Shoshan Haran, portée disparue depuis le 7 octobre, a passé sa vie à aider les agriculteurs d’Afrique
Disparue depuis l'assaut du Hamas, cette experte agricole avait renoncé à un emploi bien rémunéré pour aider les agriculteurs de pays pauvres et arides ; sa famille garde l'espoir
Quand Aviv Havron est revenu de la maison de sa sœur Shoshan Haran dans le kibboutz Beeri, une semaine après qu’elle et plus de 200 autres civils aient été enlevés par des terroristes du Hamas le 7 octobre, tout ce qui restait de la maison de Shoshan était une casserole en céramique.
« C’est tout ce qui reste de la maison de Shoshan », dit-il, assis du salon de sa maison de Tel Aviv, d’où il décrit la douloureuse visite d’une voix calme. Les terroristes ont fait sauter la maison après avoir enlevé Shoshan et neuf autres membres de sa famille.
Une semaine avant l’attaque terroriste, Havron, qui est journaliste, avait appelé Haran depuis le Bhoutan où il venait de rencontrer le Premier ministre de cette petite nation en Asie. Il lui avait présenté les projets de Haran visant à éradiquer la pauvreté dans les pays en voie de développement.
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« Le Premier ministre était très enthousiaste à l’idée d’introduire le projet au Bhoutan », se souvient Havron.
Haran est la fondatrice de Fair Planet, un projet agricole de renommée internationale qui, au cours des dix dernières années, a permis à des dizaines de milliers d’agriculteurs auparavant défavorisés de gagner décemment leur vie, tout en fournissant à un million d’Africains une source fiable de nourriture. Le projet s’est déjà étendu à l’Ethiopie, à la Tanzanie et au Rwanda, et a le potentiel de se développer de manière exponentielle et d’atteindre des millions d’autres personnes souffrant de la faim.
Aujourd’hui, alors que l’initiatrice du projet est retenue en otage, le projet ainsi que la vie de Haran sont menacés.
Lorsqu’on lui ce qui d’après lui a encourager Haran à entreprendre un projet humanitaire d’une telle envergure, Havron mentionne leurs racines familiales, les valeurs du kibboutz et la force de caractère de Haran.

« Shoshan est le genre de personne qui se donne corps et âme dans tout ce qu’elle entreprend », explique Havron, soulignant que c’est un trait de caractère que partageaient leurs grands-parents et leurs parents.
« Nos deux grands-parents étaient médecins à Stuttgart, spécialisés en chirurgie orthopédique. Lorsqu’ils ont fui le pays après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, ils ont d’abord travaillé dans la médecine conventionnelle à Jérusalem, mais ont rapidement décidé de relever un plus grand défi ».
Le couple est allé travailler à l’hôpital Alyn nouvellement créé, un centre de rééducation pour enfants handicapés, où ils ont soigné des patients atteints de poliomyélite et de quelques-unes des blessures physiques les plus graves dont souffraient les enfants à l’époque, explique Havron.

Leur fils Abraham (le père de Havron et Haran) a lui aussi relevé un défi de taille. « À l’âge de 20 ans, il a abandonné sa vie de citadin relativement aisé à Jérusalem pour participer à la fondation d’un kibboutz« , poursuit Havron.
Il décrit comment, en une seule nuit de 1946, au mépris des autorités du mandat britannique, son père Abraham et des centaines d’autres Juifs ont fondé 11 nouvelles communautés juives.
« L’endroit qu’il a contribué à fonder est devenu le kibboutz Beeri », raconte Havron, soulignant que les pionniers ont réussi à transformer le désert stérile près de ce qui est aujourd’hui la bande de Gaza en champs cultivés verdoyants et luxuriants.
« Notre père est devenu un producteur laitier presque légendaire dans le mouvement des kibboutzim. Il donnait encore des conseils aux jeunes agriculteurs quelques semaines avant son décès l’année dernière à l’âge de 96 ans », précise Havron. « Il a en outre fait des études universitaires et a obtenu un doctorat de l’université hébraïque, où il a écrit une thèse sur les parasites agricoles ».

Tout comme ses aïeux, Shoshan Haran a, elle aussi, pris un virage important dans sa carrière. Après avoir étudié la biologie végétale à l’Université hébraïque de Jérusalem et à l’Université Rutgers dans le New Jersey, elle a mené une brillante carrière chez Hazera Genetics, l’un des principaux producteurs de semences.
« Elle aurait très bien pu rester chez Hazera. Elle avait un emploi bien rémunéré, qui comportait de nombreux voyages en Europe et d’autres avantages », relate Havron. « Mais elle voulait faire plus que cela ».
Selon Havron, la motivation d’Haran est née des valeurs communautaires de son kibboutz, qui n’a commencé à privatiser certaines de ses activités que depuis un an. Depuis sa fondation en 1946, le kibboutz Beeri s’est engagé à respecter la forme la plus pure du socialisme : chaque membre donne ce qu’il peut et prend ce dont il a besoin.
De cette manière, les revenus sont mis dans un pot commun et les bénéfices sont distribués équitablement.

Comme l’a expliqué Shoshan Haran dans un documentaire réalisé il y a plusieurs années, l’idée d’équité des kibboutzim a des applications mondiales.
« Dans les kibboutzim, il existe un sentiment d’égalité et de soutien mutuel », l’entend-on dire dans le documentaire. « Il y a une sorte de filet de sécurité en cas de chute. Permettre aux personnes les plus affamées du monde d’accéder aux semences de haute qualité que nous possédons est notre façon de les soutenir. »
Les semences de haute qualité mentionnées par Haran sont les semences hybrides qui rapportent aux entreprises semencières des centaines de millions de dollars par an sur les marchés occidentaux, et qui sont adaptées aux conditions de sol et de climat de régions spécifiques du monde occidental.
« Personne n’a jamais développé de semences pour les agriculteurs africains », affirme Haran dans le film, soulignant que certaines années, les ravageurs anéantissent la totalité des récoltes d’un grand nombre d’agriculteurs. « Et même les bonnes années, les semences récoltées à la fin de la saison de croissance offrent de faibles rendements. »

En 2011, Shoshan Haran a quitté son emploi chez Hazera et a fondé l’ONG Fair Planet avec Alon Haberfeld, un expert en semences. Leur idée était à la fois simple et ingénieuse.
Contrairement à de nombreux projets de développement international, il ne nécessitait ni machines coûteuses ni formation poussée.
« Les agriculteurs savent déjà comment cultiver leurs terres. Tout ce dont ils ont besoin, c’est de semences de qualité », explique Haran dans le documentaire, soulignant que les semences dont les agriculteurs africains pourraient bénéficier existent déjà. Le défi consiste toutefois à déterminer quelles semences conviendraient à telle ou telle région d’Afrique.
Pendant deux ans, Haran et son équipe ont entrepris la tâche monumentale de tester inlassablement les nombreuses variétés de semences jusqu’à trouver celles qui convenaient le mieux à Butajira, une région du centre de l’Éthiopie, où un projet pilote impliquant 20 producteurs de tomates avait été lancé.
Les résultats de la première saison de culture ont été spectaculaires. Les rendements des agriculteurs ont été multipliés par cinq en moyenne et ils ont pu vendre leurs tomates à un prix plus élevé parce que leur durée de vie avait été prolongée et qu’elles ne s’abîmaient pas.

Après le succès de ce programme pilote, Shoshan Haran n’avait plus qu’un obstacle à surmonter : pour être durable, le projet ne pouvait pas compter sur les dons de semences. Elle explique dans le documentaire que pour y remédier, ils ont » conçu un plan consistant à reporter le paiement des semences à la fin de la récolte, lorsque l’agriculteur est en mesure de vendre sa production. Nous partions du principe que d’autres agriculteurs, constatant le succès des récoltes de leurs voisins, voudraient se procurer les mêmes semences. Ce qui encouragerait les semenciers à créer de nouveaux marchés ».
Ces dernières années, Fair Planet s’est étendu à la Tanzanie et au Rwanda, et son impact ne se limite pas aux agriculteurs.
« Des acteurs importants de l’industrie mondiale des semences connaissent désormais notre modèle et quatre entreprises opèrent à leur compte en Éthiopie », explique Haberfeld.
Il souligne que le projet n’aurait pas pu aboutir sans la combinaison unique de compétences de Haran. « Elle a dû à la fois apprendre à travailler dans les salles de conférence des entreprises européennes tout en s’adaptant aux conditions difficiles de l’Afrique rurale. Un jour, elle s’est cassé une côte en tombant dans un fossé sur une route non éclairée en Éthiopie. Mais elle ne s’est jamais laissé décourager et est retournée sur place dès que sa côte s’est cicatrisée. Elle a dû faire au moins 60 voyages en Afrique ».
Lors de l’un de ces voyages, elle a emmené leur père. « Il avait 91 ans, mais il s’est promené avec elle, examinant tout ce qu’il voyait avec une grande curiosité. Il était très fier de ce que Shoshan avait fait », se souvient Havron.

Un autre voyage important, dont Havron se souvient lors de notre entretien, est celui effectué par leur père, retourné à Stuttgart pour la première fois depuis qu’il a fui l’Allemagne en 1933, afin d’assister à l’inauguration d’une stolpensteine, en mémoire de la Shoah, posée devant leur ancienne maison. Cette pierre rend hommage à Julie Heilbronner, l’arrière-grand-mère de Havron, qui a été déportée à Theresienstadt en 1942, où elle a péri.
La famille a un autre lien avec l’Allemagne. Haran, ainsi que sa fille et ses trois petits-enfants, ont tous la nationalité allemande. Il y a quelques jours, des membres de la famille ont rencontré l’ambassadeur d’Allemagne en Israël afin de l’exhorter à faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider les otages.

Les membres de la famille qui ont été kidnappés sont la fille de Haran, Adi Shoham, son gendre Tal Shoham, ses petits-enfants Yahel et Naveh, sa sœur Lilach Kipnis, ainsi que la sœur d’Avshalom, Sharon Avigdori, et sa fille Noam.
Le corps du mari d’Haran, Avshalom Haran, qui avait également été présumé enlevé, a été identifié en Israël dans la nuit de mardi à mercredi. Le beau-frère de Haran, Eviatar Kipnis, a également été identifié.
Havron souligne qu’il veut continuer à espérer que Haran pourra un jour faire bénéficier le Bhoutan et d’autres pays du monde de son travail.
« Shoshan a fait ce qu’elle pouvait pour aider les personnes qui avaient besoin de soutien », indique Havron. « Maintenant, c’est à nous de voir ce que nous pouvons faire pour l’aider, elle et les autres otages, au moment où ils en ont le plus besoin. »
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