Percer la logique de Netanyahu sur le gaz, et celle de ses opposants
Ayant échoué à la Knesset, le Premier ministre tente une nouvelle stratégie pour faire passer sa réglementation : nous dire ce qu'elle ne contient pas
Ce ne fut pas par hasard que le gouvernement Netanyahu a choisi mardi pour rendre enfin public, après des mois d’acrimonie et de critique, son accord de compromis avec le consortium de gaz qui détient un monopole sur les abondants champs de gaz naturel d’Israël.
Autrement dit, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait épuisé toutes les autres options.
Lundi soir, alors qu’il tentait de faire passer un vote de procédure à la Knesset, qui lui aurait effectivement donné le pouvoir d’approuver l’accord sans entrave, Netanyahu a découvert que la campagne publique contre l’accord sur le gaz l’avait rendu tellement toxique qu’il ne pouvait même plus compter sur ses propres ministres du Likud pour le soutenir.
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En 23 heures, Netanyahu a réalisé qu’il lui manquait une majorité parlementaire et a donc repoussé d’un mois la date du vote.
Et pour faire bonne mesure, il a accepté de révéler aux Israéliens ce que l’accord contenait.
Netanyahu a peut-être cru que le maintien du contenu de l’accord sous le boisseau dans les derniers mois était politiquement futé. Mais cette décision s’est retournée contre lui. Le fait qu’il ait essayé de faire passer au Parlement et au cabinet une vaste réforme traitant de la plus grande ressource naturelle du pays sans rendre publique – pas même aux députés, hormis un petit cercle de ministres de premier plan – ses dispositions est devenu la preuve dont avaient besoin ses adversaires pour le dépeindre comme vendant les ressources de la nation à des sociétés cupides.
Les deux plus grands champs de gaz, Tamar et Léviathan, ont été découverts respectivement en 2009 et 2010. Cinq ans plus tard, seul Tamar est développé et pompe du gaz au large d’Israël ; la canalisation de Tamar est actuellement la seule source de gaz naturel du pays.
Pendant ce temps, Tamar, Léviathan et les petits champs de Tanin et Karish – dans les faits, toute l’alimentation en gaz domestique d’Israël pour l’avenir prévisible – sont contrôlés par un partenariat étroit comprenant principalement deux entreprises – Noble Energy des Etats-Unis et Delek, un groupe israélien.
Le débat sur ce duopole, et plus largement sur l’utilisation par Israël de sa nouvelle richesse naturelle, a mijoté à feu doux jusqu’à décembre 2014, lorsque le directeur de l’autorité antitrust, le professeur David Gilo, a jugé qu’un compromis soutenu par le gouvernement – qui cherchait à réduire le contrôle de la société Noble-Delek sur la fourniture de gaz – était lui-même anticoncurrentielle.
La décision a servi de catalyseur, attirant l’attention soudaine et intense des médias sur la question de savoir qui contrôle la fourniture de gaz et ce que pourraient être les conséquences pour les Israéliens.
Dans les mois qui ont suivi, Netanyahu a décidé de contourner la décision de Gilo et de promouvoir l’accord malgré les objections de David Gilo.
Mais cette stratégie de bulldozer, ainsi que le secret qui enveloppait encore le compromis, ont rendu cette nouvelle ligne tellement toxique politiquement que les principaux ministres, tout en ne contestant pas Netanyahu purement et simplement, ont hésité à prendre leurs responsabilités.
Cela aurait pu se terminer autrement. Selon la loi antitrust israélienne, le ministre de l’Economie, un poste actuellement occupé par le président du Shas Aryeh Deri, peut suspendre les règles antitrust, s’il juge qu’un monopole particulier est par exemple important pour la sécurité nationale ou les intérêts diplomatiques d’Israël.
Mais la semaine dernière, ne voulant pas utiliser le pouvoir que lui confère la loi pour approuver l’accord sur le gaz, Deri a pris la remarquable initiative d’informer le cabinet de sécurité qu’il voulait être entièrement dépouillé de ce pouvoir.
Transférer ce pouvoir du ministre de l’Economie vers le cabinet nécessite un changement dans la loi, et c’était cette loi que la Knesset s’apprêtait à discuter lundi.
En d’autres termes, le fait même que l’accord sur le gaz ait atteint la Knesset – le cabinet n’a pas besoin de l’approbation de la Knesset pour signer des contrats avec des sociétés d’énergie étrangères, même si ce sont des monopoles – était en soi un signe sur la mauvaise façon dont Netanyahu argumentait .
Lundi, alors qu’il travaillait pour consolider sa coalition avant le vote, il est devenu clair pour le Premier ministre que même son propre cabinet ne pouvait pas être compté pour le vote. Le ministre des Finances, Moshe Kahlon, celui du Logement, Yoav Galant, et celui de l’Environnement, Avi Gabai (lequel n’est pas député, mais dispose d’une voix au gouvernement), et même deux ministres du Likud, le numéro deux du parti Gilad Erdan et le ministre de l’Intérieur, Silvan Shalom, recherchaient tous des moyens pour éviter de voter lundi.
Le président d’Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, naguère un allié de Netanyahu, a dit tout haut ce que de nombreux partenaires de la coalition de Netanyahu chuchotaient seulement : bien que soutenant l’accord lui-même, son parti voterait « non » lundi.
Comme il l’a expliqué aux journalistes lors de la réunion de son groupe parlementaire lundi après-midi, il ne pouvait pas soutenir un transfert de compétences entre les divers organes du gouvernement dans le seul but de permettre aux ministres « de se soustraire à leurs responsabilités (…) Nous ne sommes pas les baby-sitters de la coalition ».
Netanyahu a tout essayé, rencontré des ministres et des députés, et même essayé de faire du vote de lundi un vote de confiance de la coalition, obligeant les ministres à choisir entre un « oui » et la possible déstabilisation du gouvernement.
Rien n’a marché. Il n’avait tout simplement pas les voix suffisantes pour le transfert de l’autorité de Deri au Cabinet. Et il ne restait à Netanyahu que peu de choix.
Mardi après-midi, le ministre de l’Énergie, Yuval Steinitz, un fidèle de Netanyahu (c’est l’une des principales raisons pour lesquels il a reçu le maroquin de responsable des négociations sur le gaz), a tenu la conférence de presse tant attendue où il a exposé en détail le compromis du gouvernement avec les compagnies de gaz.
Le gouvernement va maintenant écouter les commentaires du public pendant trois semaines, après quoi la Knesset devra voter à nouveau sur le transfert du pouvoir, et, dans environ un mois, le cabinet votera sur l’accord lui-même.
La position du gouvernement
La principale critique avancée par Gilo et d’autres est qu’un seul partenariat d’entreprises contrôle tous les champs de gaz, et cela signifie que grâce à ce monopole de facto, ces sociétés seront en mesure d’imposer des prix exorbitants aux consommateurs israéliens. Noble-Delek détiennent ensemble une participation de 67 % du champ de Tamar et même de 85 % dans le grand Léviathan. Ils possèdent 100 % de Tanin et Karish.
La solution du gouvernement, présentée par Steinitz, est double: diviser les champs de gaz entre différents propriétaires et imposer certains contrôles limités sur les prix de vente de gaz domestique.
Selon le plan, Delek et Noble devront abandonner le contrôle de Tamar en 2021, et auront jusqu’à juillet 2019 pour amener le gaz de Léviathan sur le marché. « C’est aussi rapide que la technologie le permet », note Steinitz.
Delek va vendre la totalité de sa participation de 31 % dans Tamar d’ici six ans, « mais nous pensons que cela sera vendu plus rapidement, d’ici 3-4 ans », a dit Steinitz. Noble vendra une partie de sa participation de 36 %, en gardant une participation globale de 25 % mais perdra tout pouvoir de veto. « Noble exploite [le champ Tamar]», a déclaré Steinitz. « Il ne peut pas se retirer entièrement. »
Les deux sociétés seront également tenues de vendre Karish et Tanin dans les 14 mois suivant l’approbation de l’opération par le cabinet, et de proposer des clauses de sortie aux clients israéliens qui leur permettent de mettre fin à leurs contrats avec Noble-Delek lorsque le gaz de Tanin-Karish viendra sur le marché.
Ces deux dispositions sont destinées à garantir que Noble-Delek trouvent effectivement un acheteur. Les sociétés d’énergie ne sont pas susceptibles d’investir dans le développement des champs Tanin-Karish si elles croient qu’elles ne pourront pas vendre le gaz en Israël après que Noble et Delek ont eu des années pour verrouiller le marché avec des contrats à long terme.
Dans le même temps, l’accord exige également que les nouveaux propriétaires de Tanin-Karish vendent leur gaz exclusivement sur le marché israélien, garantissant que les plus petits champs deviennent réellement des concurrents à Tamar et Léviathan, une fois qu’ils seront développés.
La critique de ce cadre est évidente, et elle a été entendue rapidement mardi, lorsque les politiciens et d’autres ont montré que l’accord permettra à Noble-Delek de continuer à contrôler le marché du gaz, à des degrés divers, pendant les années à venir.
En juillet 2019, Delek et Noble vendront le gaz de Leviathan, mais pourront garder le contrôle de Tamar jusqu’en 2021. La vente de Tanin et Karish est bien belle, mais les deux champs détiennent ensemble environ 10 % du gaz du seul Léviathan, et leur développement prendra des années.
L’accord permet également à Delek et Noble de rester des partenaires dans Leviathan pendant 10 ans après son développement – environ 15 années à partir d’aujourd’hui – avant que le gouvernement n’ait le droit de les forcer à vendre du gaz du champ indépendamment et en concurrence avec un autre.
En d’autres termes, le monopole actuel Noble-Delek se maintiendra jusqu’en 2021, date à laquelle ils céderont une partie du contrôle du champ Tamar, plus petit et partiellement épuisé, en faveur du plus grand Léviathan, encore vierge, dont ils pourront contrôler la fourniture du gaz, sans concurrence interne peut-être jusqu’en 2029.
Le gouvernement a rapidement offert deux réponses à la critique.
Tout d’abord, il y a la deuxième partie de l’accord sur le gaz : le contrôle des prix. Alors que le gouvernement a refusé de simplement fixer le prix du gaz provenant de Tamar, arguant que cela était inefficace et nuisible à la fois au marché et à la possibilité que de futurs prospecteurs viennent forer à nouveau en territoire israélien, il a accepté un plafond sur le prix de vente du gaz.
« Jadis le gouvernement fixait les prix pour le fromage », a expliqué le principal conseiller économique de Netanyahu, le professeur Eugene Kandel, lors de la conférence de presse de mardi. « Lorsque nous avons ouvert le marché à la concurrence, le coût de fromage a diminué de 30 %. » Ceci dit, les gouvernements sont mauvais pour prédire les prix du marché, note Kandel.
Au lieu de cela, le gouvernement fait le choix moins intrusif de fixer un plafond d’environ 5,40 dollars de prix par million de BTU – un prix de milieu de gamme sur le marché européen, mais plus élevé que les prix observés en Amérique du Nord, selon le gouvernement.
Il va également lier le prix des ventes domestiques à celui des exportations.
« Si l’une des entreprises [de gaz] vend le gaz moins cher à l’étranger » – les entreprises peuvent exporter jusqu’à 40 % du gaz qu’elles tirent de la mer – « à partir de ce moment elle doit l’offrir ici au même prix », a annoncé Steinitz.
En d’autres termes, le gouvernement ne va pas fixer un prix mais il n’acceptera pas que le gaz d’Israël soit vendu localement à un prix plus élevé qu’à l’étranger.
Toute entreprise qui souhaite bénéficier de l’exportation du gaz – et c’est le cas de tous les partenaires dans les consortiums de gaz – devra désormais offrir ses prix internationaux compétitifs également aux Israéliens également.
La deuxième réponse de Steinitz au problème du monopole fut moins explicite, peut-être parce qu’elle est politiquement moins acceptable. Leviathan est un champ gazier en eau profonde, ses émissions de gaz sont situées à quelque 1 700 mètres sous la surface et est donc cher à développer.
Le coût du développement de Leviathan pour atteindre sa pleine capacité devrait atteindre près de 15 milliards de dollars, selon Steinitz, « plus que le budget entier de la défense d’Israël. Et ces investissements ne commencent à payer que quatre ou cinq ans plus tard. Cela n’est pas une entreprise normale. Il doit y avoir une stabilité réglementaire pour convaincre les entreprises de venir investir ici. Nous sommes donc parvenus un accord qui offre cette stabilité réglementaire, au moins pour la prochaine décennie. »
Le chaos dans la politique gazière d’Israël jusqu’ici a effrayé les autres entreprises de prospection, a-t-il ajouté.
« Beaucoup d’entreprises forent au Canada et aux États-Unis, quatre ou cinq entreprises internationales font du forage à Chypre et au Liban. En Egypte, ils sont retournés au forage. Mais en Israël, où les champs de gaz massifs ont déjà été trouvés, aucune société internationale n’a été disposée à venir et à creuser ces cinq dernières années. »
Sous le régime de contrôle des prix stipulé par l’accord, avec des délais serrés pour le développement et la diversification de la propriété dans les différents domaines et compte tenu des immenses coûts initiaux pour les compagnies de gaz, il était important de permettre à Noble et Delek de continuer l’extraction du gaz et qu’ils puissent en bénéficier dans les années suivantes, a soutenu Steinitz. Une intervention plus intrusive du gouvernement ne ferait que garantir « que personne ne viendra et développera » les champs de gaz d’Israël.
Pas de changement de stratégie
Le contrôleur d’Etat, Yossef Shapira, a annoncé peu de temps après la conférence de presse de Steinitz qu’il allait demander au cabinet de retarder son vote sur l’accord (prévu dans environ un mois) parce que son bureau se préparait à publier son propre rapport sur la question.
Le député de l’Union sioniste, Eitan Cabel, qui préside la commission de l’Economie de la Knesset, a promis de réfléchir à ce qu’il a appelé « le cadre proposé ».
« Dans les prochains jours, je vais convoquer la commission de l’Economie pour sa première discussion sur le cadre proposé. Le Premier ministre, le ministre de l’Energie et Yitzhak Techouva [qui appartient Delek Group] seront les premiers à présenter leurs points de vue à la commission ».
Deri était soulagé : « Je suis heureux que la décision a été prise de présenter l’accord gazier à la population, et bien sûr aux membres de la Knesset aussi, dans son intégralité et en toute transparence », a-t-il déclaré.
Mais malgré toute cette excitation, la nouvelle stratégie d’ouverture reste finalement un geste de relations publiques. Netanyahu reste déterminé à présenter l’accord au cabinet aussi rapidement et efficacement que possible.
« Ce cadre brise le monopole du gaz et apportera des centaines de milliards de shekels dans les caisses de l’Etat, pour la sécurité sociale, la santé, l’éducation et pour de nombreux autres besoins des citoyens d’Israël », a déclaré Netanyahu, après une rencontre avec le ministre italien des Affaires étrangères mardi, quelques heures seulement avant la conférence de presse de Steinitz.
Il a poursuivi sa route contre le « populisme croissant » de ses détracteurs. « Personne [parmi eux] n’a effectivement examiné le cadre », a-t-il noté, sans s’ attarder sur son rôle pour les empêcher de le faire.
« Je ne cède jamais face au populisme », a-t-il poursuivi. Une fois le contenu de l’accord rendu public, « je ferais confiance au bon sens des citoyens d’Israël et j’attends de la responsabilité des représentants du public. Nous ferons tout pour que ce gaz sorte de l’eau ».
Steinitz lui-même est allé plus loin. Interrogé par un journaliste sur ce que le gouvernement ferait si la Knesset n’approuvait pas le transfert des pouvoirs anti-concurrence de Deri au cabinet, Steinitz a refusé d’exclure la possibilité que le gouvernement puisse enterrer la mesure dans un ensemble de projet de lois présenté dans le cadre du processus du budget de l’Etat.
« Coûte que coûte », a-t-il affirmé, passant à l’anglais, l’affaire passerait. « Cette question est si grande, si significative, si importante, que je ne peux pas accepter que pendant que je suis ministre de l’Energie, le gaz reste dans l’océan. Nous allons protéger les intérêts d’Israël et de ses citoyens, leurs intérêts réels, avec tous les moyens légaux à notre disposition. »
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