ?
Le souci d’indépendance est au centre de sa recommandation. Il ne souhaite pas que son disciple dépende financièrement de la communauté.
Ce conseil, il se l’applique d’ailleurs à lui-même. Il dirige la communauté juive du Vieux Caire mais ne souhaite pas en dépendre pour subvenir à ses besoins matériels, l’exercice de la médecine lui permettant de conserver son indépendance.
Votre livre souligne sa dimension universelle et novatrice : Maïmonide, un moderne du Moyen-Âge ?
À travers ses dix traités médicaux, Maïmonide est un véritable précurseur de la médecine moderne. Son sens de l’observation, son intérêt majeur pour une vision unitaire du corps et de l’esprit, sa vision de la prévention, sa pratique rationnelle de la médecine en font un esprit résolument moderne de l’exercice de la médecine.
On parle aujourd’hui de « burn out ». Que dire alors de son activité quotidienne rapportée dans votre livre ?
Vous avez raison, on se demande comment avec un emploi du temps aussi chargé, il a pu écrire une œuvre aussi dense ! Mais il faut rappeler que nous sommes face à une personnalité d’exception, capable de mener plusieurs vies de front.
Dans l’encyclopédie très réussie « La Planète des Sages » (*) (Dargaud) le dessinateur Jul et le philosophe enseignant Charles Pépin consacrent à Maïmonide une entrée intitulée La vérité si je pense, et se livrent eux-mêmes à une sorte de Pilpoul sur « Maïmonide, Séfarade ou Ashkénaze ? »….
Cette planche est très drôle en effet et elle reflète bien l’universalisme de la pensée de Maïmonide !
Vous êtes intervenu fin mars, aux côtés de Jacques Attali, à l’occasion d’un Master Class que la faculté de médecine de l’Université René Descartes a consacré à Maimonide. Vous vous êtes également exprimé en Israël…
En effet, je viens tout juste de donner une conférence sur le thème « La médecine du Talmud. Au commencement des sciences modernes », à l’université de Tel-Aviv. Cette manifestation a eu lieu sous l’égide de la très dynamique association des amis francophones de l’Université de Tel-Aviv.
La médecine de Maïmonide. Quand l’esprit guérit le corps, Ariel Toledano, Editions In Press, 240p, 19€
(*) Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies
LA PLANETE DES SAGES
Jul – Charles Pépin
Dargaud
128 pages- 19,99 €
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