Qu’a donc réellement promis Aryeh Deri à la Cour dans sa négociation de peine ?
Le chef du Shas a eu l'interdiction d'être ministre en partie parce qu'il avait donné aux juges la "fausse impression" qu'il se retirerait de la politique. Ce qu'il dément
Le jugement explosif qui a été rendu par la Haute-cour de Justice, la semaine dernière, interdisant au chef du Shas, Aryeh Deri – un partenaire déterminant dans la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu – de servir à un poste de ministre au cabinet est un casse-tête pour le nouveau gouvernement.
Si le Premier ministre a limogé Deri de ses fonctions de ministre de l’Intérieur et de ministre de la Santé quatre jours après le jugement rendu par le tribunal, lui et le leader du Shas ont promis que cette absence ne serait que temporaire et qu’il ferait son retour à brève échéance.
Pendant la rencontre du cabinet, dimanche, Deri a insisté une nouvelle fois sur le fait que l’un des éléments qui aura été déterminant dans la décision prise par les magistrats de la plus haute instance judiciaire d’Israël de lui barrer la route – cet élément était qu’il s’était engagé à quitter la vie politique dans le cadre d’une négociation de peine, en 2022 – était un mensonge et que jamais, O grand jamais, il n’avait fait une telle promesse.
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Les juges de la Haute cour ont pleinement établi dans leur décision que Deri avait donné l’impression à la Cour des magistrats de Jérusalem, dans le cadre de la négociation de peine, qu’il allait se retirer de manière permanente de la vie publique ; qu’il devait par conséquent respecter cet engagement et qu’à ce titre, il lui était impossible d’hériter du portefeuille d’un ministère.
Mais, a asséné Deri, « il a été clairement établi devant le procureur et il a été clairement établi devant l’ancien procureur-général, le docteur Avichai Mandelblit, que je n’ai aucunement l’intention – et que je n’ai jamais eu l’intention – de me retirer de la vie politique ».
« Ce fait a été posé sur la table de manière très nette dès le début de mes contacts avec le procureur-général et jusqu’à la fin », a-t-il ajouté.
Les intentions de Deri formulées lors de cette négociation de peine, en 2022 – dans le cadre de laquelle il a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation de fraude fiscale – sont une composante déterminante dans le jugement rendu par la Haute cour. Dans leur décision, cinq magistrats ont estimé que la nomination de Deri à la tête de deux ministères était invalide parce qu’il avait donné, lors de la négociation de peine, l’impression aux juges qu’il allait se retirer définitivement de la vie politique.
C’est cette « fausse impression », comme l’ont appelé les juges Uzi Vogelman, Yitzhak Amit, David Mintz et Anat Baron, qui a garanti la conclusion de la négociation de peine, qui a mis un terme au procès et qui a donné l’assurance que la Cour ne serait pas amenée à examiner la possibilité d’une condamnation assortie du concept juridique de « turpitude morale ». Une reconnaissance de « turpitude morale » lui aurait interdit de facto tout poste public pendant une période de sept ans.
La décision prise par Deri d’accepter les postes ministériels qui lui ont été offerts par Netanyahu est donc invalide, ont estimé les magistrats qui ont invoqué le « principe d’estoppel« , selon lequel une partie ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a prise antérieurement lors d’un procès lorsque ce changement se produit dans le cadre d’une nouvelle poursuite judiciaire.
Mais qu’a donc accepté Deri dans le cadre de sa négociation de peine suite à sa mise en cause pour fraude fiscale ?
Qui a dit quoi
Dans l’accord conclu avec le procureur-général de l’époque, Mandelblit, un accord qui avait été signé en décembre 2021, Deri avait reconnu avoir commis des faits de fraude fiscale et il avait promis de démissionner de la Knesset. Mais il n’avait pas stipulé qu’il se retirerait de manière permanente de la vie politique ou qu’il cesserait de diriger le Shas.
Et dans une déclaration faite devant les journalistes après la mise en examen prononcée à son encontre par le procureur-général sur la base de la négociation de peine, Deri avait affirmé que « je continuerai à me focaliser sur mon service public et à diriger le mouvement Shas de toutes mes forces, de toute ma foi ».
Mais lors d’une audience de condamnation qui avait eu lieu le 25 janvier 2022, Deri avait tenu des propos qui, s’ils n’étaient pas explicites, semblaient vraiment indiquer qu’il allait quitter de manière définitive la première ligne de la politique israélienne.
« Il y a un public important que je représente, qui m’a donné sa confiance au cours des quatre élections. Malgré tous les soupçons qui pesaient sur moi, ils ont néanmoins cru en moi et j’ai sollicité l’avis des rabbins pour savoir s’il pouvait m’être permis, conformément à la loi, de faire ce que je fais et de démissionner de la Knesset, de dire à la communauté qui m’a élu : ‘Je choisis la voie facile et je quitte la Knesset’. »
« J’ai vraiment eu des doutes… J’ai décidé que je ne souhaitais pas revenir à ce qui est arrivé il y a vingt ans et il y a trente ans, et je veux continuer, avec le temps qui me reste, de m’investir au service du public sans entraîner de conflit. Je veux continuer à représenter les segments de la société et le public que je représente de manière différente, même si c’est depuis l’extérieur de l’enceinte de la Knesset », avait dit Deri devant la Cour des magistrats de Jérusalem.
Lors de la même audience, le procureur de l’État avait expliqué au juge le raisonnement qui l’avait amené à opter pour la négociation de peine – avec notamment une sentence plus légère que certains avaient pu s’y attendre.
« Je demande à présenter les réflexions qui me poussent à l’indulgence et qui justifient, selon moi, une sanction qui ne comprendra pas de peine de prison – avec avant tout les aveux de l’accusé, qui a par ailleurs accepté d’assumer ses responsabilités. A cet égard, les déclarations publiques faites par l’accusé et son retrait de la vie politique reflètent sa sincérité », avait dit le procureur.
Pendant cette audience du 25 janvier également, l’avocat du chef du Shas, Navot Tel-Zur, avait estimé que la négociation de peine était « équilibrée » dans son raisonnement et dans ses arguments et il avait noté que Deri renonçait à un important salaire en démissionnant de la Knesset – manifestement à long-terme – tout en faisant référence dans le même contexte à son rôle et à son salaire ministériels.
« L’homme a démissionné de la Knesset et c’était son gagne-pain. Après neuf années de carrière de député et de ministre, cette concession pourrait représenter des millions de shekels et il se trouve aujourd’hui dans l’obligation de trouver un nouveau revenu », avait-il indiqué.
Un ministre gagne actuellement 50 000 shekels par mois et un député 45 000 shekels par mois. Gagner deux millions de shekels dans ces carrières peut donc prendre plus de trois ans.
Enfin, le juge Shmuel Herbst, président de la Cour des magistrats de Jérusalem qui était en charge du dossier de Deri, avait dit de manière très claire lors de la toute dernière audience de condamnation du chef du Shas, qui avait eu lieu en date du 1er février 2022, que Deri quittait la vie politique.
« L’accusé, une personnalité publique depuis de nombreuses années, abandonne de lui-même le désir de s’impliquer dans le service des citoyens. Je ne suis pas moi-même dans le secret de ses réflexions mais il me semble que l’histoire de sa vie a montré qu’il a perçu, dans son travail de responsable élu, une vocation et un mode de vie et qu’aujourd’hui, à la lumière de ce dossier et de ses mises en examen – il renonce à ce travail et ce, de son propre gré », avait commenté Herbst.
« Ce qui n’est pas un sacrifice facile pour quelqu’un qui s’est coulé dans le moule du service du public au cours des dernières décennies, et il me semble que le parquet lui-même a laissé entendre qu’il considérait ce renoncement comme une part de la sanction de l’accusé, une sanction qu’il a décidé de s’imposer à lui-même. »
Il avait ajouté que le public israélien pouvait être assuré que Deri, condamné pour corruption et pour fraude en 1999 et, une fois encore, pour fraude fiscale en 2022, ne pourrait plus « porter atteinte aux fonds publics » et que l’accusé « ne répondra plus aux besoins des citoyens en lien avec des affaires financières en raison de son éloignement volontaire de la vie publique ».
Pour résumer, le parquet comme le président du tribunal avaient réellement pensé, à ce moment-là, que Deri allait quitter définitivement la vie politique et la haute-fonction publique.
Une retraite permanente ?
Dans le jugement qui a été rendu par la Haute-cour, la semaine dernière, la présidente de la Cour, Esther Hayut, a noté toutes ces déclarations dans son opinion écrite et elle a également fortement remis en question l’affirmation faite par l’avocat de Deri au cours d’une audience qui avait eu lieu au mois de janvier – celle que le chef du Shas n’avait jamais eu l’intention de quitter la politique de manière permanente et que la Cour des magistrats de Jérusalem avait mal compris ses propos.
Tel-Zur avait ainsi déclaré, le 5 janvier 2023, lors d’une audience à la Haute cour que l’engagement pris par Deri de démissionner de la Knesset était « un exemple rare de malentendu » dans la mesure où s’il avait eu l’intention de quitter les bancs du Parlement, il ne pensait le faire que de façon temporaire.
« Les paroles qui ont été dites », a écrit Hayut dans son jugement, « ont été prononcées en présence de Deri et de son avocat et tous deux semblent ne pas avoir jugé utile en temps réel de préciser qu’il ne s’agissait pas d’un retrait permanent de la vie politique, mais d’un retrait limité dans le temps, concernant la 24e Knesset seulement. »
Hayut a ajouté que les déclarations de Deri, comme celles du juge de la Cour des magistrats, démontraient que « la Cour a compris que l’engagement pris par Deri était celui d’un retrait permanent de la vie politique, ce qui ne semble guère être surprenant par ailleurs au vu de la manière dont les choses ont été alors présentées ».
Elle a ajouté que « la Cour des magistrats a même explicitement souligné que le retrait de Deri de la vie politique était une considération pertinente dans l’ensemble des réflexions qui ont pesé en faveur de Deri lors de sa condamnation ».
Des arguments qui ont été repris par d’autres juges de la Haute-cour dans leurs avis.
Parce que Deri s’était engagé à démissionner de la Knesset dans l’accord de négociation de peine qui avait été signé, le procureur-général avait indiqué qu’il ne demanderait pas au tribunal d’examiner la possibilité d’ajouter la désignation de « turpitude morale » dans le jugement final, qui interdit automatiquement au condamné de tenir un rôle politique pendant une période de sept ans.
Et comme l’a fait remarquer le juge Alex Stein, Deri n’était déjà plus député lors de l’audience de condamnation – et le tribunal ne pouvait pas, en fait, délibérer sur cette question de « turpitude morale », même si les crimes qu’il avait reconnu avoir commis étaient susceptibles d’être assortis d’une telle désignation.
Après avoir évité « la turpitude morale », Deri avait néanmoins rencontré un autre problème : celui que la Loi fondamentale : La Knesset stipulait alors qu’un individu récemment condamné et purgeant encore une peine devait nécessairement se tourner vers le chef de la commission centrale électorale, un ancien magistrat de la Cour suprême, pour lui demander si les crimes ayant justifié sa condamnation prévoyaient l’inclusion d’une désignation de « turpitude morale ».
La loi, à l’époque, ne faisait aucune distinction entre une peine de prison avec sursis – comme celle dont avait écopé Deri – ou une peine d’emprisonnement ferme.
Pour éviter ce problème, les partis de droite, d’extrême-droite et religieux, au sein de la nouvelle Knesset, avaient adopté après les élections du mois de novembre 2022 un amendement à la Loi fondamentale, avant même que le gouvernement soit formé, précisant que seule une peine de prison ferme pouvait justifier la nécessité de demander un arrêt à la commission centrale électorale concernant d’éventuels faits de « turpitude morale ».
Cet amendement avait permis à Deri de prendre la tête des deux ministères offerts par Netanyahu lors de la formation du nouveau gouvernement, et il aura aussi ouvert la voie aux requêtes déposées devant la Haute-cour contre ces nominations, ainsi qu’au jugement qui lui aura finalement interdit de rester à ses nouvelles fonctions…
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