Sánchez : la réaction d’Israël au 7 octobre « met à terre des décennies de droit humanitaire »
Le Premier ministre espagnol a par ailleurs déclaré que la reconnaissance d'un Etat palestinien était "dans l'intérêt géopolitique de l'Europe"
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, qui tente de rallier d’autres capitales européennes à l’idée d’une reconnaissance d’un Etat palestinien, a estimé mercredi qu’elle était « dans l’intérêt de l’Europe » et dénoncé de nouveau la « réponse disproportionnée » d’Israël dans la bande de Gaza.
« La communauté internationale ne pourra pas aider l’Etat palestinien si elle ne reconnaît pas son existence », a-t-il déclaré devant les députés espagnols. « C’est dans l’intérêt géopolitique de l’Europe », a ajouté M. Sánchez, en réaffirmant que Madrid était « prête » à le faire mais sans toutefois donner de date précise.
« La réponse absolument disproportionnée du gouvernement israélien à l’attaque terroriste du Hamas met à terre des décennies de droit humanitaire et menace de déstabiliser le Moyen-Orient et en conséquence le monde entier », a-t-il lancé.
Les critiques récurrentes de M. Sánchez ont entraîné une vive tension diplomatique entre les deux pays, Israël ayant rappelé temporairement en novembre son ambassadrice en Espagne pour protester contre des propos jugés « scandaleux » du Premier ministre espagnol, qui avait indiqué avoir de « sérieux doutes » quant à la légalité de l’offensive dans la bande de Gaza.
Selon l’ancien directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Liel, une reconnaissance par l’Espagne d’un Etat palestinien pourrait « déclencher une dynamique » et « déboucher sur une reconnaissance globale par l’Europe et les Nations Unies ».
Dans une note publiée mardi par l’Institut Royal Elcano, un centre de réflexion basé à Madrid, ce diplomate a ajouté que Madrid deviendrait alors, selon lui, « un acteur significatif dans le cadre d’un nouvel élan diplomatique dans le conflit israélo-palestinien ».
Selon des médias l’ayant accompagné lors d’une tournée la semaine dernière en Jordanie, en Arabie saoudite et au Qatar, le dirigeant socialiste avait alors évoqué la fin du mois de juin comme horizon pour une telle reconnaissance par le gouvernement espagnol.
La reconnaissance d’un Etat palestinien par l’Espagne, qui n’a établi des relations diplomatiques avec Israël qu’en 1986, se ferait sur la base d’une résolution qui a été adoptée en 2014 sous un gouvernement conservateur, par l’ensemble des formations politiques représentées au Parlement, mais n’a pas été suivie d’effet.
Mais la volonté de M. Sánchez, qui évoque une telle reconnaissance depuis le mois de novembre, est d’agir de manière coordonnée avec d’autres Etats membres.
Fin mars, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, il avait ainsi publié une déclaration commune avec ses homologues irlandais, maltais et slovène dans laquelle les dirigeants se disaient « prêts à reconnaître la Palestine », lorsque cela pourra « apporter une contribution positive » à la résolution du conflit israélo-palestinien.
Nouvelle tournée en Europe
Et à partir de jeudi, il va entreprendre une nouvelle tournée en Pologne, en Norvège et en Irlande, avant de se rendre la semaine prochaine en Slovénie puis de recevoir son homologue portugais pour parler encore une fois de la « nécessité d’avancer vers la reconnaissance de la Palestine », a indiqué mardi la porte-parole du gouvernement espagnol, Pilar Alegría.
D’après l’Autorité palestinienne, quelque 137 pays sur les 193 Etats de l’ONU ont fait part de leur reconnaissance d’un Etat palestinien.
Mais dans l’UE – à part la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie et Chypre qui l’avaient fait avant de rejoindre le bloc -, seule la Suède, qui compte une importante communauté palestinienne, l’a fait en 2014.
Voix la plus critique au sein de l’UE vis-à-vis d’Israël, M. Sánchez, qui gouverne en coalition avec l’extrême gauche, a de nouveau émis de vives critiques mercredi à l’encontre du gouvernement de Benjamin Netanyahu, comme il le fait depuis le début du conflit à Gaza.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé 3 000 terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 253 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza.
Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.
On estime que 129 des 253 otages enlevés par le Hamas et ses complices le 7 octobre sont encore à Gaza, mais au moins 34 ne sont plus en vie.
Géographiquement proche du Maghreb, l’Espagne s’est tournée vers les pays arabes durant la dictature de Franco (1939-1975) afin de contourner son isolement en Occident – une diplomatie dite de « substitution » longtemps cultivée par Madrid, rappelle Juan Tovar, professeur à l’université de Burgos.
Ce n’est qu’en 1986, en outre, que le pays a établi des relations officielles avec Israël. La conséquence de tensions nées de l’opposition de l’Etat hébreu à l’entrée dans l’ONU de l’Espagne au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en raison de sa proximité avec l’Allemagne nazie, rappelle Isaías Barreñada, professeur à l’Université Complutense de Madrid.
Madrid est ensuite allé jusqu’à jouer les médiateurs, accueillant ainsi en 1991 une Conférence de paix, avec pour la première fois l’ensemble des parties arabes en conflit direct avec l’Etat hébreu: Palestiniens, Syriens, Jordaniens et Libanais.
Deux ans après cette conférence, les accords d’Oslo, à travers lesquels Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) se reconnaissaient mutuellement, étaient signés à Washington.
Mais globalement, l’Espagne reste perçue par de nombreux acteurs comme pro-arabe.