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Analyse

Pour Netanyahu et Gantz, une humble proposition pour éviter un nouveau scrutin

L'idée immédiate d'un historien pourrait-elle mettre un terme à l'impasse et donner à tous ce qu'ils clament vouloir : l'unité et la stabilité d'une nation polarisée ?

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

La photo composite montre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à gauche), et le chef du parti Kakhol lavan, Benny Gantz, (à droite). (Flash90)
La photo composite montre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à gauche), et le chef du parti Kakhol lavan, Benny Gantz, (à droite). (Flash90)

Dans son intervention de samedi soir sur les nouvelles directives décidées dans la crise du coronavirus, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré aux Israéliens qu’il livrait « des efforts considérables » pour conclure un accord qui permettrait la mise en place un gouvernement d’unité avec le chef de Kakhol lavan, Benny Gantz.

« Personne ne le désire plus que moi », a-t-il assuré, « parce que j’ai vu l’agent pathogène du coronavirus galoper dans notre direction, et je sais qu’il restera là dans un avenir proche. Dans ces conditions, je sais que le pays a besoin d’un gouvernement large et stable… J’ai considéré et je considère encore qu’un gouvernement d’unité nationale d’urgence est une facette cruciale de notre victoire dans cette guerre », a-t-il ajouté.

C’est un sentiment noble. Un problème néanmoins : personne, ni Benny Gantz, ni les partis haredim qui se sont tenus fermement aux côtés de Netanyahu depuis des années, ni même les ministres du cabinet issus de son parti du Likud ne le croient.

Le débat qui anime les responsables politiques et les spécialistes israéliens ne porte pas sur la quête réelle d’un accord d’unité de la part de Netanyahu, mais sur les calculs spécifiques qui l’amènent à éviter d’un trouver un.

A-t-il vu les sondages montrant qu’il aurait dorénavant la force d’écraser la sphère centriste politique, dorénavant brisée, et qu’il mise donc dorénavant sur un quatrième scrutin, qui aura automatiquement lieu si personne ne doit être choisi comme Premier ministre d’ici le 7 mai ? (Cela va sans dire que personne ne va déclarer ouvertement son intention d’entraîner une nation en proie à la crise du coronavirus vers un quatrième cycle électoral consécutif en avançant vers ce précipice et que tout un chacun préférera clamer sa profonde aversion pour cette possibilité. De la politique politicienne, en somme).

Ou, comme l’affirment d’autres, a-t-il souhaité signer un accord il y a deux semaines, avant qu’il n’en soit dissuadé par l’indignation de sa base de droite ?

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu tient une conférence de presse au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 16 mars 2020. (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)

Il y a aussi la brûlante question des mises en examen de Netanyahu (son procès devrait commencer au mois de mai) et la volonté de ses adversaires de l’écarter de la course en déclarant illégale la présence d’un homme inculpé pour corruption au poste de Premier ministre.

Benny Gantz soupçonne Netanyahu d’avoir reporté les négociations de manière répétée afin de laisser passer suffisamment de temps pour exclure la possibilité que cette loi soit approuvée.

Netanyahu pourrait bien tenter d’éviter une élection en attirant au moins deux parlementaires siégeant actuellement dans l’opposition (comme la faction Derech Eretz) pour les rallier à son bloc de 59 sièges, ce qui lui donnerait la majorité nécessaire de 61 députés au Parlement – mais un tel gouvernement serait ingérable et devrait affronter un Gantz trahi – mais qui occupe néanmoins le poste de président puissant et inamovible de la Knesset.

Pas la peine de se demander pourquoi un si grand nombre de personnes sont pessimistes. Pas la peine de se demander pourquoi les deux parties insistent devant les journalistes sur le fait qu’un accord d’unité est pratiquement conclu mais qu’en même temps, il pourrait s’avérer mort-né ; qu’un large gouvernement d’unité est vital et que simultanément, ni Netanyahu ni Gantz ne craignent un nouveau passage devant les électeurs.

C’est un nœud gordien créé par un Netanyahu qui ne semble pas, en réalité, convaincu qu’il faille un gouvernement d’unité pour prendre en charge la crise du coronavirus. Il pourrait l’avoir cru il y a trois semaines mais, jusqu’à présent, il semble avoir géré la situation de manière suffisamment appropriée – ou, comme il l’affirme dans des déclarations à la presse, de façon étonnamment et excessivement réussie.

Et s’il y avait finalement un moyen autre qu’un quatrième scrutin anticipé pour sortir de l’impasse ? Et s’il y avait une solution simple qui soit susceptible d’éviter les écueils des options actuellement envisagées, comme ce fameux quatrième tour ?

Le marché de Mahane Yehuda, vide, à Jérusalem, le 29 mars 2020. (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Une solution est possible : l’annulation de l’Article 11 de la Loi fondamentale : le gouvernement.

Cette idée circule dans la sphère politique depuis plus d’une semaine et a même fait l’objet d’un projet de loi qui a été proposé, jeudi, par la formation Yisrael Beytenu dans le cadre d’une série de cinq projets législatifs anti-Netanyahu.

C’est l’Article 11 qui est responsable des échecs consécutifs de formation d’un gouvernement au cours de l’année passée, lesquels ont contraint le pays à de nouvelles élections à répétition. Il établit le nombre de semaines accordées pour tenter de mettre en place une coalition et décrète la dissolution de la Knesset en cas d’échec dans le délai imparti.

L’Article 11 est à l’origine des problèmes qui ont été rencontrés l’année dernière et de l’influence gagnée aujourd’hui par Netanyahu sur Gantz. Il a également donné à Netanyahu la possibilité de se laisser aller à la tentation – difficile d’y résister – d’appuyer tout simplement sur le bouton « recommencer » des élections à chaque fois que les votants se sont révélés dans l’incapacité de lui donner l’issue la plus satisfaisante à ses yeux.

« Le plus important, c’est de mettre un terme à l’hémorragie » des dissolutions du Parlement en série et de l’organisation de nouvelles élections, explique le professeur Alexander Yakobson, historien à l’université Hébraïque qui a le premier soumis cette idée.

Le professeur Alexander Yakobson de l’université hébraïque (Autorisation)

Ce dernier a fait part de son idée à son collègue Yossi Shain, professeur et chef de la faculté de sciences politiques à l’université de Tel Aviv, il y a deux semaines. Celui-ci s’est alors tourné vers des personnalités politiques pour leur suggérer cette possibilité, amenant le dirigeant de Yisrael Beytenu, Avidgor Liberman, à en discuter en détail avec Alexander Yakobson par téléphone.

La suggestion initiale de l’enseignant était de remplacer l’Article 11 par une disposition stipulant que « la Knesset a le pouvoir de déterminer la manière dont le prochain gouvernement sera construit et si elle échoue pendant un an à décider d’un gouvernement, alors de nouvelles élections seront organisées. »

Mais Alexander Yakobson a ensuite consulté son mentor de longue date et lauréat du prix d’Israël, le professeur Amnon Rubinstein, spécialiste de la constitution et auteur de deux des Lois fondamentales du pays.

« Amnon a dit qu’il y avait un moyen encore plus facile : abroger tout simplement l’Article 11 ».

Stabilité et unité

Abandonner l’Article 11 renforcerait Gantz en ôtant à Netanyahu tout espoir de pouvoir jouer contre la montre puisqu’il n’y aurait plus de montre.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu se prépare à voter dans un bureau de vote à Jérusalem, le 17 septembre 2019. (Heidi Levine, Sipa, Pool via AP).

Cela préserverait également Netanyahu en tant que Premier ministre pendant la crise du coronavirus, ce qui garantirait la stabilité demandée par toutes les parties de façon si sérieuse, Netanyahu y compris.

Celui-ci n’obtiendra probablement pas une majorité de 61 sièges pour décider par lui-même de dissoudre la Knesset. Les factions dont il a besoin pour remporter une telle majorité – Gesher et Derech Eretz, par exemple – disparaîtraient de la carte s’il devait y avoir un nouveau vote. Même une promesse de les laisser se présenter sur une liste conjointe avec le Likud, ce qui garantirait leur entrée à la 24e Knesset, serait difficile à vendre à Yoaz Hendel et Zvi Hauser de Derech Eretz – deux hommes qui ont tous deux de grandes raisons de se méfier du Premier ministre.

Gantz, lui aussi, ne pourrait pas compter sur une majorité suffisante pour forcer de nouvelles élections – dans la mesure où un grand nombre de ses alliés (et en particulier Derech Eretz et le Parti travailliste) craindraient, là encore, de ne pas franchir le seuil d’éligibilité.

Les soutiens les plus fervents de Netanyahu peuvent faire part de leur mécontentement en disant qu’une telle initiative le priverait d’une victoire attendue dans un quatrième scrutin. Là encore, l’attente de 90 jours séparant le 7 mai de la journée des élections est un temps long en politique, en particulier à un moment où le chômage grimpe en flèche et où les frustrations s’aiguisent avec le confinement de masse imposé par le gouvernement face à la pandémie actuelle.

Un plénum presque vide, en raison des restrictions contre le coronavirus, lors de la prestation de serment de la 23e Knesset, le 16 mars 2020. À gauche, Benny Gantz. Au centre, de dos, Benjamin Netanyahu. (Gideon Sharon/ Porte-parole de la Knesset)

Là encore, abroger l’Article 11 serait sans doute préférable aux amendements constitutionnels actuellement proposés et qui visent personnellement Netanyahu. Les factions anti-Netanyahu ont une réflexion éthique valable pour justifier leur volonté d’interdire à un député mis en examen de devenir Premier ministre (Netanyahu, dans le passé, avait lui-même soutenu un tel projet de loi – avant qu’il n’occupe lui-même le poste de chef du gouvernement). Mais de tels changements constitutionnels n’entrent habituellement en vigueur qu’avec retard, afin d’éviter la pratique éthiquement douteuse de modifier les règles du jeu électorales au beau milieu d’un processus de renouvellement d’un gouvernement dans le but de disqualifier un adversaire de la course.

La seule loi « anti-Netanyahu » qui pourrait passer

Après le scrutin du mois de mars, Gantz était à la tête d’une majorité mince et informelle qui n’était unie que par son dégoût commun de Netanyahu. Cette majorité a dorénavant explosé. L’ancien chef d’état-major a divisé son alliance en se mettant en quête d’un accord d’unité avec Netanyahu ; une députée, Orly Levy-Abekasis du parti Gesher, a déserté le camp et rejoint le Likud, et d’autres, notamment Hendel et Hauser de Derech Etzer, considèrent dorénavant que leur avenir politique ne repose pas sur le centre gauche et ont d’ores et déjà rejeté l’idée d’écarter Netanyahu par le biais d’un décret législatif.

La majorité favorable à une législation anti-Netanyahu s’est presque certainement évaporée.

Mais il reste probablement une majorité, parmi les parlementaires siégeant aujourd’hui, qui souhaite au moins préserver la 23e Knesset. Ceux qui disparaîtraient en cas de nouveau scrutin – le Parti travailliste, Gesher, Derech Eretz — soutiendraient cette idée. Les adversaires de Netanyahu le préfèrent sûrement dans sa force actuelle que dans sa force probable post-électorale en cas de nouveau vote.

Et un grand nombre de ses alliés, des partis haredim à Yamina, et c’est également le cas de nombreux membres du Likud, craignent la colère potentielle d’un électeur qui, au mois d’août, pourrait être finalement plus révolté par la politique mesquine dans un contexte de dure récession économique qu’impressionné par les talents de gestion d’urgence du Premier ministre.

Liberman a averti dans un communiqué dimanche que lundi constituait le dernier jour pour que Gantz se décide à présenter une législation anti-Netanyahu en étant certain qu’elle sera adoptée avant la dissolution de la Knesset, le 7 mai.

Il a tort.

« Le délai de trois semaines [jusqu’au 7 mai] n’est pas réel. Contrairement au Parlement britannique, qui, une fois dissout, ne peut plus se rencontrer jusqu’à l’élection d’un nouveau, la Knesset peut continuer à légiférer » jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par sa nouvelle mouture élue, note Alexander Yakobson.

Une caméra cachée sur un observateur du Likud, dans un bureau de vote d’une ville arabe, lors des élections du 9 avril 2019. (Crédit : Hadash-Taal)

Et en effet, la droite israélienne aurait du mal à affirmer le contraire. Elle a utilisé de manière répétée ce pouvoir législatif post-dissolution. Quarante-huit heures avant les élections du 17 septembre, elle avait tenté de présenter un projet de loi devant la 21e Knesset, alors dissoute, pour obtenir le droit de placer des caméras dans les bureaux de vote arabes.

Il y a également des exemples plus nobles. En décembre 2018, peu après le vote de la dissolution de la 20e Knesset, la ministre de la Justice de l’époque, Ayelet Shaked, avait pris la tête d’un groupe de députés qui avaient réclamé une session spéciale, en plénière, pour finaliser le vote d’une réforme majeure des lois israéliennes sur la prostitution qui redéfinissaient les relations entre les clients et les prostituées comme une relation d’exploitation plutôt que de consentement et qui imposait des sanctions aux clients plutôt qu’aux prostituées. Cette nouvelle politique, qui avait été légiférée après la dissolution de la 20e Knesset, doit entrer en vigueur au mois de mai de cette année.

Pas de vache sacrée

Enfin, cet amendement ne chamboule aucun élément fondamental ou primordial de l’ordre constitutionnel israélien. L’Article 11 est nouveau. Il a été ajouté à la Loi fondamentale en mars 2001 sur demande expresse des responsables du ministère de la Justice, qui cherchaient des moyens d’exercer des pressions sur les responsables politiques pour les amener à conclure rapidement leurs tractations de coalition. Dix-neuf ans plus tard, après l’expérience de scrutins répétés, il pourrait être temps – indépendamment des sympathies partisanes – de s’interroger sur la mauvaise orientation qu’aura finalement pris ce raisonnement.

Le 30 mai 2019, après avoir échoué à former un gouvernement, Netanyahu avait prôné un vote, à la Knesset, qui permettait d’organiser de nouvelles élections pour tenter d’éviter que son adversaire, Gantz, ait une chance de devenir Premier ministre. Il s’agissait d’une initiative légale mais néanmoins sans précédent et sidérante. La classe politique s’était comportée comme si les résultats électoraux avaient été une erreur qu’il fallait effacer. Après la confirmation à deux reprises de l’opinion des électeurs, le 17 septembre et le 2 mars, Netanyahu a paru souhaiter à chaque fois remettre à zéro les résultats sortis des urnes – jusqu’à ce qu’ils soient conformes à ses besoins personnels.

Des propriétaires de petites entreprises et des maîtresses d’écoles maternelles lors d’un rassemblement réclamant des aides financières en pleine crise du coronavirus en face la Knesset de Jérusalem, le 19 avril 2020 (Crédit :Yonatan Sindel/Flash90)

Cette fragilité « n’est pas une fatalité », martèle Alexander Yakobson.

Un changement constitutionnel mineur qui ne nécessiterait pas plus de 61 votes à la Knesset pourrait faire pencher la balance – pas celle entre Netanyahu et Gantz mais celle entre le politicien et l’électeur. Les responsables politiques se trouveraient alors dans l’obligation de se conformer aux désirs exprimés par la population. Pas le contraire.

Des idées similaires ont été proposées, mais toutes présentent des inconvénients plus manifestes et s’avèrent plus alambiquées. Liberman a suggéré que si la Knesset ne parvenait pas à mettre en place un gouvernement, alors le chef de l’État pourrait nommer un gouvernement de technocrates jusqu’à ce que la Knesset se ressaisisse. Le mois dernier et la semaine passée encore, Yair Lapid de Yesh Atid a proposé un « gel » de la situation actuelle pendant six mois, ancrant à leur place actuelle le gouvernement intérimaire placé sous l’autorité de Netanyahu et la Knesset dirigée par l’opposition – laissant entendre que les tentatives de s’extraire de l’impasse politique ne reprendraient qu’une fois passé le pire de crise sanitaire du coronavirus. Les critiques ont noté que ce projet laisserait à Netanyahu tous les pouvoirs d’urgence et que le gouvernement se trouvera déchiré entre deux centres de pouvoir concurrents, l’un donnant les ordres et l’autre approuvant les budgets, et les deux parties restants bloquées dans une posture électorale gelée et sans fin.

L’idée d’Alexander Yakobson est plus simple, et ses effets seront peut-être plus spectaculaires. C’est une idée qui est fondamentalement conservatrice en ce qu’elle accorde la priorité à l’électorat sur les responsables politiques et aux politiciens sur la bureaucratie de l’État ; et porte en elle la promesse – c’est ce que pense l’universitaire – d’une stabilité pour un système politique aux prises avec une pandémie.

Mais pourquoi n’a-t-elle pas été proposée par les politiciens querelleurs eux-mêmes ?

« J’ai fait mienne une règle qu’Amnon Rubinstein m’avait apprise, il y a des décennies », indique Alexander Yakobson. « Ne jamais présumer que quelqu’un y avait pensé ».

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