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Interview

Naor Narkis, l’athée qui défie l’ordre ultra-orthodoxe

Avec son mouvement "Hozrim BeTvuna", le jeune trentenaire, qui prévoit de se présenter au sein du parti Les Démocrates, cherche à préserver la foi tout en encourageant à la laïcité

Naor Narkis discutant avec un passant, à Bnei Brak, en mai 2025. (Crédit : Alexandra Vardi)
Naor Narkis discutant avec un passant, à Bnei Brak, en mai 2025. (Crédit : Alexandra Vardi)

À la lisière de la ville religieuse de Bnei Brak, près de Tel Aviv, Naor Narkis, un trentenaire athée, a installé un stand d’information à destination des Haredim (littéralement « les craignant Dieu »), pour, dit-il, « aider ceux qui le souhaitent à quitter le monde ultra-orthodoxe ».

C’est vendredi, et la rue fourmille de son agitation coutumière, quelques heures avant l’arrêt des transports, la fermeture des commerces et l’entrée dans le silence du Shabbat.

Les passants jettent des regards furtifs au stand, où une poignée de militants laïcs du mouvement fondé en 2024 par Naor Narkis – Hozrim BeTvuna (« Retour à la raison ») – distribuent des brochures aux adolescents coiffés de chapeaux noirs.

Le mince feuillet bleu énumère « dix raisons de quitter la communauté ultra-orthodoxe » : fuir la rigidité d’un cadre oppressant, se réaliser professionnellement, gagner de l’argent, ou encore vivre librement sa sexualité.

« Je veux vous encourager à prendre vos propres décisions, à mener votre vie, au lieu de suivre les injonctions des rabbins », explique Naor Narkis à un ultra-orthodoxe – ou Haredi -, visiblement intrigué. L’échange se conclut par une poignée de main chaleureuse.

D’autres réagissent avec hostilité. « Venir dans une ville religieuse distribuer des tracts pour séculariser les ultra-orthodoxes, comme c’est écrit sur votre affiche, c’est une provocation ! », s’insurge une femme en désignant la bannière bleu et blanc du mouvement.

Stand de Hozrim BeTvuna, à Bnei Brak, en mai 2025. (Crédit : Alexandra Vardi)

Les discussions entre militants et passants se poursuivent dans une atmosphère contenue, jusqu’à l’arrivée de policiers. Ces derniers ordonnent au groupe de plier bagage, évoquant des « troubles à l’ordre public ».

« Nous avons reçu plusieurs appels », explique un officier.

Cette scène rappelle qu’au-delà de la guerre déclenchée par le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, un autre conflit agite la société israélienne : celui entre religieux et laïcs.

Les Haredim représentent environ 14 % des 10 millions d’Israéliens. Leur mode de vie est régi par des règles religieuses strictes, et ils vivent souvent en vase clos, au sein de communautés séparées. Avec un taux de natalité record de 6,4 enfants par femme, ils pourraient atteindre 32 % de la population d’ici 2065, selon les projections du Bureau central des statistiques (CBS). Une perspective démographique qui, selon Naor Narkis, menace l’équilibre du pays.

« Économiquement, ce n’est pas viable », tranche-t-il. Beaucoup d’hommes haredim ne travaillent pas, consacrant leur vie à l’étude religieuse dans les yeshivot (écoles talmudiques), grâce à des subventions publiques coûteuses. Cette situation maintient une large partie de la communauté dans la pauvreté. Elle est encouragée par les partis ultra-orthodoxes comme Shas et Yahadout HaTorah, devenus des alliés incontournables des coalitions au pouvoir. En échange de leur soutien, ils obtiennent une influence décisive, notamment sur des dossiers comme les transports ou l’éducation.

« L’État finance ainsi des écoles qui n’enseignent pas les mathématiques, l’anglais ou les sciences, limitant l’insertion professionnelle de leurs élèves. »

Un homme haredi plaçant des tefillin sur un soldat, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 25 juin 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Le fossé avec le reste de la société s’élargit, ajoute-t-il, notamment autour de l’épineuse question du service militaire, obligatoire en Israël. Les Haredim en ont longtemps été exemptés, et malgré l’annulation de cette dérogation par la Cour suprême, très peu ont rejoint les rangs de Tsahal – tandis que des centaines de jeunes soldats laïcs ou sionistes religieux sont tombés au combat depuis octobre.

Tsahal a indiqué avoir besoin de 12 000 nouveaux soldats pour répondre aux besoins en effectifs dans le cadre de la guerre en cours, dont 7 000 qui serviraient dans des unités de combat.

Actuellement, environ 80 000 Haredim âgés de 18 à 24 ans sont éligibles au service militaire et ne se sont pas enrôlés. Depuis juillet 2024, l’armée a envoyé 18 915 tzav rishon – ou premier ordre de conscription – aux membres de la communauté ultra-orthodoxe en plusieurs vagues, mais fin avril, seuls 232 d’entre eux s’étaient enrôlés, dont 57 dans des unités de combat.

Selon une étude réalisée en 2024 par l’Institut israélien de la démocratie (IDI), au moins 22 % des ultra-orthodoxes étudiant en yeshiva âgés de moins de 26 ans avaient un emploi l’été dernier, en violation des conditions de leur exemption du service militaire, désormais invalidée.

Illustration : Des ultra-orthodoxes étudiant à la Yeshiva Ponevezh, à Bnei Brak, le 27 février 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Jusqu’à récemment, les hommes ultra-orthodoxes en âge de faire leur service militaire pouvaient échapper à la conscription en s’inscrivant dans des yeshivot pour étudier la Torah et obtenir des reports d’un an jusqu’à l’âge de l’exemption militaire. Cependant, cette pratique a pris fin en juin dernier lorsque la Haute Cour a statué qu’il n’existait aucune base légale justifiant cette exemption en vigueur depuis des décennies.

Cette décision a suscité des demandes de plus en plus pressantes en faveur de l’adoption d’une loi qui rétablirait ces privilèges, ce qui pourrait faire tomber la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Pour Naor Narkis, cette situation met en péril l’avenir du pays : « Nous vivons dans un environnement hostile et nous devons rester forts, économiquement et militairement, nous ne pourrons pas survivre autrement », soutient-il.

Mais la dynamique démographique et politique met aussi en péril les fondements de la démocratie libérale israélienne, poursuit Naor Narkis. La vision du monde des Haredim, fondée sur la halakha (la loi juive orthodoxe), entre parfois en contradiction avec les principes pluralistes et égalitaires de l’État. Cela préfigure une société de demain où les droits individuels seraient fragilisés.

Des Juifs ultra-orthodoxes bloquent une autoroute lors d’une manifestation contre la conscription des étudiants de yeshivot dans Tsahal, à Bnei Brak, le 20 juin 2024. (Crédit : Jack Guez/AFP)

Pour le militant, il est urgent d’inverser la tendance. Et cela passe par l’éducation.

Naor Narkis a grandi dans une banlieue de Tel Aviv, au sein d’une famille laïque qui perpétue quelques traditions juives, comme le kiddoush du vendredi soir. À peine âgé de 18 ans, il voit sa sœur épouser un homme ultra-orthodoxe et partir s’installer à Bnei Brak. Elle met au monde huit enfants et rompt presque tout contact avec le reste de la famille. Seule leur mère est encore autorisée à lui rendre visite – à condition de porter une robe longue et des gants noirs.

Ce tournant familial le pousse à enquêter sur le quotidien de ses neveux en recueillant des témoignages d’anciens Haredim. Ce qu’il découvre le bouleverse : des enfants enfermés dans un système rigide, élevés dans la crainte permanente de transgresser les règles religieuses.

« Le système scolaire ultra-orthodoxe maintient délibérément les élèves dans l’ignorance en ne leur enseignant pas les matières fondamentales », dénonce-t-il.

« Devenus adultes, beaucoup ne savent ni rédiger un CV, ni ouvrir un compte bancaire, ni même épeler leur nom en anglais. »

Selon une étude publiée début mai par la chercheuse Nechumi Yaffe, de l’Université de Tel Aviv, elle-même issue de la communauté ultra-orthodoxe, environ 50 % des Haredim souhaitent s’intégrer à la société israélienne : rejoindre le marché du travail, étudier à l’université, et beaucoup seraient même prêts à servir dans l’armée. Mais leur ignorance des connaissances de base, combinée à une forte pression sociale, les en empêchent.

Des Juifs ultra-orthodoxes bloquant une rue pendant une manifestation contre l’obligation du service militaire aux abords de la ville de Bnei Brak, le 9 février 2022. (Crédit : Flash90/Dossier)

« Nous voulons leur tendre la main pour les aider à s’intégrer », commente Naor Narkis qui juge ce chiffre encourageant.

Grâce à une levée de fonds, Hozrim BeTvuna a pu acheter et distribuer environ 2 500 téléphones portables à des jeunes haredim – des outils simples mais puissants dans des milieux où l’accès à Internet est restreint.

Sur sa chaîne YouTube, il diffuse des contenus inspirés de la Haskala (« éducation »), courant juif des 18e et 19e siècles influencé par les Lumières : vidéos pédagogiques sur la théorie de l’évolution de Darwin, mais aussi conseils pratiques pour aller à un entretien d’embauche ou pour éviter un mariage arrangé…

En responsable marketing aguerri, Naor Narkis s’appuie sur les principaux réseaux sociaux prisés par la jeune génération – TikTok, Instagram, X et Facebook – et tente d’élargir son audience en multipliant les interventions sur les plateaux télé.

Des efforts qui portent leurs fruits, dit-il, graphiques à l’appui. Certaines vidéos frôlent le million de vues.

« Je reçois chaque jour des dizaines de messages de jeunes Haredim de tout le pays qui demandent des conseils », poursuit-il.

A LIRE : Un rabbin prévoit de créer un parti en faveur de l’enrôlement et de l’éducation laïque des Haredim

À ceux qui l’accusent de vouloir détruire la société ultra-orthodoxe – voire d’antisémitisme – Naor Narkis rétorque qu’il respecte les convictions de chacun mais souhaite offrir une « alternative » à ceux qui aspirent à un autre mode de vie.

« Nous n’essayons pas de changer leur foi mais voulons les inciter à faire leurs propres choix. »

Désireux d’élargir le débat sur la place de la religion dans la société, il envisage désormais de se lancer en politique et de se présenter sous la bannière du parti « Les Démocrates » aux élections législatives de 2026.

Sam Sokol a contribué à cet article.

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