Polémique suite à la campagne d’affichage d’un roman se déroulant à Auschwitz
Des publicités sont apparues sur les murs du métro parisien, témoignant d’une sorte de commercialisation macabre et d'une "trivialisation" de la mémoire de la Shoah
Un livre publié le 6 janvier dernier en France a fait polémique sur les réseaux sociaux ces derniers jours : Le Tatoueur d’Auschwitz, de la Néo-Zélandaise Heather Morris.
Des publicités sont apparues sur les murs du métro parisien, témoignant d’une sorte de commercialisation macabre et d’une « trivialisation » de la mémoire de la Shoah.
La publicité, sur fond rayé bleu et blanc, cherche à imiter la tenue des déportés. On y voit un fil barbelé se nouer pour former un cœur. L’écriteau « Déjà 4 millions de lecteurs » est surimprimé sur une image du mirador central d’Auschwitz. En bas, le slogan : « Un roman d’amour inspiré d’une histoire vraie. »
« Je suis sincèrement désolée si cette publicité a blessé », a réagi auprès du Monde Hélène Fiamma, directrice des éditions J’ai lu. « Mais je suis très surprise par cette polémique. Nous avons eu plusieurs réunions d’équipe. L’éventualité que le visuel choisi puisse paraître déplacé n’a pas été envisagée une seule seconde. »
Auschwitz en bleu layette ds les couloirs du métro c’est en 2021 et c’est à Paris : Trivialisation, banalisation … bref surtout dégoût intense ????????Le cœur en barbelé : enquête sur une stupéfiante publicité pour un roman sentimental situé à Auschwitz https://t.co/PF6CBQGKEF
— Laurence Haguenauer (@HaguenauerL) February 4, 2021
« C’est une histoire qui a eu lieu », a ajouté l’éditrice. « L’autrice, qui a rencontré le protagoniste masculin, a écrit l’histoire de ces deux êtres, tout en prenant quelques libertés avec la vérité historique, tout simplement parce qu’elle n’est pas historienne. »
En 2018, à la sortie originale du livre, Memoria, le magazine du Mémorial d’Auschwitz, avait relevé de nombreuses erreurs et approximations dans le roman, donnant « une vision globale fausse de la réalité du camp ». « Quel roman se déroulant dans un contexte historique précis ne comporte pas son lot d’erreurs ? », répond Hélène Fiamma.
« Faire de la fiction avec la Shoah ne me pose aucun problème, du moment que l’histoire est bien traitée », a estimé l’historien Tal Bruttmann. « Un roman n’a pas à dire le vrai. Mais il doit dire le vraisemblable. Les bandes dessinées X-Men, et les films qui s’en sont inspirés, mettaient en scène Auschwitz d’une manière qui respectait la vérité historique, alors que c’est de la science-fiction. Ici, rien n’est vraisemblable. Tout ce qui est rapporté sur le camp est à peu près faux. Je ne vois pas en quoi le fait d’écrire n’importe quoi va permettre de découvrir Auschwitz. C’est un drôle de mépris pour le grand public. »
Au sujet des publicités dans le métro, il affirme : « On n’aurait pas imaginé une telle campagne d’affichage il y a ne serait-ce que dix ans. Ce qui est nouveau, c’est la façon dont cette trivialisation est assumée et revendiquée. »
« Cette affiche est une catastrophe. Elle relève de ce que l’écrivaine Ruth Klüger [1931-2020], rescapée d’Auschwitz, appelait le ‘kitsch concentrationnaire’ », a elle réagi Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire-géographie et membre de la commission « Enseignement de la Shoah » à la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
« Que se serait-il passé si Marceline Loridan-Ivens ou Simone Veil avaient vu cette publicité ? Je crois que ça aurait gueulé », dit Tal Bruttmann. « Oui, je pense que ça aurait été assez ébouriffant. » Un signe que le travail et le devoir de mémoire restent plus important que jamais.