Si la préservation de la vie reste une priorité, Israël fera face à des dilemmes
Si les contaminations se multiplient, les hôpitaux pourraient se retrouver avec plus de patients que de respirateurs ; selon les experts, les autorités devraient fixer des critères
Alors que la pandémie de coronavirus pousse les hôpitaux du monde entier au-delà de leurs limites, et que certains médecins reconnaissent que des choix concernant la vie ou la mort de patients pourraient avoir à être faits – ou sont déjà faits – alors que les respirateurs manquent, la crainte qu’Israël puisse être confronté à de tels dilemmes augmente chez les médecins et les philosophes du pays.
« J’espère que nous n’en arriverons pas là, mais si ce moment arrive, nous pourrions être contraints de prendre de telles décisions de vie ou de mort », a déclaré Avi Weissman, directeur adjoint de l’hôpital Rambam de Haïfa, au Times of Israël.
Moshe Halbertal, philosophe et co-auteur du Code d’éthique de l’armée israélienne, a déclaré être profondément troublé par les scénarios qui pourraient émerger. « C’est tragique dans le sens où tout choix a un prix », a-t-il déclaré.
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De tels dilemmes ont jusqu’à présent été largement étrangers dans un pays qui force davantage que presque tous les autres à maintenir les patients en vie. « Nous sommes habitués à faire tout ce qui est possible jusqu’à la fin – cela fait partie de notre culture », a noté Weissman.
Mais alors que les dirigeants renforcent les restrictions et préparent les Israéliens à l’éventualité d’une infection à grande échelle, les hôpitaux tentent d’anticiper un futur afflux et espèrent que leur personnel et leurs ressources ne seront pas submergés. Au moment d’écrire ces lignes, Israël comptait douze morts des suites du virus, et une cinquantaine de cas graves hospitalisés.
Mais le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré mardi à ses ministres que « nous pourrions atteindre un million de personnes infectées d’ici un mois. Dans un mauvais scénario, on pourrait également compter 10 000 morts en Israël, comme l’envisagent les statistiques du ministère de la Santé. » Alors que les discussions ministérielles se poursuivaient, Netanyahu a ajouté : « Si le rythme actuel de l’infection se poursuit pendant encore 15 jours [c’est-à-dire avec un nombre de cas doublant tous les trois jours], nous nous retrouverons dans une situation où nous devrons décider qui mettre sous respirateur et qui ne pourra l’être. »
Dimanche, la Douzième chaîne a interviewé un médecin israélien, le Dr Gal Peleg, qui travaille à Parme, en Italie. Il a affirmé que, face à la submersion du système de santé, l’hôpital principal de la ville ne permettait pas aux patients de plus de 60 ans atteints du coronavirus de recevoir des soins médicaux étendus, en partie en raison d’une pénurie d’équipements. Il a indiqué, bien qu’il ne soit pas rentré dans les détails, que l’un des facteurs était la grave pénurie de respirateurs.
Weissman a déclaré redouter le jour où les médecins en Israël, submergés par des patients touchés par le coronavirus et confrontés à des ressources limitées, pourraient avoir à faire ce genre de dilemme sans précédent. Il est optimiste sur le fait que cela pourra être évité, mais a reconnu que, dans le pire des cas, « si nous avons un respirateur pour deux personnes, quelqu’un devra prendre une décision ».
« Évidemment, le plus simple est de choisir en fonction de l’âge, mais je ne sais pas ce qui se passera le jour J. C’est une chose terrible à planifier », a-t-il ajouté.
Dans un rapport publié lundi, mais préparé avant la crise du coronavirus, le contrôleur de l’État a averti que le système de santé israélien n’était pas prêt à faire face à une pandémie, en raison de son manque de planification stratégique, de financement et d’équipement. « Le ministère de la Santé, les prestataires de soins de santé et le système hospitalier ne sont pas pleinement préparés à une épidémie de grippe pandémique », indique le rapport, soulignant le manque de lits d’hôpital, de chambres d’isolement et d’unités de soins intensifs mal équipées, entre autres défaillances.
Netanyahu a déclaré à plusieurs reprises ces derniers jours qu’Israël travaillait sans relâche pour acheter davantage d’équipements. La Douzième chaîne a rapporté mercredi après-midi que le prix des respirateurs était passé de 20 000 à 70 000 dollars et qu’Israël était en concurrence avec des pays plus riches concernant leur achat.
Une fois qu’un patient est placé sous respirateur en Israël, il est illégal pour les médecins d’éteindre la machine. « Peu importe qui dit quoi, nous ne pouvons pas l’arrêter », a déclaré Weissman. « Nous n’avons pas notre mot à dire et la famille n’a pas son mot à dire ; seul le destin décide. »
Cela contribue à une situation dans laquelle, alors même que le nombre de malades qui affluent vers les hôpitaux commence à augmenter, la majorité des respirateurs du pays sont déjà utilisés de façon routinière.
Weissman prédit que, si le coronavirus conduit à une situation désespérée, les médecins pourraient estimer qu’ils n’auront d’autre choix que d’enfreindre les règles et d’éteindre certaines machines afin de faire place à de nouveaux patients.
Il a affirmé que cette décision, ainsi que la réponse à la question concernant la façon dont les respirateurs devraient être attribués, sont susceptibles de « reposer sur chaque médecin et chaque hôpital ».
Dans l’analyse de Weissman, si les installations se retrouvent submergées à cause du coronavirus et que les médecins tentent de gérer la crise sans avoir été préparés à éteindre les ventilateurs, des patients qui n’ont aucune chance de guérison pourraient se retrouver à occuper toutes les unités, ne laissant aucune possibilité aux patients qui seraient plus susceptibles de se rétablir d’être ventilés. Cela devrait être évité, a-t-il insisté, et « la loi devrait être modifiée afin d’apporter au système médical plus d’outils afin de pouvoir décider ».
« Les médecins, les experts en éthique et les universitaires devraient trouver un accord national qui stipule que les respirateurs peuvent être arrêtés [dans certaines circonstances], et spécifier quand la ventilation devient futile. Les critères devraient être clairs », a-t-il ajouté.
Mais il a reconnu qu’il y aurait probablement une forte opposition à une telle pratique au sein du ministère de la Santé et parmi les experts en éthique – c’est pourquoi il s’attend à ce que les médecins soient laissés à eux-mêmes afin de prendre de telles décisions.
Les responsables du ministère de la Santé – passés comme présents – sont réticents à discuter de ce qui se passera si les hôpitaux se retrouvent submergés. Interrogé, le ministère de la Santé n’a apporté aucune réponse officielle. Gabi Bin Nun, ancien haut responsable du ministère de la Santé, a déclaré qu’Israël devait continuer à partir du principe que les soins de santé seraient alloués à tous, comme cela a toujours été le cas, car toute autre option conduirait vers une pente glissante.
« Si nous commençons à faire une sélection qui se base sur des critères, cela serait sans fin », a déclaré Bin Nun, professeur agrégé à l’université de Ben Gurion, qui a travaillé au ministère de la Santé pendant 30 ans, y compris en tant que directeur général adjoint pour l’économie de la santé. « N’allons pas dans cette direction. »
Il a exprimé son optimisme quant à la capacité du service de santé israélien à faire face à la crise du coronavirus, déclarant : « La santé est un droit pour tous, quel que soit l’âge, et vous devez prodiguer des soins aux personnes en fonction des besoins. Décréter une politique selon laquelle les personnes âgées mourront est quelque chose que nous ne devrions pas adopter. »
Russell Mayer, un avocat basé à Jérusalem, a déclaré que les efforts visant à préserver la vie des personnes de tous âges sont tellement ancrés dans la culture médicale et juridique d’Israël que, lorsqu’il rédige des testaments pour ses clients, il explique qu’il y a de réelles chances que les médecins puissent faire appel de leur décision de renoncer à un traitement particulier. Israël compte des comités très actifs, dit-il, qui entendent les objections des médecins face au souhait de patients de renoncer à une sonde d’alimentation, à un respirateur ou à d’autres soins médicaux s’ils jugent la demande imprudente.
De l’avis de Mayer, peu de choses changeront en termes d’éthique de soins apportés aux patients dans le cadre de cette crise du coronavirus. Il estime néanmoins que certains médecins pourraient devenir moins enclins à s’opposer à des testaments qui comprennent des refus de certains types de soins. « Ils hésiteront davantage à remettre en cause la volonté de vivre de quelqu’un que quand nous disposons d’un excédent de ressources », a-t-il déclaré.
Halbertal estime que la flexibilité pourrait devenir plus importante. S’il est fermement opposé à l’arrêt des respirateurs, il est ouvert aux jugements de médecins qui doivent décider ou non d’attribuer l’utilisation de machines.
« Une fois que quelqu’un est sous ventilateur, vous ne pouvez pas mettre fin à sa vie pour une autre personne », a-t-il déclaré. « Vous ne pouvez pas priver quelqu’un d’une ressource qui lui sauvera la vie afin de sauver la vie d’une autre personne. »
Cependant, Halbertal pense qu’il est acceptable que, face à la « rareté des ressources », les médecins deviennent moins enclins à placer des personnes sous respirateurs si leurs chances de survie sont minces. Et il propose des critères pour les situations dans lesquelles il y aurait plusieurs patients et un seul respirateur.
« Lorsque vous avez plusieurs candidats pour un seul respirateur, il est logique de le donner à celui qui a le plus de chances de survivre », a-t-il déclaré.
« Seulement, ce critère [de survie], ne peut se baser sur le nombre d’années qu’il reste à vivre. Privilégier l’âge, quelqu’un de plus jeune qu’un autre, va à l’encontre de ma profonde conviction. Un message clair doit être envoyé : l’âge en lui-même n’est pas un critère. »
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