Rebelles juifs et restes de séismes : un chantier de fouille s’attaque à deux énigmes historiques
Fondée par les Hasmonéens et agrandie par Hérode, Sartaba/Alexandrium fait l'objet de fouilles, pour la première fois depuis 40 ans, pour percer le mystère de ses derniers jours

C’est une petite cruche cassée qui se trouvait dans la terre, coincée entre les pierres monumentales d’un mur effondré : sa base ronde dépassait de la poussière et des débris, à l’endroit même où des archéologues travaillaient avec ardeur. Leur mission : fouiller le sol de cet ancien palais qui fit partie de la forteresse d’Alexandrium – également connue sous le nom hébreu de Sartaba – dans la vallée du Jourdain – l’actuelle Cisjordanie.
« On voit le bord et une partie de la poignée », explique le Dr Dvir Raviv de l’Université Bar Ilan, directeur des fouilles, par un matin froid et venteux de février. « Suivant le type d’artefact, je peux d’ores et déjà dire qu’il remonte au milieu du 1er siècle de notre ère. »
L’un des objectifs de ces fouilles, les premières sur les lieux depuis plus de 40 ans, est d’en savoir plus sur ce qui est arrivé à Alexandrie au 1er siècle de notre ère, en particulier pendant la grande révolte juive contre Rome (66-73 de notre ère). Les fouilles sont menées par l’Université Bar Ilan en coopération avec l’officier d’état-major de l’archéologie du Département de l’administration civile de Judée-Samarie (le site se trouve en zone C, sous contrôle israélien).
Une équipe de l’Université hébraïque de Jérusalem avait mené des fouilles au sommet de la colline, dans les années 1980, sans jamais donner lieu à publication. L’équipe de Raviv n’a eu, pour repartir, que quelques objets, tels que des ostraka (tessons de poterie recouverts d’inscriptions), quelques notes et des images. Ils savaient que leurs collègues avaient découvert un sol en mosaïque blanche qui pavait le palais, côté est.
Dès la première semaine de travail, les archéologues ont eu le plaisir de voir les premières tesselles (morceaux de mosaïque) du sol sortir de terre.
« Nous avons atteint la même profondeur qu’il y a 40 ans », explique Vered Jacobi, l’une des étudiantes en master d’archéologie de Bar Ilan qui s’est jointe à l’expédition. « Tout ce qui se trouve au-dessus, c’est la saleté accumulée ces quarante dernières années. »

On m’a remis une brosse, une petite bêche en métal et deux seaux pour dégager une surface d’un mètre carré environ d’herbe et de terre. Le processus de nettoyage passe par la détection et la sauvegarde de dizaines de tesselles en mosaïque et de fragments de poterie. En passant au crible la terre retirée de la zone, Jacobi a fait une autre découverte qui pourrait bien s’avérer de la première importance.
« C’est un noyau de datte grillé », dit-elle. « Cela pourrait être récent, mais cela pourrait aussi dater de l’époque où la forteresse était utilisée. C’est le tout premier noyau que nous trouvons lors de ces fouilles : j’espère que ce ne sera pas le dernier. Des noyaux comme celui-ci pourraient nous aider à déterminer à quel le moment les lieux ont été utilisés avec une plus grande précision » grâce à la datation au radiocarbone C-14.
Alexandrium se trouve au sommet d’une colline située à près de 650 mètres au-dessus de la vallée du Jourdain et à 380 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le pied de la colline est accessible en véhicule 4×4 en empruntant les chemins de terre de collines désertiques, avec une vue imprenable sur la vallée du Jourdain et les montagnes de la Jordanie et de Galaad, au loin.

Les archéologues doivent faire la dernière partie du chemin à pied en portant leur équipement le long d’un sentier étroit qui grimpe jusqu’à un sommet escarpé. La vue que l’on a depuis les hauteurs, où une partie du mur imposant se dresse encore, est une récompense en soi et explique pour quelle raison le roi hasmonéen Alexandre Janneus a choisi cet endroit pour y édifier une forteresse vers l’an 100 de notre ère.
« Nous nous retrouvons tous les matins à 5 heures du matin et nous montons », précise Jacobi. « Nous creusons jusqu’à 13h00, plus ou moins. »
Les Romains détruisirent Alexandrie lorsque le général Gabinius conquit la Judée en 63 avant l’ère commune. Le général avait été invité par le souverain hasmonéen Hyrcanius II alors que son frère Aristobule tentait de le renverser à la faveur d’une succession d’événements qui allaient faire de la Judée un vassal.
Hérode le Grand a, quant à lui, reconstruit et agrandi la forteresse dans la seconde moitié du 1er siècle de notre ère.

« On peut imaginer Hérode en train de profiter de la vue en buvant un verre de vin et en attendant que ses invités importants viennent le voir », imagine l’archéologue indépendant Achia Cohen Tavor, qui s’est joint aux fouilles en qualité de superviseur de zone.
Le versant oriental a probablement été choisi comme lieu d’édification du palais car il est moins raide et plus protégé des vents.
« Nous voyons encore où se trouvait le péristyle », explique Raviv en parlant de la colonnade qui entourait le bâtiment. « Le palais était décoré de stucs et de fresques en plâtre. Ils utilisaient des couleurs comme le rouge, le noir, le vert ou encore le jaune. Les colonnes faisaient cinq ou six mètres de haut. »
Éparpillées aux quatre coins du chantier de fouilles se trouvent quatre pierres en forme de cœur qui se trouvaient aux quatre coins du bâtiment. Selon Raviv, l’un d’eux est encore in situ, terme technique utilisé pour décrire l’emplacement d’origine d’un vestige archéologique.

Le palais comptait deux parties, à savoir un hall intérieur et quatre pièces allongées qui l’entouraient.
« Il y avait aussi un puits ouvert », ajoute Raviv. « La semaine dernière, nous avons découvert une installation qui devait être un mikvé – le bain rituel juif. »
Selon l’archéologue, les pierres utilisées pour construire la forteresse ont été importées d’autres endroits de la vallée du Jourdain. « Certaines pèsent de cinq ou six tonnes », poursuit-il. « Ils utilisaient probablement des ânes et des mules pour les transporter, ainsi que de nombreux ouvriers. »
Raviv ajoute que les Hasmonéens n’employaient pas d’esclaves mais étaient assez riches pour s’offrir des constructions monumentales. On trouve plusieurs forteresses hasmonéennes dans le désert de Judée.
Le versant oriental de la colline est lui aussi jonché de tessons de poterie. La poterie est essentielle pour permettre aux chercheurs de dater un site ou une couche archéologique en fonction de sa typologie, d’autant qu’ils sont souvent revêtus d’inscriptions.
« Nous ne le saurons pas tant que nous ne les aurons pas lavés », précise Raviv en montrant plusieurs tessons de récipients hasmonéens ou en terra sigillata, ces poteries fines populaires au sein de l’empire romain avec une surface rouge brillante et des décors sophistiqués.

« Ce type de poterie a été importé de Syrie ou d’Anatolie », poursuit Raviv. Ils n’étaient pas courants en terre juive parce que ces récipients en argile pouvaient être souillés par des impuretés rituelles : les Judéens leur préféraient des récipients en pierre, pas susceptibles d’être impurs. Mais les récipients en argile sont fréquents dans les palais hérodiens, ce qui met l’accent sur l’identité composite du roi.
Lors de ma venue sur le chantier de fouilles, une équipe fouillait le sommet de la colline, près du mur encore debout et qui faisait sans doute partie de la fortification principale. Le groupe était principalement composé de bénévoles, dont huit collégiens et lycéens de l’implantation voisine d’Ytav.

« Je crois que cette expérience peut leur apprendre bien plus qu’une journée à l’école », estime Avital Elitzur, la coordinatrice des activités pour les jeunes, venue avec eux.
Raviv et son équipe étudient également le versant nord. Plus verte que le reste de la colline, recouverte d’herbe et de fleurs sauvages, la pente offre plusieurs caractéristiques intrigantes.

« On constate que la zone a été remodelée, avec des terrasses artificielles, et il semble que le sol vienne d’ailleurs », ajoute Raviv. « Il y a là un système aquifère, et nous avons également trouvé un chapiteau de colonne dorique. Nous pensons que cela a pu être un jardin royal. »
Raviv souligne qu’Alexandrium présente plusieurs signes de pillage plus ou moins récents, comme en attestent des fosses et une pierre brisés, encore intacts lorsque l’équipe était venue avant les fouilles de l’automne.

À intervalles réguliers, l’archéologue examine les différentes zones de fouilles ainsi que la terre excavée, à l’aide d’un détecteur de métaux, pour identifier les pièces de monnaie.
« Le premier jour, nous avons trouvé une quarantaine de pièces de monnaie, dont une représentant Tibère, qui est généralement associée à la présence de l’armée romaine lors de la révolte juive, un autre signe que les rebelles auraient pu utiliser cet endroit », suggère-t-il.
La principale source historique sur cette période provient des travaux de l’historien judéo-romain Flavius Josèphe (c. 37-100 de notre ère) et parle d’Alexandrium pendant les périodes hasmonéenne et hérodienne, sans jamais mentionner l’utilisation de la forteresse par des rebelles juifs, contrairement à d’autres sites, comme Hérodium.

Selon Raviv, il y a malgré tout des raisons de croire que des rebelles juifs ont occupé les lieux, à commencer par la découverte, dans les années 1980, d’ostraka portant des noms judaïques, très similaires à ceux de la période de la Grande Révolte retrouvés à Massada et Hérodium.
« Nous savons également, grâce aux photos des fouilles des années 1980, qu’il y a une couche de cendres sur le site », ajoute Raviv. « Si nous parvenons à l’atteindre, nous pourrons peut-être en savoir plus sur le moment de la destruction du site. Nous pensons que cela pourrait être lié à la révolte juive. »

Raviv pense que les fouilles actuelles vont permettre de résoudre cette énigme. La petite cruche qui dépasse du mur pourrait les y aider.
Il est également possible qu’Alexandrium ait été détruite par le tremblement de terre qui a frappé la région en 363 de notre ère.
« L’événement est bien documenté dans les lettres envoyées par l’évêque de Jérusalem Cyrille, qui a donné le nom des villes détruites à cette occasion », conclut Raviv. « Sa liste comprend plusieurs sites situés de part et d’autre de la vallée du Jourdain. Nous espérons que ces fouilles permettront d’établir si Alexandrium en a été victime. »
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