Rapprocher des femmes juives russes et ukrainiennes le temps d’un voyage en Israël
En dépit des inquiétudes liées à la guerre, Momentum a accueilli une délégation de 200 femmes d’Europe de l’Est, autour des valeurs « d’unité et responsabilité »
Deux cents femmes juives, pour la plupart venues de Russie et d’Ukraine, sont arrivées en Israël la semaine passée pour en apprendre davantage sur le judaïsme, le sionisme, l’histoire et la réalité du pays.
A un autre moment, cela aurait sans doute été un voyage sympathique, sans rien d’exceptionnel, mais en 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en a fait une expérience hors du commun pour les participantes et les organisateurs, au-delà des complications logistiques, émotionnelles et politiques.
On doit cet événement à l’organisation Momentum, qui a vocation à approfondir le lien entre des mères de famille juives, ou du moins avec des origines juives, et le judaïsme, voire avec Israël dans son entier.
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Cette organisation estime que les mères de famille jouent un rôle déterminant dans l’éducation des enfants, les pratiques familiales et la pratique religieuse. (Vous avez la référence ? MOM [maman en anglais]-entum.)
« Pour nous, les mères sont les actrices du changement », explique Anna Vainer, qui dirige les programmes du groupe en Europe et en Asie et a été l’une des principales organisatrices de cet événement.
Ces femmes ont eu droit à l’itinéraire classique : mur Occidental, Safed, Massada, mer de Galilée, le musée du peuple juif ANU.
Mais certaines visites ont revêtu une symbolique forte doublée d’une grande charge émotionnelle du fait de la guerre.
« Yad Vashem a eu un fort impact sur ces femmes. Il y avait parmi elles une femme venue de Marioupol, où la communauté est sans nouvelles de sept enfants, enlevés par les soldats russes », confie Vainer.
« Pour cette femme, se rendre à Yad Vashem était… Nous avons parfois dû adapter nos activités, mais notre message était qu’il y aurait des moments difficiles, intenses, mais que nous serions là pour les aider à faire face. »
« Cette femme est venue nous dire qu’elle ne voulait pas aller à Yad Vashem, que ce serait très dur pour elle, mais qu’elle allait le faire malgré tout. Si le peuple juif a pu survivre à tout cela, alors cela va me donner de la force. Voilà ce qu’elle nous a dit », ajoute Vainer.
Sur 200 participantes, on comptait une centaine de Russes, une quarantaine d’Ukrainiennes plus 10 femmes originaires d’Estonie, autant de Lettones, d’Allemandes et d’Israéliennes.
Certaines participantes ukrainiennes vivent encore en Ukraine, tandis que d’autres attendent la fin de la guerre ailleurs en Europe ou patientent pendant l’examen de leur demande de nationalité israélienne.
Toutes ont été sélectionnées par diverses organisations dans leur pays d’origine – Habad, l’Agence juive, les centres communautaires juifs… – en fonction des bénéfices personnels qu’elles pourraient tirer de l’événement et, au-delà, de leur potentiel d’implication au sein de leur communauté, à l’issue de ce voyage très spécial.
Natasha Yampolskaya, originaire du Kazakhstan mais qui vit à Saint-Pétersbourg, en Russie, explique que, malgré ses racines juives, elle ne s’est jamais impliquée dans la petite communauté juive d’Almaty, au Kazakhstan, où elle a vécu jusqu’en 2019.
Quand elle s’est installée avec sa famille à Saint-Pétersbourg, elle s’est impliquée dans une organisation juive appelée Adaïn Lo, ce qui signifie
« pas encore » en hébreu, et qui, entre autres, propose un programme spécial pour les enfants handicapés – son fils est autiste. Grâce au groupe, elle en a appris davantage sur le judaïsme.
« Nous avons appris les traditions, commencé à célébrer les fêtes et nous consacrer à des activités juives », explique Yampolskaya en anglais. « Je suis une nouvelle venue. »
Au cours de ce voyage, Yampolskaya, qui est mère de trois enfants, a choisi, comme 59 autres participantes, d’adopter un « prénom juif ». Elle a opté pour « Noa », prénom tiré de l’histoire biblique d’un homme qui n’avait eu que des filles – dont une Noa – et qui, au mépris des traditions patriarcales, avait décidé de leur laisser sa succession, à sa mort. Yampolskaya dit avoir découvert ce prénom il y a des années et l’avoir toujours apprécié, ce qui l’a décidée à le choisir.
« Ma vie a radicalement changé depuis que je me suis installée à Saint-Pétersbourg », confie-t-elle, ajoutant rapidement : « Pour le mieux ! J’ai enfin commencé à m’intéresser à mes racines. »
Yampolskaya ne sait pas encore ce qu’elle retirera du voyage, qui est passé très vite. « Je suis en plein réflexion. J’ai besoin de rentrer chez moi et de montrer les photos à ma famille », ajoute-t-elle.
Katya Ryabova, mère de deux enfants originaire d’Odessa, en Ukraine, a toujours eu conscience de ses origines juives, au sein d’une famille qui avait progressivement cessé de pratiquer cette religion.
« La grand-mère de ma mère, mon arrière-grand-mère, avait gardé les traditions. C’est ma grand-mère qui a arrêté de perpétuer les traditions, tout en continuant de parler yiddish », explique Ryabova par l’intermédiaire de Vainer, qui traduit ses propos en anglais. Sa famille mange de la matzah pour Pessah, ajoute-t-elle.
Il y a quelques années, Ryabova devient administratrice du centre Habad et se rapproche du rabbin, Avraham Wolff, et de sa femme Chaya. « Ils sont pour moi aujourd’hui une deuxième famille », dit-elle. Pour preuve, elle a scolarisé sa fille, âgée de trois ans, à l’école maternelle Habad.
« Maintenant, le vendredi soir, je dis les prières avec les bougies en russe, et ma fille les dit en hébreu », explique Ryabova.
« Ma fille sait que nous sommes censés avoir cuit la challah pour le vendredi soir, mais à cause des pannes de courant, nous nous en procurons à la synagogue », précise-t-elle.
Pour Ryabova, le Shabbat passé avec le groupe à Jérusalem a, de loin, été le moment le plus intense du voyage.
« Cela valait la peine de venir, ne serait-ce que pour ce Shabbat au mur Occidental », confie-t-elle.
Ce voyage n’était pas seulement sa première visite en Israël, mais aussi son tout premier voyage en avion, pour lequel elle a une profonde aversion. C’était aussi la première fois qu’elle était loin de son mari et de ses enfants depuis le début de la guerre. « Je suis impatiente de les retrouver. Je suis même impatiente de retourner au travail », dit-elle.
Ne pas occulter les difficultés
Momentum organise des événements avec des femmes originaires de Russie, d’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale depuis 2014.
Jusque-là, les groupes étaient principalement centrés sur des femmes originaires des États-Unis, mais Momentum a décidé d’étendre son périmètre d’activité avec l’appui d’un financement du ministère des affaires de la Diaspora.
Ce ministère continue d’ailleurs de financer l’organisation, à hauteur d’un tiers de son budget, et apporte son concours sur certains aspects logistiques. Pour cette dernière édition, il a permis aux participantes ukrainiennes d’obtenir leur visa d’entrée en Israël.
En raison de la pandémie de coronavirus, l’organisation a été contrainte d’interrompre les voyages ces deux dernières années. Avec la levée progressive des restrictions, l’organisation s’est remise au travail. C’est alors que, le 24 février dernier, la Russie a envahi l’Ukraine.
« Nous avons rapidement dû décider de ce que nous allions faire. Ces voyages fondés sur une expérience juive commune allaient-ils être possibles, dans des conditions aussi difficiles et complexes, avec un risque d’hostilité entre les différentes parties ? » rappelle Vainer.
« En tant qu’organisation, nous avons décidé d’avoir une attitude responsable et unitaire. Nous nous sommes dit que cette responsabilité que nous avions les unes envers les autres ne pouvait disparaitre, même dans ces conditions difficiles, et que ces femmes avaient plus que jamais besoin de nous. »
Cette décision se démarque de celle prise par la plupart des organisations juives internationales intervenant dans l’ex-Union soviétique et en Europe de l’Est, qui se sont pour la plupart éloignées des communautés juives de Russie ou les tiennent à l’écart des autres communautés depuis le début de la guerre, pour éviter toute confrontation ou controverse.
« Beaucoup pensaient qu’il fallait séparer, séparer, séparer, au risque de susciter des affrontements », explique Vainer.
Au-delà des risques d’affrontements entre participantes, Momentum s’inquiétait de la sécurité des participantes russes, susceptibles de faire face à des mesures de rétorsion chez elles si elles étaient perçues comme sympathisantes de la cause ukrainienne.
Si l’organisation a pris la décision de maintenir sa mission en Europe de l’Est, elle a institué des directives spéciales pour limiter les risques pendant et après le voyage.
Par exemple, les drapeaux ont été bannis pendant tout le voyage, à l’exception des drapeaux israéliens, tout comme les vêtements revêtus de slogans politiques. Il était même interdit aux participantes de s’habiller aux couleurs du drapeau de leur pays.
Le groupe était la plupart du temps réparti entre quatre autobus, avec des participantes ukrainiennes et russes souvent séparées, même s’il y a eu un autobus mixte. (Cela correspond à l’organisation normale du voyage, cette année comme les années passées.)
Vainer explique que le but du voyage n’était pas de servir de médiateur entre Ukrainiennes et Russes, ou Russes et Estoniennes, Lettonnes et Allemandes, mais d’œuvrer en faveur de l’unité juive. Et, tout à fait naturellement, participantes russes et ukrainiennes se sont rencontrées.
« Il y a eu des espaces de rencontres. Nous savons que des femmes se sont parlées. Elles nous ont dit s’être réunies dans le hall de l’hôtel autour d’un verre de vin, sans parler de politique, tout au plaisir de se découvrir et de parler d’elles », confie Vainer.
Le personnel du programme avait suivi une formation spéciale pour les préparer aux complexités d’un tel groupe, ajoute Vainer.
« Pour la première fois, nous avons fait venir deux psychologues bénévoles, spécialistes des traumas. Nous avons pensé qu’ils pourraient être utiles. Et au final, ils n’ont pas compté leurs heures », ajoute-t-elle.
L’avant-dernier jour du voyage, l’armée russe a mené des frappes à grande échelle en Ukraine, privant d’électricité une grande partie du pays et empêchant les participantes ukrainiennes de joindre leur famille pour s’assurer que tout allait bien.
« Cela a été compliqué de venir, mais mon mari m’a poussée à le faire. Ils ne bombardent plus les maisons. Ils ne font que bombarder les infrastructures. Hier, à cause d’une panne de courant, il n’y avait pas d’eau courante, mais l’eau est revenue. Et l’électricité devrait être rétablie ce soir », conclut Ryabova.
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